Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 14 janvier 2015 à 21h30
Débat sur la politique maritime de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame, et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »

En ces temps solennels de défense de la liberté, et à l’occasion du débat passionnant sur la politique maritime de la France demandé par nos collègues du groupe UDI, nourrissons-nous de Baudelaire, qui invite l’homme libre à chérir la mer, la mer fascinante par son infinitude, la mer à notre image, miroir où l’homme regarde son double comme un frère à la fois jumeau et ennemi, comme l’infini toujours possible de sa liberté.

Pourtant, aussi transcendante que soit la force de la musicalité ou du symbole, la science, le développement des transports et l’exploitation des ressources nous amènent aujourd’hui à contredire le poète. « La mer, la mer toujours recommencée » de Paul Valéry n’est plus. Ces notions d’infini, de ressources inépuisables et de pérennité des libertés maritimes, peut-être exactes aux temps, pas si lointains, de Baudelaire ou Valéry, sont désormais complètement dépassées. La mer n’est plus recommencée, les ressources halieutiques s’amenuisent, les pollutions s’aggravent. La mer est de moins en moins un espace de liberté, les États tendant à revendiquer des espaces maritimes qui leur échappaient jusqu’ici, de la mer de Chine aux détroits du sud et du nord d’Ormuz au passage du nord-ouest.

Plus généralement, le droit maritime, qui s’est fondé sur l’affirmation de la primauté de la liberté des mers, au sens où l’entendait Grotius, s’oriente desormais vers une extension du domaine d’exclusivité des États, même si les États-Unis, première puissance maritime du monde, n’ont pas encore ratifié la convention de Montego Bay, et vers une réglementation croissante de la haute mer. Pourtant, ni le droit, ni l’organisation économique ne sont encore à la hauteur des enjeux, par rapport auxquels ils restent embryonnaires.

Pour un pays comme la France, le rang de seconde puissance maritime du monde, voire de première si nous obtenons la reconnaissance de toutes nos revendications dans le cadre du programme EXTRAPLAC, devient de plus en plus difficile à tenir. Il ne suffit pas en effet de revendiquer son droit : encore faut-il avoir les moyens physiques de 1’exercer. Il ne suffit pas de proclamer notre exclusivité d’exploitation sur un espace dont la richesse est encore souvent virtuelle : la pêche atteint ses limites, les autres modes d’exploitation sont encore en devenir pour l’essentiel, de telle sorte que le concept d’exclusivité reste pratiquement difficile à réaliser.

Dans ce contexte, la protection de l’environnement maritime apparaît comme un moyen relativement accessible à un pays comme le nôtre de protéger son bien tout en affirmant son droit. Dans une grande partie de nos espaces maritimes, dont l’essentiel se situe dans nos outre-mers, l’exploitation halieutique reste résiduelle et l’exploitation minière demeure à l’état de potentialité. Dans ce contexte, la protection de l’environnement reste le moyen le plus accessible de manifester notre présence tout en préservant nos ressources futures et en améliorant notre connaissance du milieu. Notre stratégie doit consister à étendre considérablement la protection sans compromettre, bien au contraire, le développement.

Certaines puissances n’hésitent pas à user avec un certain cynisme de certaines facultés juridiques pour renforcer leur espace maritime. Si le Canada a fait de l’île de Sable un parc national, c’est parce qu’il s’agit là, dans le conflit ancien et toujours recommencé qui nous oppose à propos de Saint-Pierre et Miquelon, d’un moyen commode d’avancer la ligne de base de dizaines de milles marins par rapport à la côte correspondante.

La France ne se donne peut-être pas les moyens de son ambition. Nous renonçons sans résistance à nos droits sous prétexte de ménager des intérêts diplomatiques. Nous avons, pour des raisons restées mystérieuses, renoncé de facto à la zone économique exclusive à laquelle nous avons droit au titre de l’îlot de Clipperton, pour lequel la validité juridique de notre titre ne saurait être contestée depuis l’arbitrage international rendu, à titre définitif, en 1931.

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