Intervention de Sébastien Soriano

Réunion du 13 janvier 2015 à 16h45
Commission des affaires économiques

Sébastien Soriano :

Je vous remercie par avance pour votre écoute. Je connais bien les travaux de votre commission, notamment sur l'économie numérique et la régulation des télécommunications.

J'aborderai trois points : les enjeux pour les infrastructures numériques d'ici 2020, terme du mandat pour lequel je me présente devant vous ; le rôle de l'ARCEP dans ce cadre ; quelques mots sur mon parcours.

D'abord, concernant des infrastructures numériques, la France est un grand pays d'infrastructures, qu'il s'agisse des routes, des autoroutes, du chemin de fer, de l'électricité ou des réseaux de communication. C'est un enjeu de compétitivité et d'attractivité pour notre pays, qui est d'autant plus important qu'il se situe dans le cadre d'une grande transformation de notre société et de notre économie, qu'on appelle souvent la « transformation numérique ». Nous vivons en effet une conquête numérique, qui a une triple dimension : le combat pour l'innovation et les startups de la « French Tech » ; la transformation de l'ensemble de nos habitudes de consommation et d'accès au savoir, ainsi que la transformation économique de l'ensemble des entreprises concernées qui s'ensuit ; les questions éthiques soulevées par cette évolution, qu'il s'agisse des données personnelles ou de la liberté d'expression – sachant que le rapport annuel du Conseil d'État a apporté une contribution très précieuse à cet égard.

Or les infrastructures numériques sont la brique fondamentale de cette transformation, car elles sont la condition de la transmission des données en quantité suffisante sur les territoires. Elles recouvrent au moins trois enjeux majeurs. D'abord, la révolution des objets connectés : il est important que nos infrastructures soient orientées vers elle, sachant que la France est bien positionnée sur ce point. Deuxièmement, la transformation numérique des entreprises, qui passe aussi par les réseaux de télécommunications. Enfin, les réseaux restent un socle de souveraineté, alors que, dans le monde numérique, l'État a parfois du mal à faire respecter nos règles fiscales ou sur les données personnelles.

Notre pays pourrait s'appliquer à cet égard une sorte de devise, qui serait : compétitivité, accessibilité, neutralité. Compétitivité, car nous ne devons jamais oublier que ces réseaux sont déployés par des opérateurs et des acteurs industriels : nous devons être en empathie avec ce secteur économique pour qu'il soit à même de développer ses infrastructures. Accessibilité, car il est légitime de se dire que les réseaux de télécommunications doivent être un droit pour tous, même s'il faut s'adapter aux territoires, aux débits et aux usages. Enfin, neutralité, car internet n'est pas un réseau comme les autres : il est en train de devenir un bien commun, à partir duquel chacun peut s'informer, s'exprimer ou accéder à la culture.

On peut à cet égard saluer le précédent président de l'ARCEP, Jean-Ludovic Silicani, qui a été un aiguillon, voire un visionnaire sur ce point, sachant qu'il y a eu aussi des travaux parlementaires et ceux du Conseil national du numérique notamment.

S'agissant du rôle de l'ARCEP, je rappelle qu'elle est une autorité collégiale. Je ne peux donc m'engager aujourd'hui en son nom.

Mon opinion est que nous sommes à la fin d'un cycle dans le secteur des télécommunications. Nous sommes partis il y a bientôt vingt ans d'une situation où il n'y avait pas ou guère de concurrence pour aboutir aujourd'hui à un secteur constitué de quatre acteurs principaux installés, avec des bases de clients, de fréquences ainsi que des réseaux importants.

Il faut dès lors construire une nouvelle ambition, qui doit avoir deux dimensions : terminer le travail, en assurant la pérennité, la stabilité et la compétitivité du secteur, et préparer l'avenir.

À cette fin, le premier rôle de l'ARCEP est de fixer un cap, sachant que nous sommes également à un moment particulier de l'histoire postale, avec une décroissance exceptionnelle du courrier, que nous devons accompagner. Ce cap est celui de l'investissement, du très haut débit et du très haut débit mobile.

L'ARCEP doit à cet égard être le gardien du long terme. Il est important dans ce cadre de pouvoir s'appuyer sur des consensus transpartisans. Plusieurs rapports réalisés par votre commission montrent que cela est possible.

Le deuxième rôle de l'ARCEP est d'entraîner les acteurs, ce qui implique de savoir conjuguer l'incitation et la structuration. La première incitation est la concurrence, qui est un élément essentiel de la dynamique des télécommunications, car elle est un facteur de compétitivité. Mais cette concurrence doit être équitable. Or nous avons encore du travail à faire dans ce domaine : nous devons continuer à enrichir les indicateurs sur la couverture des territoires et la qualité des débits pour que les consommateurs soient en mesure de faire un choix de réseau éclairé. En outre, l'ARCEP doit donner suite à l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la question de l'itinérance et de la mutualisation et établir les conditions d'une concurrence loyale sur le secteur mobile.

Par ailleurs, l'ARCEP devra être présente sur deux dossiers majeurs. Elle devra d'abord accompagner l'accomplissement du plan France très haut débit (THD) du Gouvernement, notamment s'agissant de la transition entre les réseaux à haut débit en cuivre et les réseaux à très haut débit en fibre optique.

Je voudrais sur ce point vous alerter sur un danger, sur lequel je souhaite que l'ARCEP se mette rapidement au travail : celui de la trappe à débit. Avec la tarification des réseaux en haut débit en cuivre, le risque est d'avoir des prix baissant dans un premier temps et de créer une mauvaise incitation au THD, pour avoir dans un second temps des tarifs augmentant, les réseaux en cuivre se vidant au profit des réseaux en fibre. Cela enfermerait les derniers abonnés aux réseaux en cuivre dans un dilemme. Je proposerai donc au collège de l'ARCEP de travailler à une tarification pluriannuelle des réseaux en cuivre, permettant d'assurer la cohérence entre les deux types de réseaux – ce qui devrait prendre un an ou deux, compte tenu de toutes les consultations nécessaires. Je souhaite que d'ici 2020, nous soyons en mesure de donner une perspective tarifaire permettant à tout le monde d'agir en connaissance de cause.

Parmi les éléments de structuration du marché, il faut également mentionner la bande des 700 MHz, que je me propose d'évoquer en réponse à vos questions.

Le régulateur doit aussi être un arbitre et faire rentrer certains acteurs dans le rang. Nous avons ainsi un travail important à faire sur la neutralité du net, notamment la question des interconnexions, qui donne lieu à des discriminations entre les petits et les grands acteurs ou opérateurs.

Mais l'ARCEP doit aussi mieux coopérer. D'abord, avec les pouvoirs publics. Nous devons trouver la « martingale » pour mieux travailler avec le Gouvernement. L'ARCEP est en effet une autorité de l'État, qui doit être à l'écoute des grands choix de la nation, même si elle est également indépendante – ce qui est nécessaire pour être le gardien du long terme. Mais indépendance ne veut pas dire isolement : elle doit contribuer aux grands projets impulsés par l'État, comme le plan France THD.

L'ARCEP doit en outre conduire une action intelligente à l'égard de la filière des télécommunications. Je proposerai donc à son collège de réaliser chaque année une étude d'impact de cette action.

Nous devrons aussi conduire des travaux importants avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou l'Autorité de la concurrence, de même qu'avec les collectivités territoriales, dont le rôle est croissant, et, naturellement, le Parlement. Si vous m'accordez votre confiance, je serai toujours à votre disposition. Je pense que le Parlement peut jouer un rôle très important, notamment dans la constitution des consensus transpartisans.

Enfin, dernière mission de l'ARCEP : la préparation de l'avenir. Nous devrons être présents sur tous les sujets prospectifs, ainsi que sur les enjeux européens, où se joue la régulation de demain.

Je conclurai par quelques mots sur mon parcours, pour vous dire que je suis un ingénieur des télécommunications engagé pour la régulation – j'ai travaillé pendant dix ans à cette fin. La régulation est en effet pour moi la bonne manière d'appréhender l'économie de marché : on a vu les résultats d'une économie administrée ou d'une économie de marché non régulée…

Mon deuxième engagement est pour le numérique et mon troisième pour les territoires. J'ai eu la chance à l'ARCEP de découvrir l'extraordinaire force de l'initiative locale dans le déploiement des réseaux.

Mon engagement est également européen ; j'ai été très fier d'avoir participé à la préparation de la position de la France pour le premier Conseil européen dédié au numérique, qui a eu lieu en octobre 2013.

Je souhaite mettre cet engagement au service de l'ARCEP. Je suis avant tout un serviteur de l'État ; il y aura toujours au-dessus l'intérêt général. Et j'espère que l'ambition pour les infrastructures numériques que j'ai présentée aujourd'hui pourra faire l'objet d'un consensus transpartisan.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion