Intervention de Sébastien Soriano

Réunion du 13 janvier 2015 à 16h45
Commission des affaires économiques

Sébastien Soriano :

Merci pour ces riches questions.

S'agissant des questions de méthode, je pense que, l'ARCEP faisant partie de l'État, il serait problématique qu'elle ne coopère pas à des projets d'ambition nationale dans le domaine des infrastructures. Coopérer ne veut naturellement pas dire être aux ordres et il est important que l'ARCEP garde son indépendance. Reste que cela me gêne de vous citer des exemples d'une coopération qui aurait pu être meilleure par le passé : il s'agit en fait de manques par omission. La marche de l'ARCEP pourrait être davantage emboîtée avec celle du Gouvernement. J'insiste encore une fois sur l'importance des consensus transpartisans, car je ne veux pas résumer cette meilleure coopération de l'ARCEP avec les pouvoirs publics à celle nouée avec le Gouvernement : un travail est à faire avec le Parlement. Je souhaite avoir ainsi avec la Commission supérieure du service public des postes et communications électroniques des éléments de consensus. Il en est de même s'agissant des travaux de la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle sur la bande des 700 MHz.

S'agissant des relations avec l'Autorité de la concurrence, nous devons mieux travailler en amont avec elle – l'ARCEP étant amenée à réguler des marchés et à la saisir. Pour savoir s'il faut réguler le haut ou très haut débit de telle ou telle manière, l'ARCEP a par exemple saisi cette autorité d'un document de 250 pages en lui donnant six semaines pour se prononcer, ce qui n'est pas la méthode la plus satisfaisante. En aval, l'ARCEP a par ailleurs vocation à intervenir sur des dossiers techniques : lorsque l'Autorité de la concurrence se prononce sur une concentration, comme elle l'a fait récemment sur Numericable et SFR, il serait souhaitable que l'ARCEP soit associée dans la vérification des obligations qui ont été imposées. Quant à la question de savoir s'il faut changer les textes à cette fin, je me garderai de me prononcer avant d'en avoir parlé avec le président de l'Autorité de la concurrence.

Je ne peux vous dire à ce stade s'il faut déclarer Whatsapp et Viber comme opérateurs, mais je pense qu'il faut être très attentif à tous les travaux qui seront conduits au niveau européen et national sur les acteurs de l'internet utilisant les réseaux de communication électronique. J'ai examiné attentivement la proposition du Conseil d'État, dans son rapport sur les droits et libertés numériques, de créer une obligation de loyauté des plateformes. Il faut en effet accepter que le champ de la régulation puisse s'exporter dans certains domaines de fonctionnement de l'internet. Certaines grandes plateformes d'internet peuvent, par leurs agissements, conduire à régenter ce fonctionnement et il est légitime que la puissance publique s'en soucie.

Il est difficile de répondre in abstracto à la question de la compatibilité entre la connaissance approfondie du secteur et le fait d'avoir un regard neuf. En tout cas, il faut savoir entraîner le secteur, la sanction ne suffit pas. Pour cela, il faut savoir lire le jeu des acteurs, c'est-à-dire comprendre leurs intérêts, leurs positionnements respectifs.

Les moyens de l'ARCEP constituent une question sensible, sur laquelle je suis bien obligé de vous faire part de mes inquiétudes. L'instance est en effet confrontée à trois enjeux, pour lesquels il faudra trouver des moyens. D'abord, celui de la prospective, qui est important et nécessite d'investir en compétences. Deuxièmement, celui du plan THD : pour qu'il fonctionne, il faudra que les réseaux développés par les collectivités territoriales soient réalisés de façon relativement homogène. Il convient en effet de s'assurer que, sur certaines questions clés des systèmes d'information, des standards et de la tarification, on ait des réseaux suffisamment homogènes pour permettre une industrialisation de nature à offrir des services comparables entre les territoires. Cela suppose un travail très circonstancié de l'ARCEP avec chacun des territoires, d'autant que l'on passera demain d'un monde constitué de quatre principaux opérateurs à un monde en comportant quarante ou quatre-vingt. Troisième enjeu : les services de télécommunication aux entreprises. Si la France n'est pas en retard sur le numérique au vu de la plupart des indicateurs, elle l'est sur la numérisation des PME et des TPE. L'ARCEP peut jouer un rôle important pour assurer une compétitivité de ces services, mais cela suppose qu'elle accroisse ses compétences. Or je suis aujourd'hui obligé de douter de sa capacité à pleinement répondre à ces enjeux compte tenu des moyens dont elle dispose.

Un dialogue sera rapidement créé avec Bercy pour préciser ses moyens futurs. Reste que les décisions prises n'ont pas tenu compte de la particularité de l'ARCEP, qu'il s'agisse des nouvelles compétences dans lesquelles il faut investir ou de la pyramide des âges, qui se traduit par un faible nombre de départs à la retraite. N'ont pas été pris en compte non plus les efforts considérables réalisés sur son budget, qui se traduisent par une réduction de 40 % des dépenses de fonctionnement hors immobilier en cinq ans.

Les technologies cibles dans le THD sont une question très importante : il appartient d'abord à la mission THD d'y répondre et à ce qui est développé dans le cadre du plan France THD. Une claire priorité est aujourd'hui donnée au FTTH. En tout cas, la régulation qui sera mise en place par l'ARCEP sera, si son collège est d'accord avec moi, très vigilante à bien articuler la tarification du cuivre et du FTTH, afin de créer les incitations suffisantes.

Concernant les tarifs des RIP, un premier travail d'accompagnement et de recommandation a été réalisé par l'ARCEP, mais je pense possible d'aller plus loin. Quand un territoire établit un réseau et qu'il a des difficultés pour que l'opérateur fournisse des services aux clients, la collectivité peut se trouver dans une situation de relative dépendance. Il faut donc veiller que cela n'aboutisse pas à des tarifs qui, non seulement détruisent la valeur du secteur, mais aussi soient incompatibles avec l'objet des investissements publics. Les compétences de l'ARCEP pourraient être élargies à cette fin si le législateur en était d'accord.

S'agissant de la bande dite des 700 MHz, la question de la stratégie des bandes de fréquences doit d'abord donner lieu à une expression politique. Il appartient donc au Gouvernement et au Parlement d'indiquer les choix de la nation sur la bonne utilisation de cette bande. Il convient de savoir en l'occurrence s'il faut passer de l'audiovisuel aux télécommunications et, dans ce cas, déterminer quels sont les objectifs financiers de concurrence et de couverture. C'est seulement à partir de là que l'ARCEP sera en mesure de faire son travail d'appel d'offres.

Quant au calendrier, à l'impossible nul n'est tenu. Nous ferons au mieux pour le tenir, mais s'il y a des dérives en amont, nous ne pourrons garantir qu'il soit respecté.

Concernant le contrat d'itinérance et l'avis de l'Autorité de la concurrence, il m'est difficile de m'exprimer sans avoir préalablement délibéré avec le collège de l'ARCEP. Je pense en tout cas que nous devons assurer une concurrence équitable dans le secteur du mobile et que l'itinérance et la mutualisation sont des paramètres très importants de cet équilibre.

Au sujet des relations entre l'ARCEP et le CSA, le Président de la République a tenu des propos très clairs, en octobre dernier, sur le fait qu'il y avait deux légitimités : celle de la régulation de l'audiovisuel, dont on voit à quel point elle touche à des sujets essentiels pour le bon fonctionnement de la démocratie – avec le travail engagé cette semaine par le CSA pour vérifier que les médias avaient couvert de manière responsable les événements de la semaine dernière – et celle des réseaux. Le Président a affirmé aussi que ces deux institutions devaient davantage coopérer. Si vous m'accordez votre confiance, une de mes premières actions sera donc de prendre contact avec Olivier Schrameck pour définir les travaux qui s'imposent. Si certaines coopérations pourraient être cristallisées par la loi, je ne pense pas qu'il faille aller trop loin, car j'ai un projet pour l'ARCEP, qui a sa légitimité propre.

S'agissant de la couverture de Free, il nous faut vérifier que ce qui est affirmé est effectif.

En ce qui concerne le potentiel déséquilibrage du plan THD par le rôle plus important du câble, il appartient d'abord au Gouvernement et à la mission France THD de se saisir du sujet pour actualiser le cas échéant l'appel à manifestation d'intérêt et le processus de conventionnement des zones. Il ne faut pas être alarmiste : le fait qu'il y ait un câble fort dans le domaine du très haut débit est une bonne nouvelle en termes d'incitation. Nous sommes en effet certains qu'un acteur industriel important va tirer ce très haut débit via le câble. Nous étions déjà convaincus qu'Orange était sur cette dynamique, que SFR s'y engageait aussi et que les autres acteurs essayaient de s'y associer : cela ne fait que renforcer cette tendance.

Concernant les indicateurs de qualité de service sur l'internet fixe, j'ai noté qu'il y avait eu des réactions épidermiques à la suite de la publication que vous avez évoquée, mais je n'ai pas les éléments aujourd'hui pour vous dire comment y répondre : cela concernera le collège de l'ARCEP. Cela dit, à titre personnel, il me semble que sur ce sujet, la priorité serait plutôt le mobile, sur lequel nous avons une marge de progression.

Quant à la question de la neutralité du net et des services spécialisés, qui est importante et va engager des débats politiques au niveau européen, je crois qu'il faut être ferme sur le principe de neutralité. J'ai indiqué que je proposerai au collège de l'ARCEP de se saisir directement de la question des interconnexions pour qu'elles ne soient pas discriminatoires. Dès l'instant où on a garanti cette neutralité avec une qualité de service transparente pour le consommateur et une bande passante réservée permettant des usages suffisants, il faut, selon moi, laisser sa part à l'innovation et respecter la neutralité technologique. Un opérateur installant une box chez un client peut faire venir la télévision de plusieurs manières : par internet, par les services spécialisés, la TNT ou, demain, par d'autres réseaux. Le fait de se dire qu'une catégorie de services, parce qu'elle passe par le même réseau qu'internet, devrait être davantage régulée qu'une autre me paraît étrange.

Enfin, s'agissant de la question importante des zones blanches, j'ai récemment découvert qu'il y avait des problèmes sur la qualité de service du téléphone fixe. Je suis par ailleurs étonné du différentiel qu'il y a entre les obligations des opérateurs et la réalité des territoires. La première chose est de constater le problème. Si, ensuite, certaines obligations n'ont pas été respectées, des investigations et des procédures de sanction pourront être conduites. Il n'y a aucune raison que les territoires les plus mal lotis en réseaux ne bénéficient pas des engagements qui auront été pris. Au-delà, pour renforcer ceux-ci, l'ARCEP sera à la disposition du Gouvernement pour mettre en place un éventuel nouveau programme de couverture des zones blanches.

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