Intervention de Olivier Schrameck

Réunion du 13 janvier 2015 à 16h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Je voudrais à mon tour exprimer au nom du CSA, en réaction aux terribles épreuves que nous traversons, un sentiment de profonde tristesse et de forte détermination en fidélité aux victimes et à leurs proches.

Il me revient de présenter, avec le concours de Mme Sylvie Pierre-Brossolette, qui préside le groupe de travail consacré à la télévision nationale publique, ce rapport que la représentation nationale a souhaité que nous établissions. Lorsque, au moment de ma désignation, il y a quasiment deux ans jour pour jour, je me suis présenté devant vous, j'ai dit à quel point le lien avec la représentation nationale me paraissait tout à fait essentiel non seulement à l'action du CSA mais aussi à la légitimité de cette dernière. Cette responsabilité, que nous avons eu à coeur de mettre en oeuvre, s'inscrit dans un ensemble puisque nous élaborons par ailleurs un rapport annuel sur chacun des groupes que nous sommes chargés de réguler et un rapport d'activité, prévu par l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, et que le Parlement a souhaité enrichir en prévoyant notamment qu'il rende compte de l'impact économique des décisions du régulateur. Je rappelle également que vous avez souhaité que nous formulions un avis sur les contrats d'objectifs et de moyens (COM) liant les sociétés de l'audiovisuel public à l'État et les éventuels avenants à ces contrats. Tout cela est complémentaire de la compétence tout à fait essentielle de désignation des présidents des sociétés de l'audiovisuel public. Il convient néanmoins de bien distinguer l'étape de l'état des lieux que vous nous avez demandé de réaliser de celle de la procédure de nomination que nous mettrons en oeuvre dans le cadre d'un collège qui sera d'ailleurs renouvelé à la fin du mois.

Le rapport que nous vous présentons poursuit un triple objectif : contribuer à la réflexion des pouvoirs publics ; aider le CSA à exercer son propre pouvoir de nomination en toute connaissance de cause et éclairer les futurs candidats à la présidence de France Télévisions dans la préparation de leur projet stratégique.

Ces missions s'articulent avec celles qui reviennent à l'État actionnaire pour la définition du COM et au conseil d'administration de la société. Comme vous le savez, la ministre de la culture et de la communication a engagé une réflexion interministérielle sur les objectifs que l'État entend s'assigner pour l'exercice de cette mission.

Nous avons apprécié les résultats de la société France Télévisions au regard des dispositions du cahier des charges, du COM et des engagements de l'équipe en fonction. Pour autant, ce n'est pas un jugement de nature personnelle que nous portons sur l'action du président de France Télévisions, M. Rémy Pflimlin, c'est pourquoi le rapport évite, comme vous l'aurez sans doute remarqué, toute référence personnalisée. J'en profite d'ailleurs pour exprimer à titre personnel mon estime chaleureuse et amicale à l'égard de ce dernier. Nous avons bien entendu été attentifs à prendre en compte la liberté éditoriale du groupe qui est inscrite dans la loi du 30 septembre 1986. Nous n'avons pas non plus entendu élaborer une feuille de route clé en main pour le prochain mandat même si l'analyse que nous avons développée débouche à la fin du rapport sur un certain nombre d'indications à caractère général. Nous nous sommes inspirés de l'ensemble du suivi que nous assurons annuellement de l'activité de France Télévisions, de nombreux entretiens avec les responsables du groupe, en particulier avec son président, lequel a été entendu par l'ensemble du collège le 24 septembre 2014, mais aussi des nombreuses auditions réalisées par le groupe de travail présidé par Mme Sylvie Pierre-Brossolette avec des professionnels et en particulier avec des représentants du monde de la production. Nous avons également pris en compte avec le plus grand soin les analyses émanant de parlementaires, en particulier les travaux de Mme Martine Martinel, M. Stéphane Travert et M. Jean-Michel Beffara.

L'appréciation du conseil, qui se veut étayée, équilibrée et constructive, doit évidemment tenir compte de l'histoire et du contexte. Les problèmes auxquels France Télévisions est confrontée ne datent pas d'hier. Ils sont souvent anciens et récurrents et procèdent pour leur règlement d'une démarche de long terme. Enfin, nous avons évidemment été sensibles au contexte économique, budgétaire et concurrentiel dans lequel s'inscrit France Télévisions en mentionnant l'intensification de la concurrence qui découle de l'arrivée de six nouvelles chaînes gratuites en 2012, la réduction de la dotation budgétaire versée à la société ainsi que l'incertitude qui pèse sur l'évolution de ses ressources financières, laquelle a évidemment pesé sur son activité.

Quant à nos constats, je me centrerai ici sur notre coeur de métier qui est l'offre de programmes même si nous avons cru devoir aborder dans le rapport des considérations relevant également de la gestion du groupe.

Nous avons noté tout d'abord la préservation d'une audience significative de l'ensemble du groupe à 28,6 % en dépit d'un léger recul de quatre points en quatre ans dont on peut considérer qu'il est imputable pour l'essentiel à l'intensification de la concurrence mais aussi à la difficulté à attirer les publics les plus jeunes, qui se traduit par un vieillissement de l'audience. Les plus de cinquante ans représentent respectivement 71 %, 76 %, 42 % et 72 % des audiences de France 2, France 3, France 4 et France 5. Le service public étant celui de tous, il s'agit pour nous d'une préoccupation très vive.

En second lieu, nous avons souligné l'existence d'une offre d'information abondante et de qualité qui représente environ 20 % de l'offre d'information globale de la télévision. Il s'agit d'une information de référence dont les formats se sont renouvelés et enrichis. Elle s'appuie notamment sur des magazines d'investigation et des émissions politiques qui contribuent fortement à l'identité des chaînes et constituent un élément important de structuration du débat public et politique dans notre pays.

Nous avons également relevé la construction d'une relation étroite avec le monde de la création qui se traduit d'abord en termes quantitatifs puisque France Télévisions contribue à hauteur de 402 millions d'euros à la production audiovisuelle, soit deux millions d'euros de plus que le plancher fixé par l'avenant au COM. Nous avons tout de même marqué notre préoccupation quant à la tendance à l'émiettement de la commande publique. En 2013, France Télévisions a travaillé avec plus de 40 % des entreprises de production actives et nous avons été frappés de constater que plus de la moitié de ces sociétés travaille exclusivement avec le groupe public, ce qui crée une relation de dépendance. Nous avons parfois regretté que l'organisation ait été un peu instable et pas toujours extrêmement lisible. Les producteurs s'en sont d'ailleurs fait l'écho s'agissant de la politique de commandes à moyen et long termes.

Nous avons appelé à un renforcement des règles de transparence et avons estimé qu'en dépit des succès incontestables enregistrés ces dernières années, la programmation aurait gagné à une prise de risque plus importante et à davantage d'innovation dans les formats et les thèmes traités, en relation d'ailleurs avec la préoccupation concernant le vieillissement des audiences. Le conseil suggère donc, à partir du qualimat, l'élaboration d'une grille d'évaluation beaucoup plus complète qui ferait sa place au choix du thème, au type de traitement, au mode de financement, à l'avis des téléspectateurs et de la critique et aux résultats sur le marché international. Nous sommes persuadés que l'impératif de qualité, qui est la condition même du service public audiovisuel, peut et doit se concilier avec la recherche d'une audience large, de même que nous sommes persuadés que la qualité programmatique et éditoriale doit être étayée par une assise financière et organisationnelle sûre, stable et transparente et par la mobilisation des personnels et collaborateurs que nous saluons et qui sont les garants essentiels de la qualité et de la promotion du service public.

France Télévisions joue un rôle déterminant dans le financement et l'exposition de la fiction audiovisuelle, de l'animation et du documentaire. Le groupe représente 60 % du financement total de la fiction française et a diffusé en 2013 plus de 9 000 heures de fiction. Certaines fictions françaises diffusées par France Télévisions enregistrent de grands succès d'audience – vous en avez tous quelques exemples en tête –, preuve qu'elles sont très largement appréciées du public. Nous avons néanmoins préconisé une diversification du choix des formats : il apparaît en effet qu'il manque tout particulièrement de séries longues – plus conformes aux standards des marchés internationaux – ou de séries aux genres ou thèmes plus variés, reflétant la réalité des problèmes que rencontre la société, problèmes dont nous venons d'avoir un écho particulièrement tragique. Nous plaidons par conséquent pour un effort plus grand d'écriture et de réalisation de ces fictions.

Une partie importante du rapport est par ailleurs consacrée à l'investissement significatif dévolu au sport, secteur marqué par une très grande concurrence avec la télévision payante. Le CSA salue la politique d'achat de droits sportifs menée par l'audiovisuel public, dont la part s'élève désormais à 10 %. Nous avons relevé une concentration intéressante sur de grands événements sportifs fédérateurs, tels que le Tour de France, les Jeux Olympiques, le Tournoi des Six Nations ou le Tournoi de Roland-Garros, même si, pour ce dernier, le renouvellement des droits a donné lieu cette année à une négociation difficile, que le CSA a suivie avec une grande attention. Nous avons aussi noté le souci d'ouverture à des disciplines plus diversifiées, même si l'on ne note pas de réels progrès en la matière puisque le nombre de disciplines exposées à l'écran du service public est passé en quatre ans de 25 à environ 17 ou 18, suivant les modes de calcul retenus.

Le CSA s'est par ailleurs interrogé dans son rapport sur la « cohérence perfectible » du bouquet des chaînes composant le groupe France Télévisions avec le souci d'une clarification des lignes éditoriales. Il nous semble que l'identité respective des chaînes France 2 et France 3 mériterait d'être mieux affirmée, en privilégiant la conquête de nouveaux publics. Nous réaffirmons la nécessité d'une réforme de France 3 Régions, qui n'a toujours pas été engagée, tout en rappelant que le grand intérêt que le public porte aux informations régionales ne s'étend pas aux autres programmes régionaux, sans compter qu'une mise en cohérence avec la réforme territoriale que le Parlement vient d'adopter sera nécessaire. Et que dire du positionnement de France 4, chaîne qui cible successivement deux catégories de public distinctes au cours de la journée, ou de France Ô, qui, au-delà de son identité ultramarine marquée, s'adresse aussi aux jeunes publics urbains, ce qui dans les deux cas nuit à la clarté de leur identité propre ?

Notre rapport salue le développement significatif des activités numériques du groupe qui lui a permis de rattraper un retard important accumulé pendant plusieurs années. Nous avons analysé sa stratégie très vaste de distribution des programmes, gratuits puis payants ; nous avons salué son souci d'innovations technologiques, notamment avec l'expérimentation de « l'ultra HD ». Ce point me permet de vous signaler que nous restons vigilants, tout comme la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, à ce que la réattribution de la bande des 700 MHz ne conduise pas à remettre en cause le caractère structurant des fréquences hertziennes dans les modes de diffusion de la télévision.

Le CSA est sensible à la nécessité de développer des synergies avec les autres groupes et sociétés du secteur public, notamment Radio France ; le programme diffusé en soirée le 11 janvier dernier, lancé en commun par France 2 et Radio France à la Maison de la Radio, me semble en être le plus bel exemple qui soit dans le contexte douloureux que nous connaissons. Ce panorama serait incomplet si je n'évoquais pas d'un mot l'activité de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) au potentiel extrêmement riche et dynamique.

Le rapport note les efforts réalisés pour une meilleure représentation des femmes – je sais que Mme Sylvie Pierre-Brossolette vous en parlera plus longuement tout à l'heure – dans la droite ligne du vote de la loi du 4 août 2014 et de la mobilisation « En avant toutes ». À la fin de l'année 2014, les femmes représentaient déjà 30 % des experts sollicités sur les plateaux de télévision ; à la fin de l'année 2015, cette proportion devrait s'établir à 35 %. Nous insistons aussi sur la place des femmes au sein de l'entreprise elle-même.

En ce qui concerne la représentation de la diversité, le bilan est plus mitigé malgré des efforts, notamment à l'occasion de la Fête nationale ou dans l'exposition des jeux paralympiques ; ces efforts réels, marqués par l'octroi du label diversité, doivent toutefois être poursuivis et élargis.

De manière volontaire, cet exposé introductif ne comporte pas de conclusion, car nous estimons qu'elle revient au Parlement et au Gouvernement et, à terme, à la personnalité qui sera portée à la présidence du groupe. En tout état de cause, croyez bien, mesdames et messieurs les députés, que le CSA est profondément attaché au rôle joué par le service public télévisuel et aux valeurs et principes dont le Parlement lui a confié la garde, garde que nous assurons avec la plus extrême attention et la plus grande vigilance.

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