Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de vos riches et nombreuses questions. Je risque toutefois de vous décevoir car je n'ai pas réponse à tout, loin de là. J'aime beaucoup le net mais je ne suis pas Wikipedia ! Je répondrai donc avec beaucoup de prudence.
Plusieurs de vos questions ont concerné le rôle du service public de l'audiovisuel. Tout le monde s'accorde pour dire que sa présence doit être forte. Il est extrêmement important qu'il soit capable de renforcer son positionnement. Le CSA, en veillant à l'équilibre avec les nouvelles chaînes, peut l'aider à y parvenir.
Il existe une grande différence selon moi entre chaînes publiques et chaînes privées. L'analyse de la programmation suffit à la faire ressortir. De nombreux programmes – documentaires, opéras, pièces de théâtre, retransmissions sportives – sont diffusés sur les chaînes de France Télévisions mais pas sur les chaînes privées.
Le CSA doit garder à l'esprit l'équilibre à respecter entre chaînes publiques et chaînes privées, chaînes gratuites et chaînes payantes. Il est fondamental de prendre en compte les différences en termes de logiques économiques pour comprendre les enjeux. Pour les chaînes privées d'accès gratuit, le client reste l'annonceur : leur objectif premier est de capter l'audience la plus large pour maximiser leurs recettes publicitaires. Pour les chaînes privées par abonnement, le client est l'abonné : il s'agit de le satisfaire. Pour les chaînes de service public, le client est le téléspectateur citoyen. L'une des grandes difficultés est de maintenir cet équilibre dans un environnement déterritorialisé, fortement marqué par l'abondance de concurrents, qui rend encore plus ardu pour les chaînes de France Télévisions de se différencier. Rappelons ici que le rôle du service public est d'autant plus important qu'il contribue aussi à soutenir la production.
Sur les questions de gouvernance, vous comprendrez bien la difficulté de la réponse à apporter. Le CSA doit collégialement l'élaborer tout en veillant à appliquer la loi.
S'agissant des risques de concentration, il est clair que l'environnement du secteur audiovisuel est fortement concurrentiel. Les règles de fonctionnement économique des chaînes renforcent le phénomène de concentration. L'étude des interactions entre marché publicitaire et marché des médias montre que les annonceurs sont d'autant plus enclins à acheter des espaces publicitaires et à les acheter à un prix élevé que la taille de l'audience d'un média est importante. Ces mêmes effets se retrouvent dans les entreprises du net, ils sont même amplifiés par le phénomène de réseau qui accentue la tendance à la concentration. En d'autres termes, une grande entreprise concentrée a plus d'efficacité que des petites entreprises.
Nous sommes face à une contradiction : d'un côté, nous avons besoin d'entreprises fortes et suffisamment puissantes pour soutenir la concurrence avec les entreprises internationales ; d'un autre côté, nous avons besoin de diversité. La concentration conduit-elle systématiquement à une moindre diversité ? Cela ne se vérifie pas toujours dans le domaine des médias. Il est extrêmement coûteux de fabriquer des informations, de les vérifier, de les traiter. Une toute petite entreprise n'a pas les moyens de fournir des informations de qualité compte tenu du contexte concurrentiel qui prévaut dans ce secteur. L'effet de taille conduit naturellement les entreprises de médias à se concentrer. La multiplication du nombre de supports n'est pas pour autant gage de diversité car elle n'est pas synonyme de multiplication des sources d'information. La semaine dernière, nous avons tous regardé en même temps les mêmes informations. La diversité est très complexe à saisir. Que peut faire le CSA dans ces conditions ? Il importe, à mon sens, de déployer des outils économiques à même de mesurer finement la diversité, notamment en prenant en compte les sources d'information et non pas simplement les supports.
J'en viens à la question du numérique. Plusieurs d'entre vous ont fait référence à la tribune que j'avais signée en 2012 pour appeler à une fusion entre l'ARCEP, la HADOPI et le CSA. Je ne la renie nullement car elle me paraît avoir gardé sa pertinence. Aujourd'hui, les chaînes ont toutes basculé dans le numérique ; le consommateur est à la fois téléspectateur et internaute, il est en permanence connecté. Cette dimension nouvelle doit être intégrée par les institutions. La prise en compte du numérique implique un travail de coopération. La création de l'European Regulators Group for Audiovisual Media Services (ERGA) il y a un an va dans ce sens. Elle a montré l'importance pour les instances de régulation de se coordonner au niveau européen. La même exigence s'impose au niveau national. Si chaque institution s'en tient à son périmètre, le téléspectateur-citoyen risque d'être oublié. C'est dans cet état d'esprit que j'avais élaboré cette tribune.
L'élargissement des pouvoirs du CSA doit se calquer sur les nouveaux modes de consommation des programmes, qui sont regardés en permanence et sur tous les supports. Cela implique de s'affranchir des limites du seul secteur audiovisuel. Son basculement dans le numérique oblige de facto les institutions qui en sont garantes à un déplacement, déplacement d'autant plus difficile à opérer que le téléspectateur, placé au coeur de l'écosystème, est à la fois producteur, diffuseur et prescripteur de contenus. Le CSA doit être attentif à tous les programmes audiovisuels, qu'ils soient diffusés à la télévision ou sur internet.
Vous avez été nombreux à m'interroger sur les chaînes d'information en continu, question particulièrement compliquée. En tant que citoyenne, j'aurais tendance à dire que le traitement qu'elles ont fait des événements de la semaine dernière aurait pu être pire – je suis d'un naturel optimiste – mais qu'il aurait aussi pu être meilleur et différent. Il y a clairement besoin d'une régulation à travers une concertation entre les instances concernées. Quand le travail des chaînes d'information est susceptible de nuire au travail de la police, comme cela semble avoir été le cas, il faut appliquer des règles de manière stricte. Je ne suis pas encore dans la peau d'un membre du CSA, mais j'ai plaisir à m'y mettre.