Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Daniel Verwaerde :

Merci beaucoup, Madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir au sein de la commission des affaires économiques.

Conformément à l'article 13 de la Constitution, je me présente devant vous car le Président de la République envisage de me nommer pour occuper les fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Je suis à la fois fier et honoré d'être pressenti pour prendre la direction de ce grand établissement de recherche public, à caractère industriel et commercial, un organisme exceptionnel qui, depuis soixante-dix ans, a considérablement contribué à l'excellence scientifique française, à la sécurité et à la compétitivité de notre pays.

Je mesure, bien entendu, le poids et la responsabilité que d'être à la tête d'une collectivité riche de 16 000 salariés, ingénieurs, chercheurs, techniciens, personnels administratifs, tous de haut niveau – pour bien les connaître. Ils ont su faire reconnaître dans le monde entier la qualité de la recherche scientifique et de la technologie française, et assurer à notre pays une dissuasion crédible.

Je suis un ingénieur et un chercheur, et il me semble que ces compétences ont beaucoup de sens pour un organisme comme le CEA. Je suis diplômé de l'École centrale de Paris, et je suis rentré immédiatement au CEA en 1977, pour accomplir mon service national. J'ai effectué toute ma carrière au sein de la direction des applications militaires, tout en ayant exercé une fonction de directeur scientifique pour la simulation numérique, auprès du Haut-commissaire à l'énergie atomique, M. René Pellat.

Je suis un mathématicien et un informaticien de formation. J'ai occupé successivement divers postes de recherche et de management au sein du CEA. C'est ainsi que j'ai été le premier directeur du programme de simulation ; que j'ai par la suite dirigé le centre du CEA en Ile-de-France à Bruyères-le-Châtel, avant d'être nommé, en 2007, directeur des applications militaires.

Dans le paysage de la recherche française, le CEA occupe une position originale. Il est l'un des rares organismes qui a été bâti autour d'une thématique, le nucléaire, avec, de plus, la capacité d'intervenir sur toute la chaîne de création de valeur, de la recherche à l'industrie, comme le rappelle sa devise.

Ce positionnement, voulu par ses deux créateurs, le général de Gaulle et Frédéric Joliot-Curie, éclaire toujours aujourd'hui, avec la même pertinence, l'organisation qui est la sienne. Le CEA est organisé autour de cinq grands pôles opérationnels : la direction des sciences de la matière, la direction de l'énergie nucléaire, la direction des applications militaires, la direction de la recherche technologique et la direction des sciences du vivant.

Comme cette organisation est parfois questionnée, j'aimerais prendre quelques instants pour vous rappeler le sens de celle-ci. Tout d'abord, rappelons que la physique nucléaire est la fille aînée de la physique et de la science : le premier des pôles du CEA est donc la direction des sciences de la matière, largement ouverte à la coopération avec la communauté de la recherche. Elle doit apporter à l'ensemble de l'organisme les savoirs fondamentaux dont elle a besoin.

Les deux directions suivantes ont pour objet, au contraire, de réaliser les applications civiles et militaires de « l'atome », découlant des recherches fondamentales. La direction de l'énergie nucléaire est en charge du support aux industriels et de la recherche appliquée pour l'ensemble du cycle du combustible. La direction des applications militaires a, quant à elle, la charge de développer la partie nucléaire des programmes d'armement de la dissuasion, la lutte contre la prolifération et le pilotage des programmes de sécurité qui sont confiés au CEA – c'est important, surtout en ce moment.

L'actuelle direction de la recherche technologique – parfois appelée « CEA Tech » – a pour mission principale d'utiliser et de transférer vers l'industrie française tous les savoirs, technologies, méthodes développés dans l'ensemble du CEA. Il faut les identifier, les découvrir, et savoir les appliquer au profit, notamment, des PME, pour qu'elles puissent développer des produits compétitifs.

Il faut se souvenir que l'innovation est rarement l'application d'un seul savoir, d'une seule thématique. C'est le croisement, la combinaison de plusieurs résultats, de plusieurs domaines. La bonne utilisation des énergies renouvelables, par exemple, nécessite de croiser des savoirs, des connaissances et des technologies à la fois dans le domaine des matériaux, des semi-conducteurs comme des technologies de l'information. Ce modèle de la DRT, qui peut paraître surprenant, se justifie donc car cette direction se ressource en permanence en puisant des résultats dans les travaux qui ont été financés sur les programmes nucléaires.

Enfin, il faut aussi s'en souvenir, lorsqu'ont été découvertes les premières propriétés du noyau des atomes, les scientifiques ont pris conscience que les interactions entre les rayonnements et le vivant pouvaient présenter des dangers. C'est pourquoi F. Joliot-Curie, dès la création du CEA, a souhaité que soient étudiées ces interactions, pour mieux s'en protéger et pour bien appliquer ces connaissances. C'est la mission de la direction des sciences du vivant du CEA. A-t-elle sa place au sein de cet organisme ? Mais qui mieux que cette direction pourrait étudier les conséquences des rayonnements sur le vivant ?

Depuis sa création, le CEA a accompli sa mission sans faille, d'une part en apportant à la France le bénéfice de nombreuses applications de la science nucléaire, et d'autre part en valorisant ses travaux au travers d'applications non nucléaires transférées à notre industrie. Aussi, je veux rendre hommage à tous ses personnels, qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour la science de notre pays, et en particulier aux hauts-commissaires et aux administrateurs généraux qui m'ont précédé, de Frédéric Joliot-Curie à Yves Bréchet, et de Raoul Dautry à Bernard Bigot, qui fut mon patron pendant six ans.

L'avenir est caractérisé par l'absolue nécessité d'une transition énergétique. Nos sociétés occidentales modernes se sont développées depuis un siècle en s'appuyant sur les énergies fossiles, dont les réserves sont limitées et dont la consommation génère des pollutions nocives pour la santé et amplifie l'effet de serre. Il s'agit donc d'aller vers une consommation sobre en énergie, de faire appel à des énergies faiblement émettrices de carbone et d'améliorer très sensiblement l'efficacité énergétique.

Outre la défense et la sécurité, le CEA conduit aujourd'hui deux grandes catégories de programme : les énergies décarbonées, d'une part, et les technologies pour la santé et la communication, d'autre part. Le gouvernement a également demandé au CEA de contribuer au redressement industriel de notre pays, notamment par la création de plateformes régionales de transfert technologique, les PRTT. Celles-ci répondent aux enjeux de la transition énergétique et s'inscrivent parfaitement dans le positionnement du CEA, à condition toutefois que les projets qui les déclinent soient clairement bordés et ne créent pas de redondances avec ceux mis en oeuvre par d'autres organismes de recherche ou d'autres entreprises sur les mêmes thématiques. Je pense, en effet, que la France n'est plus assez riche pour financer des doublons, sauf lorsqu'ils sont voulus par le Gouvernement afin de stimuler une concurrence qui serait nécessaire.

Contribuer à la réindustrialisation de la France constitue un devoir pour le CEA, d'autant plus que le CEA s'est doté, au travers de la direction de la recherche technologique, d'un outil exceptionnel de soutien et de transfert de savoirs et de technologies vers les PME et, plus généralement, vers le tissu industriel français. Cette action doit être conduite en étroite collaboration non seulement avec les régions et les départements, mais également avec les organismes de recherche déjà présents localement. À l'avenir, le CEA doit poursuivre ces programmes et faire face à six enjeux majeurs.

Tout d'abord, le CEA, qui fêtera l'âge respectable de soixante-dix ans cette année, a des modes de fonctionnement qui sont le fruit de l'héritage. Pour continuer d'aller de l'avant, un enjeu important pour le CEA sera donc de s'interroger sur sa gouvernance par le Gouvernement comme sur sa gouvernance interne. Un de mes objectifs sera, si vous acceptez ma nomination, de conforter la confiance que ses ministères de tutelle et le Parlement lui accordent, afin que chacun dispose de la visibilité nécessaire sur les choix programmatiques de l'organisme et leur exécution.

Ensuite, le second enjeu est de préserver l'équilibre financier du CEA. Le redressement des comptes publics de l'État a conduit le Gouvernement à demander des efforts accrus aux organismes et à l'administration, ce qui a conduit le CEA à renforcer le dialogue avec ses ministères de tutelle afin d'identifier les priorités et d'arrêter les budgets en conséquence. Le CEA sera ainsi très probablement amené, dans les mois qui viennent, à se réinterroger sur les calendriers et la conduite des projets dont il est responsable.

Le troisième enjeu est de poursuivre la démarche d'amélioration de la sûreté et de la sécurité que le CEA met en oeuvre pour que le nucléaire reste un atout pour la France. L'accident majeur de Fukushima Daiichi a conduit le CEA à élaborer un plan de mesures complémentaires de sûreté conformément aux prescriptions de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qu'il s'agit évidemment de mener à son terme. Par ailleurs, le CEA doit aujourd'hui mettre en application de nouvelles mesures de protection des matières nucléaires pour satisfaire aux exigences de la réglementation en vigueur.

Le quatrième enjeu concerne le soutien de la filière nucléaire française et, plus généralement, l'appui aux industriels de l'énergie. Il est donc fondamental que le CEA poursuive ses partenariats avec AREVA et EDF et s'attache par ailleurs à en développer de nouveaux dans les autres secteurs industriels. La démarche de participation à la réindustrialisation de la France, qui a déjà été largement entamée, doit être amplifiée, notamment grâce à la montée en puissance des PRTT existantes et leur extension à d'autres régions.

D'une manière symétrique, les relations scientifiques qu'a su développer le CEA avec les laboratoires du monde entier sont une source de bénéfice et de rayonnement pour la recherche française. Il conviendra donc d'entretenir cette démarche en élargissant le périmètre des accords déjà existants avec les partenaires français ou étrangers et de conforter la stratégie de développement à l'international.

Depuis le début des années 2000, le CEA s'est attaché à développer autour de chacun de ses établissements régionaux des zones partagées avec les établissements de formation locaux, les laboratoires de recherche et les industriels. Le cinquième enjeu est donc de poursuivre cette démarche, y compris en ce qui concerne les centres de la direction des applications militaires, et de participer, en tant que membre fondateur proactif, au développement de l'Université Paris-Saclay.

Le dernier enjeu, probablement le plus important, a trait au personnel de l'établissement public. Le CEA n'a d'autres valeurs que celles de ses personnels ; son rayonnement exceptionnel tient à la qualité de leurs travaux. Il conviendra donc, en cette période où les augmentations salariales sont peu abondantes, pour ne pas dire inexistantes, de préserver la motivation de ses salariés, qui sont dévoués et attachés à la mission du CEA. La richesse du dialogue social faisant la force de cet organisme, il faudra s'attacher à la préserver, afin qu'il soit le vecteur de la compréhension de la politique du CEA et de la politique énergétique de la France. J'ai la volonté de faire en sorte que chaque salarié se sente bien au travail et mesure la contribution qu'il apporte au CEA.

Si vous me le permettez, il m'appartiendra de relever, avec tous les personnels du CEA, les défis que je viens de vous exposer.

Je vous remercie de votre attention.

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