Intervention de Daniel Verwaerde

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Daniel Verwaerde :

Tout d'abord, l'enjeu du démantèlement des centrales en fin de durée de vie est extrêmement important. L'exigence de démantèlement comprend également l'ensemble des laboratoires et usines qui contribuent au nucléaire et qui doivent bénéficier des mêmes techniques et des mêmes technologies. Il y a des enjeux communs de sûreté et de protection de l'environnement très importants. C'est aussi un programme onéreux mais la France n'est pas la seule à poursuivre ce devoir de déconstruction des installations lorsqu'elles cessent d'être exploitées. C'est à la fois une charge financière mais également une chance pour la France et son industrie.

Le plus important dans le démantèlement est la maîtrise de l'état de l'installation au moment où on l'arrête. L'une des difficultés réside dans leur ancienneté : nous sommes confrontés à un problème de traçabilité car elles ont été construites avec des méthodes que nous ne pratiquons plus aujourd'hui. Avec Areva et l'IRSN, nous pouvons développer des méthodes, des savoir-faire, des technologies qui seront créatrices d'emplois en même temps qu'elles apporteront des solutions de démantèlement.

Un autre aspect connexe est celui de la gestion des déchets radioactifs. Il faut anticiper l'évolution chimique et physique de ces déchets, ce qui nécessite une R&D importante. C'est à la fois un poste coûteux et en même temps une opportunité économique.

Sur le projet de loi relatif à la transition énergétique, il est clair que l'avenir passe par la transition énergétique et que le CEA doit s'y inscrire. Faut-il traduire cela par un changement d'organisation dans les directions ? Aujourd'hui, les nouvelles technologies de l'énergie ne sont pas le monopole de la DRT. La DRT est l'interface permanente avec le monde industriel et économique français mais les nouvelles technologies concernent la plupart des pôles du CEA. La direction des sciences du vivant s'intéresse à des technologies permettant de produire des énergies à partir de micro-algues ou autres. La direction des sciences de la matière développe également des nouvelles technologies de stockage de l'énergie par une recherche très fondamentale. La direction des applications militaires développe des technologies de stockage de l'énergie, en particulier de l'hydrogène. Il y a aujourd'hui des actions conduites et coordonnée par la DRT mais également par l'ensemble des pôles. La question se pose désormais de tout rassembler en un même pôle.

La décision a été prise, pour des raisons économiques, d'arrêter l'exploitation d'Osiris à la fin 2015. L'Académie de médecine a été consultée sur le sujet et d'après ce que j'ai cru comprendre, l'arrêt est possible sans qu'il y ait des conséquences majeures sur la santé publique. Je ne peux pas en dire beaucoup plus à ce stade. Il semble exister un certain consensus sur la fermeture, c'est aussi l'occasion de voir si des technologies alternatives peuvent être utilisées. Quoi qu'il en soit, si je suis nommé administrateur général, je me saisirai pleinement du dossier.

La transition énergétique va promouvoir des énergies intermittentes, cela nous renvoie à l'enjeu fondamental du stockage. Au CEA, nous travaillons notamment sur les batteries – avec un aspect important lié à la sécurité –, ainsi que sur le stockage de l'hydrogène.

Vous m'avez interrogé sur la ligne de partage entre ce que fait le CEA et ce que font les autres organismes. Les efforts doivent être poursuivis et le dialogue renforcé pour que les actions soient mieux réparties et, surtout, pour éviter les redondances. À l'heure où les moyens économiques et budgétaires sont fortement contraints, il est nécessaire de raisonner en termes de coordination et d'alliance. L'État doit par ailleurs être en mesure d'arbitrer plus souvent entre les organismes.

Je ne connais pas le détail de l'opération de cession de 340 millions d'euros de titres d'Areva qui ont été cédés par le CEA à l'État. Mais, d'une manière générale, l'État a proposé ce mécanisme dans le cadre d'une convention triennale pour le démantèlement des anciennes installations nucléaires mises en service avant le 31 décembre 2009. Il existait des fonds dédiés pour les installations défense et pour les installations civiles mais ils sont épuisés depuis 2011. La convention triennale permet de poursuivre ce travail de démantèlement, avec pour partie une subvention, pour partie un abondement par cession de titres. Je me réserve le droit de vérifier mes propos sur ce sujet, dont je n'ai pas eu à m'occuper lors de mes anciennes fonctions et que je ne connais donc pas parfaitement.

Les plateformes régionales de transfert technologique constituent une initiative extrêmement ambitieuse. Elles nécessitent de la part du CEA une certaine prise de risque. Le financement de ces transferts de technologies du monde de la recherche vers le monde industriel ne provient pas de la subvention mais des aides régionales ou des ressources propres des industriels intéressés. Trois PRTT ont été créées dans les régions Pays de la Loire, Midi-Pyrénées et Aquitaine tandis qu'une existait de facto en région PACA. Une autre existe désormais aussi en Lorraine. Quel bilan peut-on en tirer ? Jean Therme, directeur de CEA Tech, s'était donné des objectifs chiffrés, qui ont été atteints. Le volume de transferts est cependant modeste, il ne s'agit que de la première année. Dans tous les cas, cela donne envie de continuer. Il faut amplifier les PRTT existantes et en créer de nouvelles, dans des régions où le tissu industriel sera peut-être moins facilement accessible.

Vous m'avez interrogé sur la répartition des compétences entre l'administrateur général et le haut-commissaire. Quoi qu'il en soit, j'ai envie de vous répondre que le CEA n'a qu'un seul patron, c'est l'État. Je pense que le haut-commissaire devrait davantage s'impliquer dans le fonctionnement interne du CEA. Si je suis désigné administrateur général, je souhaite pouvoir m'appuyer sur un haut-commissaire qui soit force de propositions. Dans cette perspective, je me suis rapproché d'Yves Bréchet, que je connais depuis longtemps. Il s'est montré favorable à la plus grande implication que j'appelle de mes voeux. Il est bon qu'un grand scientifique puisse être porteur des grandes idées sur le long terme. Ce qui n'empêche pas que la gestion quotidienne demeure du ressort de l'administrateur général.

Le CEA a 70 ans. Certains considèrent peut-être que j'en ai fait une présentation datée mais il faut avoir conscience que cet organisme porte aussi en son sein des structures du passé qu'il s'agit de faire évoluer. Le Gouvernement et la représentation parlementaire ont sûrement besoin d'avoir davantage de visibilité sur nos actions. Ce ne serait pas une mauvaise chose qu'à l'occasion du vote du budget, le CEA vienne devant les députés dresser le bilan des actions de l'année écoulée et qu'il présente les perspectives en rapport avec les crédits qui lui sont alloués pour l'année à venir. De même, au niveau gouvernemental, il y a quatre ministères de tutelle. Il faudrait que chacun ait une meilleure visibilité des programmes qui le concernent.

Les difficultés rencontrées par Areva s'expliquent par des anticipations de redémarrage de l'activité nucléaire qui ne se sont pas réalisées. S'agissant du cas particulier du mauvais rendement des mines qui ont été acquises, je serais bien incapable de vous donner un jugement : je ne suis pas géologue. Mais le diagnostic sur l'entreprise me semble clair : les difficultés d'aujourd'hui résultent d'une politique d'investissement qui, à un moment donné, a été trop ambitieuse car elle s'est fondée sur de mauvaises hypothèses. Je demeure optimiste : le personnel d'Areva est d'une très grande compétence. Ses ingénieurs sont d'une grande qualité – je connais particulièrement ceux d'Areva TA – et les réunions internationales montrent qu'ils n'ont en aucun cas à rougir face à leurs homologues américains ou russes.

Comment expliquer l'implication du CEA dans le big data ? Le nucléaire s'appuie sur des travaux physiques, il nécessite de grandes installations pour observer la matière, qui engendrent beaucoup de calculs. Le calcul numérique, les ordinateurs de grande capacité sont inhérents à la physique. C'est pour cela que le CEA les utilise et a développé une véritable connaissance de ces instruments. Comme, sur ces sujets, les constructeurs sont à la limite de ce qu'ils savent faire, nous participons à l'élaboration des ordinateurs et des logiciels avec eux. Je le répète, cette activité dans le domaine du big data est une conséquence logique de notre coeur de métier qui est la physique.

La même réflexion vaut pour la micro-électronique. Le CEA dispose, avec le LETI, à Grenoble, d'un laboratoire de grande renommée que beaucoup pensent d'ailleurs indépendant. L'implication du CEA dans ce domaine est liée à l'instrumentation pour les mesures physiques. Le CEA se met au service de l'industrie : la présence de STMicroelectronics à Crolles doit beaucoup à la présence du LETI, qui ne possède qu'un seul équivalent en Europe, le laboratoire IMEC en Belgique. L'entreprise a la chance de pouvoir utiliser une partie de notre R&D.

Que penser des déclarations de Ségolène sur le déploiement de réacteurs nucléaires de nouvelle génération en France ? Il faut étudier en détail les conséquences de cette proposition, en partant des constats effectués sur le parc existant. Ce dernier offre une bonne fiabilité et une sûreté améliorée à chaque visite décennale. Il n'en demeure pas moins qu'il a été construit avec les standards d'alors, qui sont forcément moins élevés que ceux d'aujourd'hui. L'enjeu actuel est économique : est-il plus intéressant de travailler sur l'existant ou de construire de nouvelles centrales ? C'est une question d'optimum économique qui doit être examinée par des spécialistes.

Le CEA travail avec d'autres grands organismes de recherche : le CNRS, l'INSERM et, dans le domaine du nucléaire, l'IRSN et l'ANDRA. La France ne peut plus se permettre d'entretenir les mêmes programmes dans différents établissements. Dans certaines conditions, la compétition est saine – pourvu qu'elle se termine dans le bon esprit comme au rugby –, mais les ressources financières limitées de notre pays obligent à faire des choix. Il faut par conséquent développer le dialogue et l'harmonisation des travaux entre les organismes. Par exemple, il serait tout à fait inutile de développer notre propre expertise sur la question de la modélisation des accidents nucléaires graves : l'IRSN a développé des outils performants et il n'y a pas de raisons de ne pas utiliser leur travail.

S'agissant des inquiétudes du personnel de Cadarache, la radioprotection est l'un des domaines importants du CEA. Les directives européennes nous obligent à clarifier la position du contrôleur vis-à-vis de l'exploitant. La question qui se posait était la suivante : le contrôleur peut-il être le conseiller de l'exploitant lorsqu'il n'exerce pas une activité de contrôle ? Il est désormais souhaité que ce ne soit pas le cas. Cette règle nouvelle impose de repositionner les équipes, pour qui la disparition d'une partie de leur activité génère des inquiétudes bien compréhensibles. Ce sujet figure dans mes priorités immédiates.

Il me semble nécessaire de préserver les petits laboratoires comme celui de Modane, sans oublier toute fois qu'ils doivent chacun s'insérer dans le projet national d'ensemble du CEA. Comme Bernard Bigot a dû vous le répéter, notre établissement fait face à des budgets sans cesse contraints.

Monsieur Baupin, je suis certain que M. Bigot vous a déclaré que la sûreté nucléaire ne pouvait aller qu'en augmentant et que le projet de nucléaire de 4e génération ASTRID ne pouvait faire exception à cette règle. Une fois ce principe posé, il me semble que ce sont les détails qui auront toute leur importance, dans la mesure où les leviers de sûreté, les « points clés », seront sans doute différents de ceux des réacteurs à eau pressurisée de génération inférieure. Nous devons mettre du concret sur ces questions, en totale collaboration avec l'ASN et l'IRSN.

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