Monsieur le ministre, vous proposez de supprimer un monopole alors même que le Conseil d'État estime que l'étude d'impact est lacunaire et présente de graves insuffisances. Êtes-vous en mesure d'évaluer les conséquences chiffrées, pour ce secteur économique, de la suppression de la postulation au niveau du tribunal de grande instance – TGI – et de son extension au ressort de la cour d'appel ? Si oui, nous pourrons en débattre ; sinon, est-il responsable de prendre une telle décision sans examen ? Est-il urgent de le faire ?
Vous n'évoquez aucune indemnisation. Certes, vous affirmez qu'il ne s'agit pas de supprimer, mais d'étendre le monopole de la postulation au ressort de la cour d'appel ; cependant, cette réforme augmentera le nombre de professionnels dans un secteur donné. Il s'agit donc bien d'une mesure susceptible de porter atteinte à leur activité.
Elle risque surtout de fragiliser le maillage territorial : les petits barreaux – une centaine sur cent soixante – qui tirent leur justification même de leur rattachement à un tribunal – d'où l'expression « un barreau près le TGI de… » – disparaîtront petit à petit, ce qui entraînera des carences en matière d'assistance juridique et pénale. Cette conséquence mécanique n'a pas été évaluée.
Par ailleurs, comment procédera-t-on techniquement puisque le réseau privé virtuel des avocats – RPVA –, qui fonctionne entre un barreau et son TGI, ne fonctionne pas pour l'instant entre les TGI d'une même cour d'appel ? La seule solution serait de pallier ce problème dans le délai d'un an que vous proposez de respecter.
L'étude d'impact menée par le cabinet Ernst & Young à la demande du Conseil national des barreaux – CNB – montre que la suppression de la postulation correspondrait pour les professionnels concernés à une perte de 52 millions d'euros. Devant ces difficultés, et puisqu'il n'y a pas urgence à agir, prenons le temps de débattre des évolutions à imprimer à ce secteur. Supprimer ce monopole paraît d'autant plus inopportun que, interrogés par la mission d'information, les premiers présidents de cours d'appel ont témoigné des problèmes qu'a entraînés la suppression des avoués à la cour, appelant à la plus grande prudence dans la réforme de la postulation. En effet, ils préfèrent avoir affaire à quelques interlocuteurs fiables et connus qu'à un nombre incalculable d'intervenants. Alors qu'il s'exprimait lundi devant le Premier ministre et la garde des Sceaux, le premier président de la Cour de cassation a exprimé la même préoccupation s'agissant des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et a insisté sur la nécessité de disposer d'un barreau spécifique.
Serait-il possible que tous ces professionnels, qui connaissent intimement le fonctionnement de la justice, se trompent et que vous, monsieur le ministre, ayez raison ? Peut-on rayer toute une organisation d'un trait de plume et engager l'avenir d'un secteur économique sans étude d'impact, au seul prétexte que cela serait moderne ?