Intervention de Jean Launay

Réunion du 14 janvier 2015 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay, rapporteur :

Je vous remercie de m'avoir confié cette mission mais avant de vous en présenter les conclusions, vous me permettrez d'avoir une pensée pour Bernard Maris, grand économiste, que j'avais eu l'occasion de côtoyer. Je souhaite lui dédier ce modeste travail.

J'aborderais le sujet qui m'a été confié à travers cinq points : le service public et les services au public ; l'aménagement du territoire ; un focus sur La Poste ; un focus sur Internet et un focus sur la modernisation de l'action publique. Ces cinq points sont une forme de défi pour notre pays. J'expliquerai, en conclusion, comment en les reliant grâce à un sixième point qui est la cohérence et la volonté politique, on forme un hexagone qui peut permettre finalement de trouver des solutions opérationnelles pour notre pays.

Le premier point que je voulais traiter est celui du service public car la proximité et l'égalité des Français devant les services publics est un enjeu politique. Mon parcours personnel a été celui d'un comptable public. J'ai vécu, en tant que député, l'épisode de la « Mission 2003 » qui avait été confiée à MM. Thierry Bert et Paul Champsaur, pour réaliser ce qui n'a été concrétisé que récemment, à savoir la fusion de la direction générale des impôts et du Trésor public, dont a résulté la direction générale des finances publiques. Cette mission avait été, à l'époque, un échec et j'avais été, dans la foulée, nommé parlementaire en mission par M. Lionel Jospin auprès de M. Laurent Fabius. Cela m'avait permis de mesurer sur les territoires les dégâts de la méthode, de renouer aussi un dialogue social qui avait été malmené pour déboucher sur des propositions relatives à la création de maisons de services publics à caractère économique et financier.

Je suis également un élu rural et la lecture croisée de l'ouvrage La France périphérique de M. Christophe Guilluy et du rapport de M. Alain Bertrand, sénateur de la Lozère, sur « L'hyper-ruralité » m'ont rendu conscient plus encore des attentes et des exigences relatives au besoin de sécurisation des services publics et de leur qualité comparable en tout point du territoire.

J'ai fait le constat que les réseaux de l'État déconcentré se sont souvent déjà contractés et que s'il existe un besoin de mutualisation et de professionnalisation des services, il est toujours vécu, dans les territoires ruraux, comme une mesure de recul par rapport au positionnement géographique des services. Ainsi, des réponses ont été apportées par l'État au-delà des échéances électorales et des variations politiques par le concept de « maisons de services publics ». Je rappelle dans ce rapport, pour mémoire, les dispositifs mis en place au fil du temps sur le territoire pour afficher ce souci permanent de la présence des services publics afin d'enrayer une baisse tendancielle de la présence des services concentrés de l'État ou pour tenter de coordonner les différents intervenants qui portent des missions de service public. On a observé successivement, la mise en place de points d'information et de médiation multi-services, de maisons de l'emploi, de maisons départementales, de cyber bases et des maisons de services publics après une première dénomination qui a été celle de « réseaux de services publics ». Ces derniers avaient été mis en place par la Conférence nationale des services publics en milieu rural en 2005 et les maisons de services publics en ont pris le relais, sur la base du Conseil interministériel d'aménagement et de développement du territoire – CIADT – du 11 mai 2010 qui explicitait les conditions du renforcement de l'accès aux services au public dans les territoires ruraux.

Je souhaite également citer le rapport de nos collègues Carole Delga, alors députée de la Haute-Garonne, et Pierre Morel-À-L'Huissier, député de la Lozère, qui soulignaient, en 2013, la nécessité de mutualiser les moyens à travers une rapide relance des missions de service public, d'encourager l'interaction des services et de s'appuyer sur les réseaux existants. On compte aujourd'hui environ 360 maisons de services publics. Sur ce point, je souhaite rappeler les engagements du Premier ministre d'alors, Jean-Marc Ayrault, devant le Congrès des maires de France le 19 novembre 2013, de porter le nombre de maisons de services publics durant la législature à mille, la nécessité de penser aux territoires les moins denses, la mutualisation considérée comme un outil pertinent et le financement par un fonds qui devait être créé en 2014 et doté, à terme, de 35 millions d'euros par an, pour financer 50 % des coûts de fonctionnement de ce réseau. Pour conclure sur ce premier point, je crois qu'il faut conserver ce cap donné, accélérer la cadence, développer un modèle plus volontariste et faire mieux et, pourquoi pas, moins cher.

Le deuxième point sera consacré à la réalité de l'aménagement du territoire. Plusieurs lois y ont été consacrées dont la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire et la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales, qui évoque les règles d'accessibilité et d'adaptabilité concernant cette dernière. La règle d'accessibilité signifie que 10 % de la population au plus d'un département ne peut se situer à plus de 5 kilomètres ou plus de 20 minutes en trajet automobile d'un point de contact de La Poste. La loi détermine le nombre de points de contact à 17 000.

La règle d'adaptabilité concerne les réseaux de points de contact. Ces obligations d'aménagement du territoire génèrent des coûts, lesquels sont évalués par la méthode dite des « coûts nets » qui détermine la marge supplémentaire que ferait l'entreprise La Poste, en l'absence de ces obligations. Concernant la mission d'aménagement d'un territoire pour La Poste, la marge supplémentaire serait donc celle liée aux économies de coûts qui seraient réalisées si on supprimait des points de contact. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – ARCEP – évalue ce coût à 251 millions d'euros pour l'année 2013. Pour être complet, La Poste reçoit aujourd'hui 169 millions d'euros, en abattement de fiscalité locale, qui alimentent le fonds de péréquation de la présence postale territoriale. Il existe donc un différentiel de 82 millions d'euros, ce qui n'est pas neutre.

Le troisième point concerne la situation de l'entreprise La Poste. Ces 17 000 points de contact inscrits dans la loi sont de trois natures différentes. Il y a d'abord le réseau commercial comportant 2 800 points qui seraient déployés même si La Poste n'était pas investie de missions de service public – réseau minimum resserré. Si l'on y ajoute les 4 800 points dits du réseau d'accessibilité, on obtient 7 600 bureaux et ces bureaux-là donnent son sens au service universel postal. Il faut encore ajouter 9 400 points au réseau – le réseau complémentaire – pour obtenir les 17 000 points de contact. On atteint ainsi le cadre total de la mission d'aménagement du territoire. C'est donc cela qui définit la règle d'adaptabilité que j'ai citée précédemment. Pour remplir sa mission d'aménagement du territoire, La Poste adapte son réseau de points de contact par la conclusion de partenariats locaux publics ou privés et en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Ce sont les agences postales communales ou les relais-poste commerçants que l'on trouve sur nos territoires.

Parmi les 9 400 points du réseau de contact complémentaire, l'ARCEP recense 2 500 bureaux et en estime le coût fixe à 60 000 euros par an, ce qui représente une somme de 150 millions d'euros par an. Le coût fixe des bureaux complémentaires qui sont en partenariat – agence postale communale ou relais-poste commerçant – est estimé à 15 000 euros par an. On voit bien que La Poste a intérêt à transformer ses bureaux à faible activité en points partenaires.

Mais il est clair également que si on laisse la Poste gérer seule cette question, sans s'occuper de l'équilibre des territoires, on s'expose à des difficultés à venir en termes d'accès du public à la totalité de la gamme des services de La Poste.

Je souhaite préciser à ce sujet que la Poste est un groupe qui compte 260 000 emplois dont 220 000 en France. Les impacts de sa politique ne sont donc pas neutres sur notre territoire. Le courrier, élément emblématique de l'activité de La Poste, voit son trafic baisser de façon importante et de plus en plus : aujourd'hui, environ 50 millions de chiffre d'affaires sont perdus par mois par l'activité courrier, ce qui fait 700 millions de moins par an. Cela impose à La Poste de se transformer rapidement pour compenser cette baisse car il faut avoir le courage de constater que ce déclin n'a pas fini de s'opérer.

Il faut aussi remarquer la baisse de fréquentation des bureaux de 7 % par an en moyenne sur les trois dernières années. C'est une évolution de long terme qui est constatée par notre collègue Michèle Bonneton dans son rapport pour avis sur le budget de La Poste.

Pour ce qui est de la concertation et du dialogue avec les élus locaux, il y a deux points à souligner : d'une part, les commissions départementales de présence postale territoriale, commissions qui regroupent des représentants de l'État, des élus et des représentants de La Poste, sont un modèle de concertation territoriale qui fonctionne. D'autre part, dans les souhaits de transformer des bureaux à faible activité en bureaux partenaires, rien ne peut se faire sans un accord partagé avec les élus locaux mais on constate, aujourd'hui, que ce processus de transformation est en train de s'essouffler.

Le quatrième point que je voudrais traiter est la question de l'internet et des communications électroniques. Je souhaite citer à ce propos plusieurs travaux, M. Joël Toledano qui a siégé au collège de l'ARCEP, estime que la numérisation modifie les chaînes de valeur au plus profond de l'économie française et conduit à un transfert vers les pays émergents. Dans leur rapport sur l'économie numérique, nos collègues Corinne Erhel et Laure de La Raudière ont relevé les secteurs impactés, à savoir la distribution au sens large, le transport et les transactions, activités qui entrent dans le champ de La Poste. Il convient de citer également La souveraineté numérique, écrit par M. Pierre Bellanger, PDG de Skyrock : « Internet n'est pas venu s'ajouter au monde que nous connaissons, il est venu le remplacer ». Il cite La Poste comme un outil puissant combinant des données personnelles et la logistique grâce à sa capacité à joindre chaque individu où qu'il se trouve. Enfin, M. Philippe Lemoine, dans son rapport sur « La transformation numérique de l'économie » présenté en novembre 2014, cite plusieurs fois La Poste pour son aide logistique en soulignant plusieurs projets emblématiques où elle pourrait intervenir.

Je constate également que La Poste a d'ores et déjà constitué une nouvelle activité numérique qui réunit 5 000 employés dont 1 000 ingénieurs. Elle est donc dès aujourd'hui un acteur important du monde numérique. Le service laposte.net est antérieur à gmail.com. La Poste a créé l'événement au dernier Consumer Electronics Show de Las Vegas par ses filiales comme Docapost. Elle est à l'origine de ce qu'on appelle déjà le coffre-fort numérique ; elle bénéficie à cet égard d'une culture historique du secret des correspondances : l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information – ANSSI – a testé cette sécurité avec succès. La Poste est donc très bien placée pour être un outil d'intégration d'internet dans l'action publique.

Mon cinquième point porte sur la nécessité de la modernisation de l'action publique.

La Datar estimait déjà en 2012 que la prise en compte de l'existant en matière de service public est un prérequis important avant de décider de la création d'un nouvel espace sur un territoire rural. Elle ajoutait que la combinaison de plusieurs types d'espace pourrait être approfondie afin de confirmer leur faisabilité. Ceci est un encouragement à l'accélération de la mise en place concrète des maisons de service public.

Je souhaite également citer M. Jean-Ludovic Silicani, ancien président de l'ARCEP, dont je n'oublie pas qu'il a été commissaire à la réforme de l'État en 1997 et qu'il avait inspiré la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration. Il nous rappelait, à la Sorbonne le 18 décembre 2014, que La Poste pourrait devenir le grand opérateur des services publics présents sur l'ensemble du territoire et héberger physiquement et virtuellement les maisons de service public. Ce pourrait être un moyen de maintenir une proximité d'accès de multiples service d'intérêt général relevant de l'État ou d'autres acteurs, tout en étant économe des deniers publics, disait-il.

L'une de mes principales recommandations sera donc de capitaliser sur le savoir-faire de La Poste pour adosser des maisons de service public aux bureaux de poste en en proposant immédiatement une dizaine par département, en contribution directe aux travaux de modernisation de l'action publique conduits par M. Thierry Mandon, secrétaire d'État à la réforme de l'État et à la simplification. Il s'agit de clarifier l'offre actuelle de services publics territoriaux en demandant à La Poste d'accueillir ces structures précisément dans les bureaux du réseau complémentaire qui sont les plus fragiles pour éviter d'avoir à les faire basculer en relais poste commerçant ou en agence postale communale. Ces maisons participeraient ainsi de fait au cofinancement du service public décentralisé. Je suis convaincu que la contribution de l'État baisserait en proportion de l'arrivée de partenaires nouveaux dans un modèle contractuel à définir. Il y aurait ainsi deux gagnants : l'État, qui doit s'engager dans des mutualisations, et les citoyens, dont l'accès aux services publics serait amélioré par une plus grande proximité.

Si une décision politique est prise, la méthode à suivre me paraît simple. Il faut renvoyer à l'Observatoire national de présence postale le soin d'examiner cette proposition et d'organiser des consultations avec les commissions départementales de présence postale territoriale afin de choisir les endroits les plus judicieux. Il conviendra de fixer des conditions parmi lesquelles un minimum d'heures d'ouverture ainsi qu'un minimum de surface disponible.

Après cette présentation en cinq points, je souhaite anticiper quelques questions. D'abord, pour répondre au reproche de faire financer un plan social à La Poste par le biais des maisons de services publics. Il s'agit bien au contraire d'adaptabilité et de la recherche d'une meilleure efficacité économie et sociale. Je rappelle qu'il n'y a pas de plan social à La Poste, contrairement à Air France ou la SNCF qui ont annoncé des suppressions d'emploi. Alors que le chiffre d'affaires de l'activité courrier se réduit, on ne pourrait reprocher à La Poste de s'engager dans un plan stratégique. À d'autres, qui pourraient sous-entendre que ce rapport serait inutile, je confirme que ce travail est élaboré sur la base de convictions et j'insiste sur le fait qu'il faut dépasser les opinions jacobines, les points de vue centralisateurs, exprimés par ceux dont l'horizon ne dépasse pas le périphérique. On ne peut avoir le souci des équilibres financiers et penser que cela doit toujours se faire sur le dos des plus fragiles qu'il s'agisse des hommes ou des territoires.

Pour terminer, je voudrais aborder le sixième point, nécessaire, qui concerne la cohérence de l'action publique.

Nous pouvons nous appuyer sur le droit : la Commission européenne considère la mission d'aménagement du territoire de La Poste comme un service d'intérêt économique général – SIEG. Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne souligne l'importance des SIEG dans son article 14, tandis que le protocole 26 affirme que les États membres sont libres de créer et d'organiser leurs services d'intérêt économique général, en vertu du principe de subsidiarité. Une compensation financière peut même être octroyée aux entreprises chargées d'un SIEG pour compenser les obligations attenantes. C'est ce qui a été fait le 26 mai 2014 : les aides d'État sur la présence territoriale et la distribution de la presse ont été approuvées par la Commission européenne comme mesure de compensation, eu égard aux missions que La Poste remplit. M. Joaquin Almunia, vice-président de la Commission en charge de la politique de la concurrence avait déclaré à cette occasion que cela permettrait à La Poste de remplir ses missions de service public importantes sans fausser indument la concurrence.

Nous pouvons donc nous appuyer sur des constats partagés, notamment sur le rapport de Carole Delga et de Pierre Morel-À-L'Huissier qui précise qu'une politique volontariste et moderne de l'amélioration de l'accessibilité des services au public implique de s'appuyer sur les réseaux existants afin de diversifier l'offre dans les territoires fragiles. Plutôt que d'accumuler des structures nouvelles souvent coûteuses, les pouvoirs publics auraient intérêt à valoriser la présence des réseaux de professionnels du territoire national.

Je conclus en disant que nous sommes au coeur d'une démarche politique, au carrefour du développement du très haut débit, des besoins de mutualisation, de la nécessaire médiation auprès des publics fragiles et de l'aménagement du service public.

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