Le prix de l'électricité est pour notre organisation un sujet de préoccupation majeure, dans la mesure où les tarifs de l'énergie arrivent dans le peloton de tête des sujets d'inquiétude cités par les consommateurs, qui constatent l'augmentation constante de leur facture, augmentation liée, d'une part, à la hausse des prix et d'autre part à l'augmentation de la consommation. La consommation d'électricité est en effet en hausse constante dans notre pays, qui est l'un des plus gros consommateurs européens ; elle a augmenté de 12 % depuis 2007 et de 63 % entre 1990 et 2012, tandis qu'elle a très nettement baissé en Allemagne ou en Belgique. Cette augmentation s'explique par la multiplication des équipements électriques, dont beaucoup comportent des systèmes de veille dont on sait qu'ils sont énergivores. Elle est aussi due à une spécificité française, à savoir la place très importante du chauffage électrique dans les logements.
Par ailleurs, les prix de l'électricité augmentent en France de manière rapide et durable, ce qui est problématique car, si la logique voudrait que le marché s'adapte à ces hausses de prix et que le consommateur diminue sa consommation, nous sommes ici face à un marché captif, puisque l'essentiel de l'électricité consommée l'est par des systèmes de chauffage qui ne se remplacent pas facilement, a fortiori quand le consommateur est locataire de son logement.
Il est vrai, cela étant, que le prix de l'électricité en France demeure parmi les moins chers d'Europe, grâce à un coût de production et à une fiscalité relativement faibles. C'est le résultat des investissements et des risques que nous avons consentis en nous dotant d'un parc nucléaire. Reste qu'il a paradoxalement augmenté de 31 % depuis 2007, date de l'ouverture du marché à la concurrence, alors que la théorie économique voudrait que la concurrence fasse baisser les prix.
C'est qu'en vérité le consommateur ne bénéficie guère d'une concurrence quasi inexistante parce que structurellement impossible. En effet, EDF, le fournisseur historique, demeure en situation de quasi-monopole avec 91 % des parts de marché alors que onze acteurs sont présents sur un marché où la captivité des consommateurs est encore plus élevée que dans le système bancaire puisque la Commission de régulation de l'énergie (CRE) évalue à 0,9 % le taux moyen de changement de fournisseurs et que huit mises en service sur dix continuent de se faire chez EDF.
Plusieurs raisons expliquent ce défaut de concurrence. En premier lieu, la méconnaissance totale qu'ont les consommateurs du marché. En second lieu, l'écart entre le tarif réglementé de vente (TRV) et les meilleures offres du marché excède rarement 3 ou 4 %, ce qui n'incite guère le consommateur à effectuer des démarches pour quitter l'opérateur historique. Enfin, certaines pratiques, comme les offres duales – gaz plus électricité – séduisent le consommateur par leur simplicité alors qu'elles sont loin d'être avantageuses économiquement.
L'approvisionnement en électricité est aux mains d'un seul acteur, EDF, qui garde la mainmise sur le nucléaire. D'où la création de cet artifice qu'est l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) par la loi NOME, en 2010. Dans la mesure où la distribution demeure une activité régulée, la concurrence ne peut s'exercer que sur la commercialisation, domaine dans lequel la marge de manoeuvre des fournisseurs alternatifs demeure extrêmement faible.
C'est une différence essentielle avec le marché du gaz, sur lequel la concurrence est loin d'être parfaite mais où l'approvisionnement est ouvert : GDF, en théorie et abstraction faite de son poids économique, ne maîtrise pas plus que ses concurrents son approvisionnement en gaz puisqu'il n'est pas producteur. Le marché est donc potentiellement concurrentiel, ce qu'ont bien compris les clients professionnels, qui ont quitté en nombre ce fournisseur pour se tourner vers des offres plus intéressantes chez des fournisseurs alternatifs. Les ménages, en revanche, sont majoritairement restés chez GDF, bien que le TRV soit en moyenne 12 % plus élevé que les tarifs du marché libre, ce qui se traduit par une différence de 300 à 400 euros sur la facture annuelle. Avec, de surcroît, ce paradoxe qui veut que ce soit essentiellement GDF qui bénéficie des transferts vers le marché libre : en effet, la majorité des consommateurs, lorsqu'ils renoncent au TRV, le font pour choisir sur le marché libre les offres de GDF, pourtant infiniment plus chères que ce TRV ! Ce choix aberrant est bien la preuve qu'ils n'ont rien compris à un marché par trop complexe.
D'où notre opération « Gaz moins cher ensemble », dont la première édition, il y a un an, a rencontré un très beau succès, salué par l'Autorité de la concurrence, la CRE et d'autres institutions ou médias économiques, et a permis de faire bouger le marché. Grâce à son crédit dans l'opinion publique, l'UFC-Que Choisir a convaincu soixante-dix mille consommateurs de quitter GDF, en leur expliquant qu'il était facile et gratuit de changer d'opérateur. Ils ont ainsi bénéficié de l'offre inférieure de près de 15 % au TRV proposée par Lampiris, un opérateur français, filiale d'un groupe belge, qui a remporté notre appel d'offres.
J'insiste ici sur le fait que non seulement nous avons redonné du poids économique à la demande en faisant baisser les tarifs mais que nous avons également sécurisé l'opération en imposant au nouveau fournisseur un cahier des charges draconien et un contrat-type où ne figure évidemment aucune clause abusive. Par ailleurs, afin d'éviter, comme c'est fréquemment le cas, que le consommateur soit ballotté en cas de problème d'approvisionnement entre le fournisseur et le gestionnaire de réseau, qui se renvoient la responsabilité, nous avons également imposé que Lampiris soit le seul interlocuteur du consommateur, quitte à engager ensuite une action récursoire contre le distributeur. Enfin, l'UFC-Que Choisir s'est également engagée à fournir un accompagnement spécifique aux consommateurs en cas de litige.
Tandis que ce dispositif avait temporairement stimulé le marché, l'Autorité de la concurrence a pris la décision d'imposer à GDF d'ouvrir son fichier d'abonnés, et toutes les données – adresses, coordonnées téléphoniques, points de livraison – qu'il comportait à tout opérateur alternatif le lui demandant, ce qui, à nos yeux, fait courir un risque majeur : celui d'un démarchage intempestif assorti de pratiques commerciales abusives, comme des pratiques de désabonnement d'office. Souhaitant empêcher cette concurrence sauvage, nous avons donc relancé notre opération, avec les mêmes exigences en matière de cahier des charges. À ce jour, nous avons réuni cent cinquante mille candidats à la migration, face à deux opérateurs – GDF et Lampiris – qui procèderont très bientôt, le 20 janvier prochain, à des enchères inversées pour proposer aux consommateurs la meilleure offre, laquelle devra, au minimum, être inférieure de 12 % au TRV.