Intervention de François Carlier

Réunion du 14 janvier 2015 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

François Carlier, délégué général de l'association de consommateurs et d'usagers CLCV :

La CLCV réunit trente et un mille adhérents, dont deux mille militants actifs, qui assurent quatre-vingt-dix mille heures de permanence, dans soixante-dix départements. Nous abordons la libéralisation des marchés de manière très pragmatique, estimant par exemple que, dans le domaine des télécoms ou du transport aérien, elle va dans le bon sens. Elle fonctionne également assez bien sur le marché du gaz, l'accès à la matière première étant « indiscriminé » selon les opérateurs. En revanche, pour ce qui concerne le marché de l'électricité, nous avons toujours été très sceptiques sur sa libéralisation dans notre pays, à cause du monopole nucléaire qui rend difficile l'établissement d'une réelle concurrence.

J'en viens aux tarifs. La méthode de régulation retenue par la CRE et consistant à aligner l'augmentation des tarifs sur l'augmentation observée des coûts supportés par EDF nous posait deux problèmes.

Le premier est lié au fait que la loi ne confère à la CRE aucun rôle normatif et que celle-ci doit se borner à constater l'évolution des coûts, sans pouvoir la contester. EDF a donc tout loisir de laisser dériver ses coûts, cette dérive étant ensuite solvabilisée par l'augmentation du tarif réglementé (TRV), ainsi que l'a montré le récent rapport de la Cour des comptes.

Le second problème touche à la manière dont la CRE évalue les coûts. Si nous considérons comme normal qu'après une période, entre 1985 et 2005, où les tarifs de l'électricité ont progressé moins vite que l'inflation, ils augmentent aujourd'hui de 2,5 ou 3 % par an, l'affectation des coûts et la manière dont elle influe sur la hausse des prix nous paraît en revanche problématique. En effet, si les coûts globaux supportés par EDF sont connus, les données concernant leur répartition entre le secteur international et la France, puis, au sein de celle-ci, entre abonnés professionnels et abonnés domestiques ne dépendent que de ce qu'EDF veut bien transmettre à la CRE. Or, en toute logique, l'opérateur aura tendance à charger au maximum les abonnés domestiques, de manière à faire évoluer en sa faveur les tarifs réglementés.

Dans la mesure donc où la CRE, pour décider de l'évolution des tarifs, se fonde sur des pièces émanant d'EDF, nous avons souhaité y avoir accès et avons fait une demande en ce sens, demande à laquelle EDF a opposé une fin de non-recevoir dans un courrier où figurait, je crois, à onze reprises le terme de « secret », y compris dans l'expression « secret stratégique », dont j'ignorais qu'elle fut une notion juridique. Ne pas avoir accès à ces données est pour nous un problème car, tout en respectant le secret commercial, nous considérons que, dans la mesure où elles déterminent l'évolution des tarifs réglementés, elles doivent être rendues publiques, à travers l'organisation d'un système d'open data. Je ne pourrais dire d'emblée où doit se situer la frontière entre secret commercial et transparence – pourquoi ne pas s'inspirer pour cela des pratiques de l'Autorité de la concurrence ? –, mais il nous semble que cela passe par une adaptation de la loi. Si nous n'avons pas saisi la CADA, c'est en effet qu'il nous a semblé qu'en l'état actuel du droit, elle ne pourrait guère nous apporter de réponse satisfaisante.

Nous jugeons positive la refonte du mode de calcul opérée ces derniers mois, dans la mesure où elle intègre davantage de données objectives. Plutôt que les coûts d'approvisionnement déclarés par EDF, elle prend par exemple en compte l'évolution des prix du marché de gros de l'électricité, ce qui est une bonne chose dans la mesure où, ces prix étant actuellement au plus bas, il était incohérent d'augmenter de 5 % par an le tarif de l'électricité. Reste que cette refonte ne règle pas la question des coûts commerciaux, qui demeurent évalués à partir des seules déclarations d'EDF. La CRE ne peut donc faire autrement que de valider, sachant qu'in fine ils seront « solvabilisés » par la hausse des TRV. D'où la nécessité, à nos yeux, de conférer à la CRE un pouvoir normatif.

J'en viens ensuite à la responsabilité de l'État actionnaire dans cette dérive des coûts. Soyons francs : EDF, ex-monopole historique, a toujours été une entreprise « confortable » pour ses salariés. Sans y être hostiles et sans nullement défendre un quelconque moins-disant social, nous considérons cependant qu'une augmentation des coûts d'exploitation de l'ordre de 5 % par an n'est acceptable que si elle ne se traduit pas immédiatement par une amélioration proportionnelle de la facture présentée aux consommateurs. Il y a ici un juste milieu à trouver entre l'intérêt des salariés et celui des consommateurs.

Se pose ensuite la question des dividendes. Tandis que les entreprises du CAC40 distribuent en moyenne 40 à 50 % de leur bénéfice net à leurs actionnaires, la part du bénéfice d'EDF affectée aux dividendes est supérieure à 60 %, ce qui fait de l'État un actionnaire plus gourmand que le plus vorace des fonds de pension américains actionnaire d'un groupe privé ! Certes, les termes du débat ont un peu évolué depuis la loi sur la transition énergétique, qui prévoit qu'une partie de ces dividendes seront fléchés vers les investissements d'avenir, mais nous insistons sur la nécessité d'une équitable répartition des charges et appelons l'État à au moins aligner sa politique actionnariale sur celle des entreprises du CAC40. Cela permettrait de soustraire quelques centaines de millions d'euros aux dividendes pour financer les investissements d'EDF, sans qu'il soit besoin de toucher aux tarifs.

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