Intervention de Philippe Burtin

Réunion du 14 janvier 2015 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Philippe Burtin, président-directeur-général de Nexter :

Je répondrai d'abord à M. Fromion, qui a exprimé sa préférence pour une consolidation nationale préalable à une consolidation européenne dans l'industrie d'armement terrestre. Comme je l'ai déjà dit, Nexter s'était fixé pour objectif de trouver un partenaire exerçant le même métier qu'elle, c'est-à-dire celui de systémier – plus que celui d'équipementier.

D'ailleurs, nous avons recherché les voies et moyens d'une consolidation industrielle franco-française avant d'engager des discussions avec KMW. Nous avons ainsi approché Renault Trucks Défense – RTD. Il faut toutefois rappeler que RTD n'est plus tout à fait une entreprise française : si ses emplois sont majoritairement situés en France et si les forces françaises utilisent ses matériels, il n'en demeure pas moins que son capital appartient à 100 % au Suédois Volvo. Mais même au-delà de cette réserve, nos discussions n'ont pas abouti du fait des conditions posées par RTD à tout rapprochement. En effet, les Suédois ne voulaient coopérer avec Nexter ni dans le secteur des matériels à chenilles ni dans celui des armements ou des munitions : dès lors, tout rapprochement avec RTD aurait conduit à une partition de Nexter, ce qui n'était pas le but recherché. Surtout, RTD exigeait en réalité que toutes les grandes fonctions opérationnelles de Nexter passent sous le contrôle direct des Suédois. Ces conditions n'étaient acceptables ni pour notre actionnaire, à savoir l'État, ni pour l'entreprise.

Nous avons également envisagé un rapprochement avec Thales – piste souvent évoquée. Certes, des synergies pourraient être trouvées entre Nexter et TDA Armements, filiale de Thales, et une entrée de Thales au capital de Nexter pourrait faciliter l'accès de cette dernière à quelques marchés ou à de nouveaux capitaux – encore que ce dernier point n'est pas notre principale préoccupation. Mais en tout état de cause, Thales est un groupe multi-métiers, et non un partenaire du même profil de systémier terrestre que Nexter. Un rapprochement de Nexter avec TDA Armements sera toujours possible, mais il n'est pas pour l'heure prioritaire pour Nexter.

En revanche, KMW et Nexter, tout en présentant le même profil d'entreprise, sont complémentaires. Les seuls segments de recoupement dans nos gammes de produits concernent les véhicules « 8 x 8 » – le VBCI pour Nexter et le Boxer pour KMW – et « 4 x 4 » – l'Aravis pour Nexter et le Dingo pour KMW. Encore que le VCBI ait peut-être un avantage sur le Boxer, comme, à l'inverse, le Dingo en a peut-être un sur l'Aravis. KMW et Nexter, ensemble, veilleront en tout état de cause à différencier ces produits.

Vous avez évoqué, monsieur Fromion, les 4,6 milliards d'euros apportés par l'État à Nexter. C'est exact, et Nexter est fière d'honorer la dette qu'elle a envers l'État. En effet, tout en menant une restructuration profonde – passant de 14 000 à 2 600 salariés en 2007 –, Nexter est profitable : elle a déjà versé un milliard d'euros de dividendes à l'État depuis sa création fin 2006.

Vous avez également évoqué la possibilité d'une vente d'actions de Nexter ou d'autres filiales de GIAT Industries par l'État sur les marchés boursiers : je peux vous assurer que cela n'est nullement envisagé dans le cadre du projet KANT.

S'agissant de la logique de souveraineté, dont vous relevez que les pays émergents la feraient valoir davantage que nous, force est de constater que des États, comme la Corée, Israël, la Turquie… se sont engagés dans une véritable guerre industrielle, mais aussi qu'ils s'en donnent les moyens financiers ! Ces États n'hésitent pas à passer des commandes importantes, parfois par milliers de véhicules, et à soutenir le développement de nouveaux modèles : c'est là un effort financier plus conséquent que celui que nos pays européens peuvent réaliser, où les marchés d'armement terrestres sont au mieux stables, et souvent en décroissance. Certes, un projet comme Scorpion constitue un formidable marché pour Nexter… Il faut noter qu'il représentera 200 millions d'euros d'activité par an en moyenne, alors que nous visons pour le groupe un chiffre d'affaires dépassant le milliard d'euros.

Quant à la formulation de l'article 47 du projet de loi pour la croissance et l'activité, il propose, comme vous l'avez souligné, d'autoriser la privatisation de GIAT et de toutes ses filiales sans mentionner Nexter. Ceci appelle deux observations. D'une part, certaines des filiales de GIAT, comme la SNPE et EURENCO, ont d'ores et déjà vu leur privatisation autorisée par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 : il s'agissait alors de permettre la vente de la propulsion de SME, filiale de la SNPE, à Safran. D'autre part, c'est une pratique législative habituelle que de citer, dans le dispositif législatif de privatisation, la société de tête du groupe et non l'une ou l'autre de ses filiales en particulier.

Vous nous avez également interrogés sur l'action spécifique (Golden Share) que l'État détiendra dans l'alliance Nexter–KMW. Celle-ci portera sur les armes et les munitions. Les produits, les personnels, les actifs et les passifs, ainsi que les sites de production concernés sont d'ores et déjà définis avec précision. Cette Golden Share permettra à l'État de siéger au conseil d'administration de Nexter Systems et de contrôler tout projet de cession ou tout changement de contrôle des activités concernées, le cas échéant. En outre, deux processus de surveillance sont prévus : une revue annuelle de la stratégie et de la situation des activités, et une analyse approfondie des risques et des perspectives qui sera entreprise tous les dix-huit mois.

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