Intervention de Alain Claeys

Séance en hémicycle du 21 janvier 2015 à 15h00
Débat sur la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys :

C’est de nos différences, bien plus que de nos concordances, que notre réflexion s’est enrichie. Le rapport que nous avons rédigé n’est pas un compromis. N’y figure ni concession, ni demi-mesure. Cette convergence est au contraire le fruit d’un dépassement, dépassement de nous-mêmes et de nos préventions, qui nous a amenés à ces conclusions, à ce progrès nécessaire.

Elle vise aujourd’hui à rattraper notre retard collectif. Oui, mes chers collègues, la société nous a devancés ; son rapport à la mort nous oblige à aligner la loi sur la demande de nos concitoyens. Ce mouvement, inéluctable, est la résultante tout à la fois de bouleversements historiques et de progrès techniques.

La fin des grands conflits, la disparition des grandes épidémies grâce aux progrès de la médecine ont contribué à nous éloigner de la mort. De massifiée, elle est devenue individuelle, sans être, paradoxalement, moins anonyme parfois. Parallèlement, la mort, au travers de la montée en puissance de la société de l’image, s’est en quelque sorte virtualisée.

Le mouvement de baisse de la mortalité, quant à lui, s’il n’est pas récent, continue de se poursuivre. Ainsi avons-nous compté en 2013 exactement le même nombre de décès que quarante années plus tôt. Dans le même temps, la population française s’est enrichie de quelque 13 millions d’habitants.

Mais, chers collègues, repoussant la mort dans son avènement, nous l’avons également éloignée de notre quotidien. Du lit familial, elle est passée au lit d’hôpital, où décèdent aujourd’hui près de 60 % de nos compatriotes.

Cette moindre confrontation à la mort a eu pour pendant de rendre plus techniques les derniers moments. Confiée aux "sachants", croisant moins souvent le chemin des vivants, la mort s’est trouvée, au fil des dernières décennies, non seulement repoussée, mais reléguée. C’est de ce sentiment d’abandon qu’est né dans notre société le besoin légitime de faire appliquer jusqu’au bout sa volonté.

Parallèlement, notre rapport à la douleur s’est trouvé modifié : de salutaire, celle-ci est devenue condamnable. À la volonté profonde de disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment est ainsi venue s’adjoindre la demande d’une mort apaisée.

Voilà ce qu’aujourd’hui nous demandent nos concitoyens et voilà ce dont ils ne bénéficient que trop rarement. Je l’affirme en effet devant vous : il existe malheureusement encore trop souvent un « mal mourir » en France. De fortes inégalités perdurent entre régions, villes et campagnes, entre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – les EHPAD – et structures hospitalières, et souvent au sein même de celles-ci.

Combien de nos concitoyens meurent aujourd’hui tel qu’ils le souhaiteraient, entourés de l’affection des leurs, pris en charge par des équipes de soins spécialement dédiées à la fin de vie ? Il s’agit malheureusement d’une minorité. Nous connaissons tous, en revanche, le cas de personnes hébergées en EHPAD dont l’état de santé se dégrade fortement un week-end et qui arrivent in fine aux urgences pour y mourir.

Près d’un Français sur quatre décédant à l’hôpital meurt dans un service de réanimation, de soins intensifs ou continus, c’est-à-dire dans un lieu où le temps manque pour accompagner le patient dans sa fin de vie. À l’inverse, seuls 20 % des malades qui meurent à l’hôpital bénéficient de soins palliatifs financés : il s’agit, dans plus de 80 % des cas, de cancéreux.

Le chemin à parcourir est donc long. La première étape sera de faire évoluer le rapport à la mort et, par là même, aux soins palliatifs, de l’ensemble des équipes de soins.

Le Président de la République a annoncé le 12 décembre dernier que, dès la prochaine rentrée universitaire, l’accompagnement des malades ferait l’objet d’un enseignement spécifique et intégré à toutes les formations sanitaires, aussi bien pour les diplômes d’État que pour les études de médecine. Cet enseignement sera obligatoire et commun à tous les étudiants.

Il faut effectivement que cessent de s’opposer soins curatifs et palliatifs. Cela n’a pas de sens : il s’agit des deux faces d’une même pièce. La culture palliative doit imprégner tout le corps médical, quelle que soit la spécialité en cause. Mais le progrès de la médecine, c’est aussi de faire cohabiter très en amont soins curatifs et palliatifs et de faire prendre presque insensiblement le relais de l’un par l’autre pour accompagner le patient jusqu’au bout de son chemin.

Cet accompagnement, je ne l’oppose pas à l’aide à mourir présente dans le rapport remis en décembre dernier par Jean Leonetti et moi-même au Président de la République et à vous, monsieur le Premier ministre.

À la demande des Français de bénéficier d’une fin de vie apaisée, nous apportons donc, je le crois, la réponse idoine : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie. Un patient encore conscient, atteint d’une affection grave et incurable qui lui cause une souffrance réfractaire aux traitements, pourrait ainsi, lorsque son pronostic vital est engagé à court terme et qu’il jugera inutile de prolonger sa vie finissante, demander à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’à son décès. Elle serait naturellement accompagnée de l’arrêt de tout traitement de maintien en vie.

De même, un malade atteint d’une affection grave et incurable qui souhaiterait arrêter les traitements qui le maintiennent en vie pourrait bénéficier de ce même traitement à visée sédative et antalgique, provoquant une altération profonde et continue de la vigilance et ce jusqu’à son décès.

Enfin, et ce sont les cas les plus connus de nos concitoyens, les malades en état végétatif pourraient également bénéficier de ce traitement à visée sédative. II faudrait pour cela que leur volonté en ce sens ait été recueillie. Elle pourrait l’être au travers des directives anticipées qu’ils auraient antérieurement rédigées et qui s’imposeraient dès lors au médecin.

C’est là une avancée majeure vers ce que nous réclament tous nos concitoyens : le droit d’être entendus jusqu’à leur ultime moment, de voir leur volonté prise en compte, y compris lorsqu’ils se retrouvent dans l’incapacité de l’exprimer.

Révocables à tout moment car valables sans limite de temps, signalées sur la carte Vitale et donc rapidement identifiables, ces directives anticipées prendraient désormais la forme d’un document à renseigner. Notre espoir est que cela permette de faire sensiblement progresser le nombre de nos concitoyens y ayant recours.

Je voudrais à ce propos rassurer ceux qui s’inquiètent du caractère perpétuel de l’effectivité des nouvelles directives anticipées. C’est justement parce qu’elles seraient révocables à tout moment qu’elles prendraient le mieux en compte la fluctuation des souhaits et donneraient réellement corps aux volontés de la personne.

Naturellement, la possibilité pour chacun, au cas où il serait un jour dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, de désigner une personne de confiance dont l’avis prévaudra sur tout autre avis non médical, doit perdurer.

Tout au long de la rédaction de ce rapport, nous avons simplement cherché à mettre des mots sur des gestes, à qualifier des actes. Je sais combien le débat sur la fin de vie crée naturellement de passions. J’ai toujours pensé qu’il fallait au contraire l’aborder sereinement, sans posture a priori, sans idéologie, en tâchant simplement de partir de la volonté de nos concitoyens.

Leur volonté ne se réduit pas à un mot. C’est davantage à l’esprit, au sentiment profond de nos compatriotes et à leurs souhaits qu’il faut nous attacher.

Ce progrès, nous le leur devons. En fin de vie, toute personne est vulnérable. Chaque fois qu’elle laisse mal mourir quelqu’un, la société perd en humanité.

Alors certains nous diront que nous sommes allés trop loin, ou pas assez ; l’essentiel n’est pas là car il ne s’agit pas seulement d’accorder de nouveaux droits aux malades, mais avant tout de mettre en place les conditions dans lesquelles ils y auront accès.

Et si nous ne sommes pas tous d’accord, dans cet hémicycle, sur les solutions à leur apporter, je sais qu’au moins – et sur ce point je mesure le chemin parcouru – nous partageons tous la volonté de permettre à nos compatriotes une fin que certains qualifieront de digne, mais que vous me permettrez de résumer en trois mots : autonomie, apaisement, humanité.

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