Car s’il est dogmatique de vouloir interdire à autrui, au nom de ses propres convictions, l’exercice d’une liberté, l’exigence du respect de la liberté de chacun n’est pas un dogmatisme : c’est une exigence républicaine.
Belge de naissance, je sais d’expérience ce qu’est choisir l’euthanasie ; je sais d’expérience ce que signifie aller au bout des soins palliatifs et refuser toute aide active à mourir. Ces deux choix sont également respectables et je ne milite pas pour que l’un soit préféré à l’autre. L’honnêteté intellectuelle appelle d’ailleurs chacune et chacun d’entre nous à reconnaître que, face à cette ultime échéance, nous ignorons quelle serait notre propre décision. Mais il est une chose dont cette expérience personnelle m’a instruite : ce qui compte, c’est que chacun puisse avoir le choix.
Reconnaissons que les annonces du Président de la République sur le développement des soins palliatifs, que les préconisations de MM Claeys et Leonetti en ce qui concerne la sédation terminale ou le caractère contraignant des directives anticipées, sont susceptibles de garantir une meilleure prise en charge de la fin de vie de celles et de ceux qui décident vivre leur vie jusqu’à son terme naturel. Mais aux autres, celles et ceux qui souhaitent décider du moment et de la manière, que propose-t-on ? Ces hommes, ces femmes sont ignorés par notre législation, qui ne leur reconnaît pas le droit à disposer de leur corps.
Beaucoup dénoncent très justement les inégalités qui existent entre les Français face à la fin de vie, entre ceux qui ont les bonnes relations et les moyens de se rendre en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, tels des clandestins, et ceux qui n’ont pas le choix. Mettre fin à cette situation intolérable ne serait pas favoriser une manière de concevoir sa fin de vie aux dépens une autre : ce serait garantir la possibilité de choisir, ce serait permettre à la France, pays des libertés, de consacrer enfin notre ultime liberté.
Mes chers collègues, nous sommes des responsables politiques. Nous savons que l’idéal pour lequel nous nous battons – et cela vaut pour tous les idéaux – ne s’atteint pas en un jour. Faisons en sorte que chaque décision que nous prenons nous rapproche de notre but.
C’est parce que les propositions qui nous sont faites vont permettre de mourir moins mal en France que nous les soutiendrons.
Mais c’est aussi parce que nous savons qu’elles ne résolvent pas toutes les situations, qu’elles ne répondent pas à toutes les questions, et parce qu’elles répugnent toujours à aborder la question de l’aide active à mourir que nous ne devons pas nous en satisfaire.
Puisqu’il s’agit de faire en sorte qu’on meure plus dignement en France, nous disons oui, mille fois oui. Mais n’oublions jamais qu’il n’y a pas de dignité sans liberté, qu’il n’y aura pas de dignité ultime sans ultime liberté.