Intervention de Bernard Roman

Séance en hémicycle du 21 janvier 2015 à 15h00
Débat sur la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Roman :

Je parle volontairement d’« aide active » par pudeur car certains mots, en raison de leurs connotations ou de leur histoire, peuvent choquer ou bloquer – tel est le cas du mot « euthanasie » et, sans doute encore davantage, de la formule dite à tort de « suicide assisté ».

Devant la mort et face aux deux questionnements qui nous préoccupent aujourd’hui – celui de la dignité et de la liberté – ces mots prennent pourtant tous leur sens et ne doivent pas être tabous.

On le dit rarement, mais le Conseil consultatif national d’éthique, en 2000, a émis un avis no 63 dans lequel il envisageait l’exception d’euthanasie dans la loi. Dans ce même avis, il estimait qu’il n’était pas encore possible de le dire, faute que cela soit « émotionnellement concevable » même si ce l’était éthiquement, légalement et législativement. Nous, législateurs, devons essayer de dépasser cette situation.

Les questions de l’euthanasie et, plus encore, du suicide assisté, ne doivent pas être, à mon avis, écartées de notre débat. Nous autoriserons ou non ces pratiques mais il faut que nous soyons capables de soulever les questions qu’elles posent. Pourquoi ?

Un rapport de l’INED paru au mois de décembre consacré notamment au nombre de décès dans notre pays en 2012 précise que plus de 4 500 personnes sont mortes suite à l’administration de médicaments pour mettre délibérément un terme à leur vie.

Il n’est pas possible de fermer les yeux sur ce que M. Falorni vient d’appeler les « euthanasies frauduleuses », même si je n’emploierai pas quant à moi la même formule. C’est aujourd’hui une réalité ; certes, on peut faire comme si cela n’était pas le cas, mais cela existe bel et bien.

Je ne reprendrai pas les termes du débat philosophique que certains ont évoqué, dont M. Léonetti, mais permettez-moi tout de même de citer deux philosophes : Nietzsche, qui demandait le droit de mourir à temps, et Montesquieu, qui considère la mort volontaire comme un remède entre ses mains. Ce débat existe depuis longtemps. J’y fais allusion puisque M. Léonetti l’a lui-même évoqué.

Nous ne pouvons pas non plus ne pas prendre en compte un certain nombre de témoignages importants dans notre histoire collective. De grands hommes, des femmes célèbres ont choisi, en se donnant la mort, de témoigner de leur volonté de maîtriser leur départ. Ce ne sont pas n’importe qui ! Certains d’entre eux ont siégé au Parlement, certains ont dirigé la France. Ils se sont exprimé, oralement ou par écrit ; ils ont témoigné.

Je pourrais naturellement citer Stefan Zweig ou Freud mais c’est aussi le cas de Montherlant, d’Hemingway, de Malraux, de Bruno Bettelheim, de Claire et Roger Quillot, lequel siégea sur ces bancs voilà quelques décennies.

C’est une réalité ! Ils ont voulu revendiquer et témoigner ! Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’avait pas existé.

À la lumière de ce débat séculaire, de nos histoires, de notre histoire personnelle, je compte parmi ceux qui, en conscience, souhaitent, au-delà des propositions du rapport – que j’approuve – que la possibilité du suicide assisté et d’une exception d’euthanasie, parfaitement définies et encadrées – soit rendue possible par la loi.

C’est une question lourde, mais quand il n’est plus possible de vivre dans la dignité, fût-ce en dormant, quand plus rien n’est possible sur un plan médical, quand on n’a pas envie de décliner par dignité aux yeux des autres, aux yeux des siens, aux yeux de ceux que l’on aime, ne doit-on pas se poser la question de savoir si la loi ne doit pas donner le moyen de partir à ceux qui le souhaitent ?

C’est une question dont nous ne pouvons pas faire l’économie et c’est d’ailleurs à l’honneur du Parlement de ne pas l’éluder.

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