Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du 21 janvier 2015 à 15h00
Débat sur la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie est une question qui intéresse évidemment chacun de nous. Nul ne détient la solution, la réponse absolue au savant mélange d’aspects juridiques et éthiques, qui fait aussi appel aux convictions, aux valeurs, mais également aux doutes.

Soyons à l’écoute des souffrances et des plaintes, ne manquons pas d’humanité ni d’humilité sur un tel sujet. Méfions-nous des projecteurs qui sont braqués régulièrement sur tel ou tel cas particulier. Je pense à Chantal Sébire, à Vincent Humbert, et plus proche de nous, à Vincent Lambert, ballotté entre le Conseil d’État, la Cour européenne des droits de l’homme et sa famille déchirée. Ce sont des situations fortement médiatisées qui ont suscité des vagues d’émotion et en retour, des initiatives visant à modifier notre législation sur la fin de vie, telles que celle dont le député Valls fut rapporteur en son temps, ou celle du groupe écologiste que nous évoquerons la semaine prochaine.

Entre ces propositions Claeys-Leonetti, celle de la semaine prochaine et d’autres, il s’agit sans doute d’un test pour voir comment la majorité pourrait gérer un certain nombre de contradictions. Mais je ne cherche pas à cliver ou à provoquer de polémique, je crois que nous devons nous rassembler et rester sereins sur cette question qui,forcément, peut déclencher des passions.

Pour ma part, je reste très attaché à la loi Leonetti de 2005 – et je salue évidemment son auteur présent dans l’hémicycle. C’est une loi qui me paraît équilibrée, qui vise à prendre en compte l’ensemble des situations de fin de vie en proscrivant l’obstination déraisonnable. Elle autorise déjà l’arrêt des traitements dans l’intention de soulager, même lorsqu’une telle intervention risque d’abréger la vie du patient ; c’est ce que l’on a appelé la doctrine du « double effet ». Elle prévoit aussi déjà une sédation d’accompagnement encadrée.

Cet attachement à la loi Leonetti a été rappelé dans le rapport rendu par le Professeur Sicard en 2012 et par le CCNE dans son avis de juin 2013. Dès lors, parce que c’est une loi équilibrée, il me semble que les dispositions qu’elle prévoit, les mesures qu’elle autorise, doivent être pleinement appliquées, et c’est là que le bât blesse. Nous en sommes loin. En effet, dix ans après son adoption, force est de constater que la connaissance de cette loi a encore du chemin à faire, et nous le savons tous. Il faut absolument développer les soins palliatifs, faire de ces soins une grande cause nationale qui bénéficierait enfin de véritables moyens, pas comme nous le voyons aujourd’hui. Je souhaiterais que ce soit une grande cause nationale, à l’instar du plan cancer.

Notre pays, vous le savez, accuse un retard considérable. Huit Français sur dix n’ont toujours pas accès aux soins palliatifs, et les chiffres cités par notre collègue Fraysse sont éloquents. Nous devons garantir un égal accès pour tous aux soins palliatifs sur l’ensemble de notre territoire, ce qui est loin d’être le cas. Il faut bien sûr des lits supplémentaires, des moyens en faveur de la formation initiale ou continue.

Plus largement, il faut également renforcer la culture du soin palliatif. Il faut enfin sensibiliser nos concitoyens à la possibilité, déjà ouverte par la loi mais qui est le plus souvent ignorée, de rédiger des directives anticipées. Seulement 2,5 % de nos concitoyens le font, ce qui est évidemment très insuffisant.

Il faut sans doute revenir sur ces éléments de directives anticipées, peut-être les faire mieux connaître, mais je m’interroge sur l’opportunité de modifier le régime qui leur serait applicable pour les rendre impératives, opposables. Bien sûr, comme nos collègues Claeys et Leonetti, je constate que nos concitoyens n’utilisent pas la possibilité de laisser ces directives anticipées, mais j’y vois une difficulté semblable à celle que nous rencontrons avec le don d’organes. Peu de personnes pensent à indiquer de leur vivant à leurs proches s’ils sont favorables ou non au don d’organes. Au fond, j’ai le sentiment que pour la fin de vie comme pour le don d’organes, il est difficile de se positionner de son vivant, car cela implique d’envisager sa propre mort, et sans doute Éros est-il plus sexy que Thanatos !

Il faut communiquer sur l’intérêt de ces directives anticipées, mais sans enfermer l’équipe médicale dans un veto absolu, en lui laissant une part d’autonomie. Et quel poids ferions-nous peser sur le tiers de confiance qui se verrait confier le précieux message ! Voilà mes interrogations sur l’opportunité de l’opposabilité et du caractère contraignant donné à ces directives.

Gardons aussi en tête l’ambivalence du malade. Il est toujours très facile d’avoir des points de vue lorsque l’on va bien, confortablement calé dans son fauteuil. Ces points de vue peuvent être différents avec une fragilité psychique, physique, psychologique, lorsque la maladie vous atteint.

Quelques mots enfin sur la sédation profonde et continue en phase terminale. Je m’interroge là aussi : la vocation initiale de soulagement et d’apaisement ne risque-t-elle pas de glisser vers une forme d’euthanasie ? À plus forte raison si l’alimentation et l’hydratation sont arrêtées. À plus forte raison encore si la loi présume le consentement des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté. Oui, prenons garde à ce que cette volonté de prendre en compte le cas par cas ne glisse vers un droit général, et que ce glissement ne nous amène à penser que la loi pourrait tout résoudre, en oubliant les cas singuliers de chaque vie.

Bien sûr, il n’est pas question à ce stade de légalisation de l’euthanasie. Bien sûr, il n’y a pas d’ambiguïté cher Jean Leonetti, mais prenons garde à la rédaction retenue pour que les mots ne dérapent pas. Dans tous les cas, je me réjouis qu’à ce stade le suicide assisté ne figure pas dans ce texte, il en ira sûrement autrement lors de l’examen de la proposition de loi de nos collègues écologistes la semaine prochaine.

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