Madame la présidente, madame la ministre, aujourd’hui, notre débat doit nous conduire à nous interroger sur la pertinence d’une nouvelle réforme de la législation sur la fin de vie.
Chacun d’entre nous ici a bien conscience de l’importance exceptionnelle de cette interrogation. Toucher à la mort, c’est en effet poser la question du sens de la vie. La mort « transforme la vie en destin », écrivait Malraux, et le poète François Cheng, dans ses Cinq méditations sur la mort, nous invite à repenser nos vies à partir de cette inéluctable issue de l’homme.
Tous, nous avons vécu l’expérience de la mort de proches ; tous, nous avons été profondément marqués par ces heures où un être très cher s’en va. Parce qu’il s’agit du très intime, penser pour la collectivité est sans aucun doute l’un des plus grands défis pour les législateurs que nous sommes. Dans le pays des droits de l’homme, il nous faut en effet avoir le souci de respecter toutes les convictions, toutes les croyances, avoir le souci de celui qui part mais aussi de ceux qui restent pour ne pas alourdir leur peine.
Posons d’abord la question de l’utilité de la modification législative que nous proposent nos collègues Jean Leonetti et Alain Claeys. Les trois principes affirmés par la loi de 2005 – je ne t’abandonne pas, je ne te laisse pas souffrir, je ne m’obstinerai pas de manière irraisonnable – constituent une synthèse équilibrée entre les deux défis apparemment contradictoires que présente la fin de vie : d’un côté, la préservation de la vie, de l’autre, le désir d’éviter la souffrance lorsque la fin est proche. Cette dualité constitue le moteur même de la vocation du personnel des centres de soins palliatifs – Jean-Frédéric Poisson le rappelait à l’instant – ainsi que des très nombreux bénévoles discrets et formidablement engagés dans ces centres.
Or, nombre d’entre eux sont inquiets de l’atteinte qui pourrait être portée au caractère quasiment sacré du principe de la vie. « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Lorsque des personnes sont dans un état quasi végétatif, la seule raison de les maintenir en vie au regard de l’utilité sociale est la ferme conviction que la vie est une valeur supérieure à toutes les autres. Fragiliser ce principe en instituant un droit à la sédation profonde, c’est poser des cas de conscience terribles aux proches et au corps médical.
Aujourd’hui, la loi de 2005 permet d’accompagner dignement les personnes dans leurs derniers jours. Cependant, une différence fondamentale subsiste – Bernard Debré l’a exprimée tout à l’heure en tant que médecin avec beaucoup de clarté – entre, d’une part, devoir utiliser pour lutter contre la douleur des doses de morphine si élevées qu’elles entraînent un arrêt cardiaque et, d’autre part, l’article 3 de la proposition de loi de nos collègues, qui dispose que la sédation terminale ne peut être dispensée qu’accompagnée d’un arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du patient. On comprend bien qu’il ne s’agit plus seulement de soulager la douleur du patient et que le but est de provoquer son décès.
Vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur Jean Leonetti, ce que nous craignons, c’est la rupture d’une digue, rupture qui mènerait directement au suicide assisté.
Philippe Pozzo di Borgo, dont l’histoire a inspiré le film Intouchables, implore ainsi notre société de ne pas ouvrir cette porte, car il sait mieux que quiconque que la souffrance peut à certains moments vous pousser à tout abandonner, y compris votre bien le plus précieux, votre vie, alors qu’à d’autres moments la force de vie reprend le dessus.
Quand les familles bénéficient d’une écoute attentive dans un service compétent, la question de l’arbitrage entre la souffrance et la mort ne se pose plus du tout dans les mêmes termes. C’est pourquoi nous insistons tous sur la nécessité de réaffirmer l’urgence de doter notre pays de structures de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire.
Posons la question des dangers de la réforme qui nous est proposée. Sauf à vouloir nier la vérité, les risques de l’ouverture d’un droit à la sédation sont réels, et ce, quelles que soient les précautions que nous prendrons.
Combien de fois les familles, les personnels et bénévoles des EHPAD, des établissements qui prennent en charge les personnes en situation de forte dépendance, entendent « je veux en finir », et lisent dans le même temps dans le regard et les mains qui se cramponnent : « surtout ne m’abandonnez pas, je ne veux pas encore mourir. » Cette même angoisse, ces mêmes aller-retour de la conscience fragilisée du grand malade qui souffre poseront toujours au corps médical une interrogation fondamentale quant à la vie qu’aura ce dernier.
Ainsi, si vous me permettez d’utiliser une telle expression, le bilan coûts-avantages de cette réforme me semble clairement pencher vers le maintien de la législation actuelle. Je le pense d’autant plus que nous sommes entrés, depuis ces attentats terribles du début de l’année, dans une ère nouvelle. Nous ne sommes plus dans une période suffisamment sereine pour aborder ce sujet.
En effet, ces drames ont mis au premier plan deux piliers de notre socle républicain, la fraternité et la liberté, deux piliers du vivre ensemble dans une France composite, constituée d’agnostiques, de croyants, d’anarchistes, de conservateurs, tous différents mais tous unis par le même respect fondamental de la vie d’autrui. Cette belle unité, nous savons combien elle est fragile et combien il est pourtant nécessaire, aujourd’hui, dans ce moment de crise économique porteuse de chômage doublée d’une crise identitaire, de se rassembler.
Quand le mal de notre pays est la montée des communautarismes, pourquoi ajouter à la discorde ? Pourquoi cette frénésie de tout codifier, y compris l’intime ?