Mesdames, Messieurs les députés, la CGT vous remercie de l'auditionner sur un sujet si essentiel pour les usagers et l'industrie : les tarifs de l'électricité. Notre préoccupation est que les tarifs de l'électricité garantissent à tous le droit fondamental d'accès à l'énergie et permettent la réindustrialisation de la France. Les tarifs de l'électricité doivent permettre la couverture des coûts complets. Les bénéfices générés par le secteur énergétique doivent revenir aux investissements, aux salaires et aux tarifs.
La préoccupation des pouvoirs publics doit être d'assurer le meilleur rapport qualitéprix aux usagers et de limiter l'augmentation des tarifs, qu'il s'agisse de ceux des particuliers ou des entreprises. Cette question est devenue centrale au vu de l'importance de la part de l'énergie dans les dépenses des ménages et des entreprises, et ce dans un contexte de difficultés économiques structurelles et de développement de la précarité énergétique qui touche 11 millions de nos concitoyens.
EDF assure aujourd'hui de nombreuses missions de service public – de conseil, d'accueil – en faveur des usagers. Les contraintes qui pèsent sur l'entreprise menacent cette qualité de service, au profit du commercial low cost.
Face à ce constat, la première chose à rappeler est la désoptimisation qu'a générée la déréglementation du secteur, imposée par l'Europe et avalisée par les gouvernements successifs, pour en faire un objet de marché. Pour faire simple, le mouvement de privatisation et la scission des entreprises historiques en entités distinctes – production, transport, distribution, commercialisation – ont rendu le système électrique moins efficace et conduit à une augmentation des tarifs. À titre d'exemple, la séparation stricte entre RTE et EDF a conduit à doublonner de nombreuses entités – comptabilité, paie, formation, recherche et développement, système informatique –, à augmenter les frais de logistique – bâtiments, serveurs informatique –, toutes choses qui aboutissent à des économies d'échelle dans tous les groupes industriels. À ce mouvement, s'est ajouté le soutien aux énergies renouvelables par le biais de tarifs de rachat qui pèsent lourdement sur la facture finale supportée par les usagers, à hauteur de 15 %.
Ces évolutions se sont faites manifestement au détriment d'une planification à l'échelle nationale, ce qui au demeurant n'est pas contradictoire avec la recherche d'une prise en compte des spécificités locales cherchant la cohérence et l'utilisation optimale des ressources. De même, la localisation des entités de production au mieux des intérêts du producteur coïncide rarement avec l'optimisation globale du système production transport. Une large part des 1,3 milliard que RTE investit chaque année sert à raccorder des moyens de production. Une meilleure insertion des moyens de production dans le réseau permettrait de réduire cette dépense.
Aujourd'hui, le tarif ne vise pas à une couverture des charges globales afin d'assurer un équilibre économique de long terme sur la base d'objectifs uniques en réponse aux besoins et au meilleur coût, définis par la puissance publique, mais constitue bien un empilement de coûts pour rémunérer les charges et le capital d'acteurs divers, dont une part privée, aux objectifs divergents, voire potentiellement contradictoires.
L'introduction dans le projet de loi de transition énergétique d'une part « marché » dans la construction des tarifs ne va pas dans le bon sens. La gabegie instituée avec la séparation entre production, transport, distribution et commercialisation, ne prendra fin qu'à la faveur de la réappropriation par le secteur public de la cohérence entre ces acteurs. Pour ne citer qu'un exemple, les barrières instaurées par les directives européennes à une coopération entre RTE et ERDF sont contre-productives.
Dans le domaine de la distribution, l'enjeu consiste à maintenir le niveau actuel d'investissement, de l'ordre de 3 milliards par an, tout en assumant les évolutions technologiques. Or dans le même temps, le distributeur voit ses charges augmenter dans des proportions significatives, soit pour répondre à de nouvelles obligations réglementaires, soit pour absorber le développement des moyens de production décentralisés, sans qu'une réflexion préalable sur la couverture de ces charges ait été menée ou que le rôle du distributeur ait été clairement réaffirmé comme central dans le pilotage du réseau ou la gestion des données.
L'équation entre l'objectif de maintien du tarif dans des limites raisonnables, d'une part, et des charges croissantes, d'autre part, est donc très délicate, qu'il s'agisse de besoins réels pour garantir une qualité de fourniture de bon niveau ou de charges nouvelles dépendant de décisions politiques.
La question de l'effacement est particulièrement illustrative de cette difficulté. La création d'un marché dans ce domaine ne servira, selon nous, qu'à augmenter les charges pour les consommateurs finaux afin de rémunérer quelques acteurs. Nous pouvons affirmer que l'intérêt du développement de ce dispositif est purement factice, puisqu'il revient pour une grande part à reporter la consommation et non à la réduire.
À la question sous-jacente du lissage de la consommation pour permettre une meilleure gestion du réseau ou de la production, nous préférons celle de l'adéquation entre le niveau de production nécessaire et l'implantation des ressources au regard des besoins et des capacités du réseau à l'absorber. Ces mécanismes ne devraient-ils pas se trouver sous le contrôle des gestionnaires de réseau pour éviter les phénomènes de niches profitables à une seule entité ?
Rappelons enfin les sommes concernées. S'agissant de la distribution, ce sont 5 milliards pour le programme Linky, 15 milliards pour l'introduction des nouvelles technologies, 3 milliards au moins par an pour les dix prochaines années afin de maintenir et renouveler le réseau existant, sans parler de diverses charges supplémentaires liées aux nouvelles obligations réglementaires – fins des tarifs verts et jaunes, colonnes montantes, fourniture de données aux collectivités locales, etc. Nous contestons la logique consistant à faire supporter au secteur régulé des charges dont l'objet ne vise que le développement du marché, alors même que celui-ci produit des effets négatifs sur tous les plans.
La précarité énergétique résulte de la combinaison de trois facteurs principaux : la vulnérabilité des ménages engendrée par la faiblesse de leurs revenus, la qualité thermique déficiente des logements, le coût de l'énergie. C'est donc sur ces trois facteurs qu'il faut agir pour éradiquer la précarité. S'agissant du coût, la CGT propose la sauvegarde des tarifs réglementés pour les usagers, au sein d'un service public de l'électricité et du gaz. Partout en Europe où les tarifs réglementés ont été supprimés, les gens ont vu leur facture s'envoler : un ménage italien paie son électricité 45 % plus cher qu'un ménage français, cette proportion est de 40 % pour un ménage belge et de 80 % pour un ménage allemand. Au final, les taxes sur la facture d'électricité représentent 34 %.
La question de la CSPE doit être étudiée. Cette taxe, payée par tous les consommateurs d'électricité, a augmenté de 330 % depuis 2010, principalement à cause des tarifs de rachat de l'énergie renouvelable, qui représentent 60 % à eux seuls. Le tarif social ne représente que 5,7 % de la CSPE. On en arrive à des aberrations, car les plus pauvres doivent aussi payer cette taxe qui sert à racheter l'électricité des plus aisés ayant installé des panneaux photovoltaïques sur leur toit. Il est vrai que le montant des aides reste notoirement insuffisant, à tel point que le montant de la CSPE que doivent payer certains usagers est plus élevé que l'aide financière perçue au titre du tarif social ! Pour autant, l'automatisation de ces aides a permis à un plus grand nombre de familles d'en bénéficier ; il conviendrait donc de les réévaluer, plutôt que de les supprimer purement et simplement.
Ainsi, nous pensons qu'il serait plus juste d'abaisser la TVA sur l'électricité à 5,5 %, au lieu de 20 % actuellement, au même titre que d'autres produits de première nécessité. Certes, la mise en place du chèque énergie peut paraître une bonne mesure puisqu'il couvrira, en plus des énergies de réseau, d'autres énergies comme le fioul, le bois, la chaleur. Mais elle s'accompagnera de la disparition des tarifs sociaux actuels, ce qui risque d'avoir des conséquences sur les actions volontaires des fournisseurs historiques dans la lutte contre la précarité énergétique. En effet, le code de l'énergie comprend une disposition spécifique au tarif de première nécessité (TPN), qui permet aux fournisseurs d'électricité d'être remboursés des subventions versées au Fonds de solidarité logement dans la limite de 20 % de toutes les charges remboursées pour le TPN ; or aujourd'hui, seuls EDF, GDF Suez et les entreprises locales de distribution contribuent au FSL, à hauteur de 40 % environ du total des aides énergie apportées par les conseils généraux. Pour la CGT, toutes les entreprises du secteur devraient contribuer à la lutte contre la précarité énergétique. Il faut donc obliger les entreprises à verser au FSL, ce qui est possible au regard des bénéfices des entreprises du secteur énergétique et des dividendes versés aux actionnaires ; c'est juste une question de répartition des richesses.
Les tarifs maîtrisés pour les électro-intensifs sont une garantie de la localisation industrielle. Mais il est nécessaire d'apprécier l'impact réel de la baisse du prix des kilowattheures électriques et thermiques en termes d'emplois et d'activité. Si nous sommes favorables à l'examen de mécanismes permettant des tarifs spécifiques pour industrialiser notre pays, nous pensons nécessaire d'instaurer un système extrêmement encadré qui permette un engagement de l'industriel concerné, par exemple en termes d'emplois, afin que l'investissement consenti entraîne des retombées positives pour tous.
En conclusion, le politique doit assumer pleinement les conséquences de ses décisions en matière d'organisation du secteur électrique en France. En clair, l'État doit jouer son rôle – et non se comporter comme le pire actionnaire en se contentant de faire remonter des dividendes excessifs –, afin que le groupe EDF lui-même puisse jouer pleinement son rôle au service de l'intérêt général. Pour notre part, nous plaidons pour un pôle public de l'énergie capable de redonner de la cohérence et de fonctionner sur la base d'objectifs dégagés des contingences de rentabilité propres au marché. Les orientations de la loi de transition énergétique ne vont pas dans le bon sens et conduiront à une augmentation des prix. Les personnels, inquiets des incohérences des politiques menées et de leurs conséquences sur leur situation et le service rendu aux usagers et au pays, se mobiliseront le 29 janvier.