Intervention de Alexandre Grillat

Réunion du 15 janvier 2015 à 9h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Alexandre Grillat, secrétaire national confédéral, CFE-CGC :

Merci de nous permettre de nous exprimer.

Pour la CFE-CGC, les tarifs de l'électricité renvoient avant tout à la question du financement du système électrique et des investissements nécessaires au système électrique. L'électricité est un bien très spécifique, car non stockable, et elle constitue un bien essentiel pour la société. Le financement du système électrique par la logique tarifaire renvoie à quatre enjeux.

D'abord, dans la mesure où les investissements dans le système électrique sont essentiels pour assurer la sécurité de l'approvisionnement électrique du pays, il faut que les tarifs permettent d'investir pour assurer cette sécurité d'approvisionnement.

Ensuite, le système électrique étant au coeur de la compétitivité énergétique du pays, les choix de l'État en matière de politique tarifaire doivent être guidés par une logique de long terme.

En outre, le financement du système électrique pose la question des emplois, non seulement les emplois des opérateurs du système électrique, ce qui nécessite de financer le renouvellement des compétences afin d'assurer la qualité du service public, mais encore les emplois du tissu industriel, qu'il s'agisse des fournisseurs, des sous-traitants ou des entreprises du BTP.

Enfin, alors que le gouvernement souhaite relancer l'industrie, le financement du système électrique pose la question des nouvelles filières industrielles sur lesquelles la France aura une longueur d'avance dans la compétition mondiale. La France a été championne dans le secteur de l'électricité, elle l'est toujours et le sera demain, mais à la condition d'être exemplaire en matière d'investissements. Car si elle n'a pas les moyens d'investir dans les réseaux électriques intelligents, comment pourrait-elle être crédible à l'international ? Si elle n'est pas en mesure de financer les investissements de ses outils nucléaires, comment sera-t-elle crédible à l'exportation ? Ainsi, les investissements dans le système électrique français, via les tarifs de l'électricité, sont essentiels pour la crédibilité industrielle de la France à l'international.

Lors d'une précédente audition, le 17 septembre dernier, nous avons déjà souligné qu'une gestion intelligente des consommations énergétiques, qu'elles soient passives ou actives, doit être au coeur de la transition énergétique. De notre point de vue, le signal prix est essentiel à la réussite de la transition énergétique, à la fois pour investir et pour progresser vers des modes de consommation plus vertueux et plus sobres. Le tarif est un signal économique visant à maîtriser la demande d'électricité, mais aussi et surtout à inciter l'investissement. Comme le dit le président Boiteux, les tarifs sont là pour dire les coûts, ni plus ni moins.

Gardons à l'esprit que l'électricité repose sur des infrastructures, lesquelles sont essentielles à la souveraineté du pays. Par conséquent, la logique tarifaire doit s'inscrire dans la nécessaire couverture des coûts pour financer les investissements des infrastructures. Le nouveau président de la Commission européenne ne s'y est pas trompé avec son plan d'investissements de 300 milliards. Aussi la France, qui se veut moteur dans la construction européenne, doit-elle se placer, elle aussi, au coeur de la relance de l'économie par l'investissement, en particulier au profit des infrastructures électriques.

Contrairement à ce que certains tentent de faire croire depuis quinze ans, le prix de marché ne peut en aucun cas être considéré comme une référence économique pertinente. Deux exemples vont illustrer mon propos.

À la fin des années quatre-vingt-dix, un pays, de l'autre côté de la Manche, a laissé le prix de marché comme seul « driver » de la rémunération des gestionnaires d'infrastructure électrique, British Energy en tête. Or avec un prix de marché de l'ordre de 10 livres par mégawattheure, British Energy a été acculée à la faillite. Autrement dit, le prix de marché n'a pas permis la couverture des coûts sur une infrastructure comme le sont les centrales nucléaires. On le voit : prendre le prix de marché comme référence pour le système électrique peut nous mener droit à la catastrophe.

Aujourd'hui, le système électrique européen est totalement déstructuré entre, d'un côté, des moyens de production classiques – nucléaires, hydrauliques, thermiques et autres –, obéissant à la couverture des coûts, et, de l'autre, les énergies renouvelables qui, elles, sont subventionnées. Or la coexistence entre ces moyens de production qui suivent des logiques économiques complètement différentes aboutit à des prix de marché qui ne veulent plus rien dire. Ainsi, considérer que les prix de marché en Europe peuvent constituer une référence dans l'appréciation du niveau des tarifs pour le système électrique français nous amènera, encore une fois, à la catastrophe.

Au temps où EDF était un EPIC en situation de monopole, les tarifs disaient les coûts : le principe de couverture des coûts était assuré par la construction tarifaire bâtie par Marcel Boiteux. Or deux événements ont fait diverger l'opérateur de cette logique originelle.

D'abord, la décision prise dans les années quatre-vingt-dix de baisser les tarifs de 14 % en trois ans, alors que les coûts eux ne baissaient pas de 14 %, a conduit à politiser les tarifs. Cela a abouti progressivement à des tarifs qui n'ont quasiment plus évolué en structure et en niveau sur la part production transport distribution, tandis que la part des taxes, elle, a explosé. Les tarifs ont donc augmenté pour les Français, mais ils n'ont pas du tout augmenté pour financer les investissements. Cela explique les avaries sur les rotors au sein du parc nucléaire au début des années 2000, EDF ayant dû reporter des investissements du fait de la non-couverture des coûts donc du fait de tarifs qui n'avaient pas augmenté. En définitive, les erreurs de politique tarifaire se paient toujours cash en termes industriels et de qualité du service public.

Ensuite, l'État ayant décidé de mettre EDF en Bourse en 2005, il a pris le parti que cette entreprise devait rémunérer le capital comme une entreprise privée. Au temps de l'EPIC, EDF versait 200 à 300 millions d'euros de dividendes chaque année ; une fois entrée en Bourse, EDF a dû verser entre 2 et 2,4 milliards de dividendes par an, ce montant étant toujours d'actualité. Or après 2004, le modèle tarifaire n'a pas évolué, si bien que le niveau des recettes d'EDF n'a lui-même pas évolué pour permettre le paiement de l'augmentation sensible des dividendes versés à l'État. Autrement dit, mettre en Bourse un EPIC sans en changer le modèle tarifaire a abouti progressivement à un problème, qui est que les tarifs ne permettent pas de financer les investissements, à commencer par le mur d'investissements que nous avons devant nous.

En effet, au cours des deux prochaines décennies, il faudra investir lourdement dans le parc nucléaire, et ce quels que soient les choix qui seront faits en termes de mix énergétique. Dans les réseaux de distribution, il faut maintenir la qualité, en urbain et en rural, et il faut investir pour intégrer les énergies renouvelables qui coûtent très cher en termes d'adaptation au réseau et de transport. Par conséquent, si l'évolution tarifaire ne permet pas de financer ce mur d'investissements, nous irons au-devant de graves problèmes en termes de sûreté du système électrique.

Comme l'a dit Jacky Chorin, limiter la hausse des coûts du système électrique nécessite d'aborder l'ensemble de la structure composant le tarif réglementé de vente. Mais il y a tarif et tarif ! Pour le consommateur et l'industriel, le tarif est celui qui figure sur sa facture ; pour les opérateurs du système électrique, le tarif est celui qui reste une fois soustraites toutes les taxes et la CSPE, c'est-à-dire la part TURPE et la part P+C, lesquelles permettent l'investissement. Si l'on veut financer le mur d'investissements que nous avons devant nous, il faut travailler sur les autres termes, c'est-à-dire la CSPE, dont la mise en place sans pilotage ces dernières années a abouti à un déficit croissant, qui continuera de croître bien au-delà de 2020 aux dires de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Or la CSPE pose la question du financement des énergies renouvelables, pour lesquelles le projet de loi de transition énergétique prévoit d'accélérer le développement. On peut donc s'attendre à un poids croissant de la CSPE sur la structure tarifaire. De la même manière, si la rémunération de l'effacement passe par la CSPE, alors que de multiples acteurs jugent que le modèle proposé par certains opérateurs n'est pas forcément le plus pertinent, un facteur supplémentaire pèsera sur la structure tarifaire.

Le deuxième élément est la TVA. Le choix de l'État de faire porter sur la facture d'électricité une TVA à 20 % entraîne une conséquence immédiate sur la facture payée par les Français. De notre point de vue, l'État doit assumer ses choix : s'il considère que le pouvoir d'achat des Français est au coeur de ses préoccupations, il doit baisser la TVA à 5,5 %, sachant que l'électricité est un bien essentiel.

Enfin, se pose aussi la question des dividendes que l'État, en tant qu'actionnaire, exige à l'entreprise EDF, en s'appuyant sur le fait qu'elle est cotée en Bourse, alors qu'en tant que régulateur politique, il considère que les tarifs ne doivent pas augmenter. Aujourd'hui, c'est l'opérateur électrique qui essaie de gérer cette incohérence de l'État entre Bercy et l'Hôtel de Roquelaure. Une politique tarifaire cohérente et durable nécessite que l'État soit lui-même cohérent dans ses choix tarifaires. Si l'on veut que l'augmentation des tarifs serve au financement du mur d'investissements nécessaire au système électrique, il faut clairement poser la question de la rémunération du capital de l'opérateur EDF. Revenir au modèle antérieur de rémunération du capital pose la question de la sortie d'EDF de la Bourse. La CFE-CGC propose d'aligner le modèle de rémunération du capital d'EDF sur les objectifs de service public, en transformant l'entreprise cotée en un modèle plus participatif et mutualiste qui permette une régulation des dividendes. Car si l'État veut réguler les tarifs réglementés, les dividendes eux-mêmes doivent être régulés : c'est cette cohérence que nous appelons de nos voeux.

Dernier point : il est certes louable de vouloir faire bénéficier les industries électro-intensives de tarifs compétitifs, mais la question fondamentale est celle de l'impact réel du coût de l'électricité sur les coûts de production de chaque électro-intensif. Ce ne sont pas les prix de l'électricité qui posent problème à l'industrie chimique européenne, c'est la révolution du gaz de schiste aux États-Unis, facteur de compétitivité à l'industrie chimique américaine. Il faut aussi se demander si le prix de l'électricité est aussi important pour la compétitivité de ces entreprises au regard de la parité euro dollar. En clair, ne faisons pas porter au tarif de l'électricité l'absence de choix politique sur la parité eurodollar ! Les principaux clients de l'usine de Saint-Jean-de-Maurienne sont ERDF et RTE par les câbles. Bref, posons sur la table tous les termes de l'équation avant de vouloir traiter la question des électro-intensifs par les tarifs de l'électricité.

En conclusion, la CFE-CGC pense que le tarif doit conserver son rôle de signal économique, et donc de couverture des coûts, et ne doit pas porter d'autres objectifs. Les autres objectifs relevant de choix politiques – précarité, électro-intensif, financement des ENR – doivent être portés par l'impôt. Enfin, si l'on veut que les tarifs de l'électricité soient viables et permettent de répondre à tous les enjeux que j'ai soulignés, l'État doit faire des choix et – dans toutes ses composantes – assumer l'ensemble des conséquences de ses choix.

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