Intervention de Alain Tourret

Réunion du 17 janvier 2015 à 22h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur thématique :

C'est d'une belle réforme que nous allons parler ce soir, mes chers collègues, et je souhaite vous convaincre de son utilité.

Nous pouvons nous accorder sur un point : lorsque quelque 55 000 entreprises déposent leur bilan chaque année, il faut considérer de manière spécifique leur situation en fonction de leur importance. En effet, déposer le bilan, cela ne signifie pas tout à fait la même chose pour un coiffeur qui n'emploie qu'un apprenti, et pour la SNCM, qui emploie 600 personnes, ou Moulinex, qui compte 15 000 salariés. Chacun comprendra dès lors que, du seul fait de l'importance de l'entreprise, une certaine spécialisation des tribunaux de commerce est nécessaire.

Cela s'impose en premier lieu parce que les tribunaux sont loin d'avoir tous la même taille : qu'on songe à la différence entre le tribunal de commerce de Paris, pourvu de 170 magistrats très spécialisés, et celui d'une petite ville dont les effectifs se limitent à quelques magistrats. L'absolue spécialisation du monde des affaires s'impose à nous et nous devons pouvoir y répondre. Il faut d'abord gérer l'entreprise qui dépose son bilan, puis trouver un nouveau repreneur : ces tâches difficiles nécessitent les compétences du monde juridique, du monde économique et du monde des affaires.

Le Gouvernement a donc pensé qu'il était nécessaire que certains tribunaux, parmi ceux qui existent, traitent désormais des entreprises remplissant deux conditions sur lesquelles je vais revenir. Après avoir hésité, les présidents des tribunaux de commerce ont été très largement rassurés par la manière dont ils ont été écoutés et par les assurances que nous leur avons données que, à aucun moment, un dossier ne leur serait retiré faute de compétences.

Combien d'affaires sont concernées ? On compte chaque année, je l'ai dit, près de 55 000 jugements d'ouverture de procédures collectives. Si l'on fixe le premier seuil à 150 ou à 250 salariés et le second à 20 millions de chiffre d'affaires, c'est moins de 0,5 % des dossiers qui sera transmis aux tribunaux de commerce spécialisés. Il faut bien sûr que les dossiers soient suffisamment nombreux : nous n'allons pas créer des tribunaux spécialisés pour trois ou quatre affaires. En outre, il faudra prendre en considération la nécessaire proximité géographique du tribunal et de l'entreprise, car chacun sait qu'un dépôt de bilan oblige à de nombreuses démarches et à de nombreuses rencontres. C'est pourquoi nous avons pensé qu'il fallait un nombre suffisant de tribunaux spécialisés.

Les propositions qui vous sont faites sont parfaitement conformes aux attentes du monde des affaires. Quand un entrepreneur est amené à déposer le bilan, il veut avoir affaire à des magistrats qui ont l'habitude de traiter des dossiers similaires au sien. C'est pourquoi il faut trouver un juste équilibre entre le nombre de tribunaux de commerce spécialisés et les entreprises concernées. Le ministre a mentionné des seuils dont la fixation est renvoyée à un décret en Conseil d'État. Nous pouvons néanmoins avoir, sur la question, un avis personnel, et le mien est un peu différent. Certains députés de l'opposition, à l'instar du Comité interministériel de restructuration industrielle – CIRI –, souhaiteraient que l'on fixe le premier seuil à 400 salariés, ce qui reviendrait à diminuer de façon beaucoup trop importante le nombre des entreprises concernées. Les magistrats du tribunal de commerce spécialisé risqueraient de ne jamais avoir eu à connaître de telles affaires et d'avoir à n'en traiter que très peu. Je considère pour ma part que le seuil de 250 salariés est équilibré : au niveau européen c'est le seuil à compter duquel une entreprise n'est plus considérée comme une PME et c'est celui qui m'a été proposé par de nombreux présidents de tribunaux de commerce. Quant au second seuil de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, il fait consensus – à condition que les deux règles soient alternatives et non cumulatives. Nous reprenons ainsi, globalement, les règles européennes.

Après avoir procédé à de nombreuses auditions et travaillé pendant plusieurs mois, la mission d'information de la commission des Lois sur la justice commerciale a recommandé cette spécialisation – c'est sa proposition n° 27. Contrairement à ce qui est avancé dans l'exposé sommaire des amendements de suppression de l'article, aucune des modalités retenues dans le projet de loi n'est contraire à ces préconisations.

Je soutiendrai des amendements visant à faire en sorte que le tribunal de commerce initialement saisi puisse intervenir au début de la procédure. Cette proposition rejoint celle des présidents des tribunaux de commerce. Je souhaite également qu'on associe à tous les niveaux de décision le procureur général qui représente l'ordre public et la protection des créanciers – qu'il ne faut pas plus négliger que celle des salariés.

La vie de l'entreprise est au centre de mes préoccupations, et j'ai le sentiment que, en ayant recours à des tribunaux de commerce spécialisés, nous parviendrons à donner un nouvel espoir, une seconde chance, à celles qui sont amenées à déposer leur bilan. Tout doit être fait pour favoriser une reprise qui préserve autant que possible le sort des salariés.

Je demande donc le rejet des amendements de suppression.

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