Monsieur le rapporteur thématique, il n'est écrit nulle part dans l'exposé sommaire de mon amendement que le texte entre en contradiction avec les préconisations du rapport de Cécile Untermaier et de Marcel Bonnot. Le fait qu'ils ne soient pas identiques ne les rend pas pour autant contradictoires !
S'agissant de la faculté de dépaysement, elle existe déjà : elle est prévue par l'article L. 662-2 du code de commerce. Sous le contrôle de Cécile Untermaier, l'intention des rapporteurs est de la maintenir, mais en instaurant la possibilité pour l'une des deux parties, notamment le demandeur, de solliciter ce dépaysement. Pour l'instant, la procédure est dans la main des tribunaux.
Quant à la spécialisation, c'est en effet l'une des principales propositions du rapport, ainsi que le précise l'exposé sommaire de mon amendement. Mais le modèle préconisé par les rapporteurs pour cette spécialisation est celui des juridictions interrégionales spécialisées – il existe actuellement huit juridictions de ce type en France, sept dans les grandes villes de métropole et une outre-mer, à Fort-de-France. En cela, le texte n'est pas du tout dans l'esprit du rapport.
Je ne vois guère comment vous allez résoudre la quadrature du cercle et je rejoins le point de vue de Francis Vercamer : la justice commerciale fonctionne globalement bien. Certes, dans certaines décisions ou arbitrages, heureusement minoritaires, il arrive que les intérêts locaux ou personnels l'emportent sur le respect du droit. Quant à la proportion de litiges qui ne sont pas tranchés en première instance, elle est, somme toute, correcte.
À titre personnel, je suis très mal à l'aise avec un raisonnement qui serait purement quantitatif. D'une part, un tel raisonnement ne permet pas de régler la question de fond, le véritable enjeu étant la garantie du droit des justiciables. D'autre part, dans la pratique, un chiffre d'affaires élevé et un nombre de salariés important ne suffisent pas à déterminer un niveau de complexité : certaines procédures de redressement ou de liquidation judiciaire qui concernent de petites entreprises sont très complexes ; inversement, des procédures qui touchent des entreprises de taille plus importante peuvent être relativement simples.
Enfin, nous sommes tous très attachés à la notion de proximité, notamment ceux d'entre nous qui sont des élus locaux. Or la proximité sera nécessairement élastique dans le dispositif que vous proposez. Je comprends tout à fait que, de même qu'en matière pénale, le dépaysement s'impose lorsque les intérêts locaux sont trop prégnants, complexes ou conflictuels. Et, en l'état actuel de l'article L. 662-2 du code de commerce, le dépaysement n'est en effet pas décidé chaque fois qu'il serait nécessaire. Cependant, la bonne manière de procéder, ce serait de permettre aux deux parties, notamment au demandeur, de le solliciter. À ce moment-là, le nombre de dépaysements augmenterait considérablement. Certains représentants de la profession suggèrent, en outre, que la décision en la matière revienne au premier président de la cour d'appel. En tout cas, il existe d'autres systèmes que la mécanique de seuils que vous souhaitez instaurer. C'est une méthode trop quantitative pour donner pleinement satisfaction ; elle n'apportera pas de solution aux problèmes que vous entendez régler. Nous considérons que vous allez affaiblir un appareil judiciaire qui fonctionne bien. Il est sans doute nécessaire de le réformer, mais pas de le bouleverser ainsi.