Intervention de Yves Fromion

Réunion du 17 janvier 2015 à 9h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion :

Cet amendement concerne une opération qui n'est pas sans risque pour la souveraineté de l'État, puisqu'il s'agit de transférer au secteur privé la majorité du capital du Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales. L'exposé des motifs nous en donne le contour général : il s'agit de poser les fondements d'une consolidation au niveau européen entre deux entreprises d'armement terrestre de taille assez comparable, le Français Nexter Systems et l'Allemand KMW.

La consolidation des industries de défense à l'échelon européen est une nécessité reconnue de longue date. Ce constat vaut tout particulièrement de l'armement terrestre, victime des surcapacités industrielles en Europe, chez nous comme chez nos partenaires, de la baisse continue des budgets de défense, notamment en Europe, et du développement de la concurrence extrêmement rude des pays émergents. La France doit s'intégrer à ce mouvement, nul ne peut le contester.

Mais elle doit aussi préserver les fondements de sa souveraineté en conservant le degré d'indépendance nécessaire à l'équipement de ses forces armées. À cet égard, l'armement terrestre est essentiel car il est déterminant dans l'issue d'un conflit armé ; on le voit bien dans la bande sahélo-saharienne, par exemple. La France qui se veut souveraine ne peut donc laisser échapper la maîtrise de son industrie d'armement terrestre.

En quelques années, au fil des recapitalisations successives, la reconfiguration de GIAT Industries a coûté 4,5 milliards d'euros au contribuable français. Ces chiffres sont incontestables et, me semble-t-il, incontestés.

Voilà pourquoi, si l'on peut approuver le transfert au secteur privé d'une part du capital de GIAT, l'opération doit nous permettre en priorité de consolider au niveau national nos propres entreprises d'armement, tout en recherchant un ou plusieurs partenaires européens. Ne négligeons pas cette première phase, ou du moins cette phase essentielle, même s'il n'est évidemment pas question d'en rester là compte tenu de ce que sont devenus les marchés.

L'État dispose de tous les moyens nécessaires pour organiser cette consolidation nationale, en particulier autour de Thales, comme je le propose depuis longtemps, dans le sillage du programme Scorpion de modernisation de notre armée de terre prévu par la loi de programmation militaire et qui vient d'être confié à trois entreprises : Nexter, Renault Trucks Défense et Thales.

Nous sommes face à une décision politique délibérée qui favorise la mainmise de l'industrie allemande sur GIAT, donc sur Nexter. L'enthousiasme de nos voisins d'outre-Rhin, que j'ai pu mesurer en me rendant chez KMW à Munich et lorsque le président-directeur général de cette entreprise a été reçu par la commission de la défense, fait d'ailleurs apparaître notre naïveté. Rappelons-nous comment les Allemands ont torpillé le rapprochement entre EADS et BAE, où ils ne trouvaient pas leur compte. Je crains que la France ne se prépare une fois encore à travailler pour le roi de Prusse, et il ne s'agit pas d'un vain jeu de mots !

C'est donc une opération en deux étapes, nationale d'abord, européenne ensuite, qui devrait permettre le transfert du capital de GIAT au privé. Tel est l'objet de mon amendement. Le schéma idéal aurait été le suivant : l'État apporte le capital de GIAT Industries à Thales, à condition que celui-ci devienne l'opérateur du rapprochement entre Nexter et KMW. Dans ce schéma, l'État, qui en a le pouvoir, pousserait à l'intégration du secteur défense de Renault Trucks. Je crois savoir que cette entreprise est favorable à la cession et à la consolidation telle que je viens de l'esquisser.

J'appelle solennellement votre attention sur les conséquences de l'opération telle qu'elle est proposée sur notre souveraineté nationale, sur notre outil de production qui en sortira affaibli, sur les emplois et les compétences que nous y perdrons inévitablement.

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