Pour la troisième année consécutive, notre commission est appelée à examiner pour avis cette proposition de loi, qui s'attache à mieux encadrer l'exposition de nos concitoyens aux ondes électromagnétiques.
Ce texte, examiné pour l'essentiel dans le cadre des journées réservées aux groupes écologistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, a eu un parcours que je pourrais qualifier d'« atypique ». Une motion de renvoi en commission avait été opposée à une première version, lors de son examen à l'Assemblée le 31 janvier 2013. Puis il avait été remanié, comme s'y était engagée la majorité, à l'issue d'une année de travail, et voté en séance le 23 janvier 2014. Et la première lecture au Sénat, en juin dernier, n'a pu être achevée que grâce à sa reprise « à la volée » par le Gouvernement, sans quoi il aurait été condamné à devoir attendre la prochaine journée réservée du groupe écologiste du Sénat.
À mon sens, les assouplissements apportés par le Sénat ne remettent pas en cause la philosophie générale sous-tendant cette proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale, qui reprenait largement les conclusions des rapports du Comité opérationnel sur les ondes de téléphonie mobile (COPIC, anciennement COMOP), du rapport de suivi et mise à jour d'octobre 2013 de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), ainsi que de la mission confiée par le Premier ministre à MM. Jean-François Girard, Philippe Tourtelier et Stéphane Le Bouler sur le développement des usages mobiles et le principe de sobriété.
La proposition de loi conserve son double objectif : d'une part, le contrôle des niveaux d'émission et d'exposition, l'organisation d'une concertation au niveau local, associée à une médiation au niveau départemental et à la résorption des points atypiques dans un délai raisonnable ; d'autre part, de meilleures pratiques d'utilisation des équipements terminaux par les consommateurs et des installations permettant un accès sans fil à internet.
Sans faire une analyse exhaustive de l'apport du Sénat, qui relève de la commission saisie au fond, je souhaite en souligner quelques éléments.
Disposition phare de la proposition de loi, l'article 1er, largement réécrit en première lecture à l'initiative de notre commission, a été substantiellement modifié par le Sénat, qui a en particulier souhaité substituer à l'objectif de « modération » de l'exposition du public aux champs électromagnétiques celui de « sobriété », réorganiser la procédure communale ou intercommunale de concertation et d'information du public en l'inscrivant dans le texte même de la proposition de loi, et clarifier la définition des points dits atypiques ainsi que la responsabilité des exploitants des installations radioélectriques en matière de résorption de ces derniers.
Que penser de ces nouvelles rédactions ?
Partageant pleinement la volonté du Sénat que le dispositif soit défini le plus clairement possible, je ne peux qu'approuver dans son principe la réécriture de l'article 1er en ce qui concerne la procédure de concertation locale et de médiation départementale.
On peut certes regretter certains reculs, notamment quant aux éléments d'information transmis au public ou aux mesures de contrôle a posteriori de la cohérence des estimations. Je les considère néanmoins plus formels que réels : les attentes fortes exprimées par les administrés conduiront les élus locaux à mettre en place la procédure de concertation et d'information la plus large possible. Je crois en effet que la transparence préalable et la fiabilité des informations sur la réalité des émissions sont le moyen le plus sûr d'atténuer craintes et réticences et de faciliter les installations nécessaires à l'indispensable couverture numérique de notre territoire et à sa qualité.
Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2014, chacun peut faire mesurer gratuitement l'exposition aux ondes électromagnétiques des locaux d'habitation comme des lieux accessibles au public, ce qui permettra de vérifier ex post la conformité de l'exposition réelle aux niveaux indiqués par la simulation.
Le Sénat a jugé préférable de revenir sur le choix fait par l'Assemblée nationale de retenir la notion de « modération », issue des conclusions du rapport de MM. Girard, Tourtelier et Le Bouler. Un consensus avait pu être trouvé à l'Assemblée sur ce principe, qui implique une démarche active bénéficiant aussi aux exploitants d'installations radioélectriques : des installations plus performantes, moins émissives, moins énergivores, plus compétitives donc. Si la notion de « sobriété » me paraît dépourvue de cet aspect dynamique, elle préserve toutefois l'idée d'éviter tout excès en la matière.
Enfin, permettez-moi de m'arrêter plus longuement sur la résorption des points atypiques, et donc leur définition préalable, qui a fait l'objet d'une écriture différente à chacune des étapes de l'examen de la proposition de loi.
La commission des affaires économiques du Sénat avait adopté une position très restrictive, tant en matière de définition de ces points que de leur résorption. L'adoption en séance plénière de l'amendement n° 51 du Gouvernement a permis de clarifier la définition des points atypiques en laissant une marge d'appréciation importante à l'Agence nationale des fréquences (ANFR), chargée d'en déterminer les critères pertinents – niveaux d'exposition, types de lieux, présence du public, contraintes techniques ou économiques – et de les réviser régulièrement. Tout en prévoyant des conditions suspensives de faisabilité et de qualité de service, la nouvelle rédaction rétablit le délai de six mois posé par l'Assemblée nationale en première lecture et permet à l'ANFR de saisir les autorités affectataires lorsque les exploitants ne prendront pas les mesures nécessaires au traitement des points atypiques.
Cette rédaction m'apparaît de nature à permettre le recensement le plus juste possible des points atypiques, selon des critères définis au plus près de la réalité des territoires, des circonstances, en tenant compte de la faisabilité technique, par l'opérateur le plus à même de les apprécier et, si nécessaire, de les réviser : l'Agence elle-même. Quant à leur résorption, la réintroduction du délai de six mois semble de nature à garantir un rythme de diminution raisonnable, à défaut d'une disparition complète.
Nous nous inscrivons ici dans la droite ligne de nos prédécesseurs au sein de cette commission, qui ont largement oeuvré, à l'occasion de l'examen de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, pour que « les pouvoirs publics incitent valablement les opérateurs de téléphonie mobile à tout mettre en oeuvre pour réduire autant que possible le taux d'exposition de la population », pour reprendre les propos de l'un de ses deux rapporteurs, Bertrand Pancher. Après cet accent mis sur l'incitation, le temps est venu d'agir plus fortement, car nos connaissances ont évolué, tout comme les attentes de nos concitoyens.
Je serai plus brève sur le titre II de la proposition de loi, pour lequel le Sénat a fait le choix de retenir des obligations d'information et de sensibilisation du public et des utilisateurs plus pragmatiques tout en maintenant la prise en compte de l'impact sanitaire des champs électromagnétiques.
Certes, la notion de « protection » du public et des utilisateurs a été supprimée par le Sénat, mais quatre dispositions importantes prenant en compte l'impact sanitaire des champs électromagnétiques, supprimées ou modifiées par sa commission des affaires économiques, ont été rétablies en séance plénière.
Les articles 3 et 7 ont ainsi été adoptés dans leur rédaction issue de l'Assemblée nationale. Le premier confie à l'ANSES une mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences, d'évaluation des risques et effets potentiels ainsi que des impacts sanitaires des champs électromagnétiques. Le second prévoit les modalités de la protection des enfants en bas âge dans certains espaces.
Le lancement, dans un délai d'un an, d'une campagne d'information et de sensibilisation aux bonnes pratiques d'utilisation des téléphones mobiles et autres équipements radioélectriques, prévu à l'article 6, est préservé.
Quant à la nouvelle rédaction, ramassée, de l'article 8, elle conserve l'essentiel : la remise au Parlement d'un rapport sur l'électro-sensibilité, qui devra, à l'image de ce qui se fait dans les pays voisins, explorer toutes les pistes de réponses politiques pouvant être apportées à ces personnes indéniablement en souffrance.
S'il a approuvé les dispositifs relatifs à l'information et aux recommandations d'usage permettant de limiter l'exposition aux émissions radioélectriques, le Sénat est revenu sur les dispositifs techniques prévus sur les équipements radioélectriques eux-mêmes.
Il a maintenu les dispositifs d'information concernant, à l'article 4, d'une part, les utilisateurs d'équipements terminaux radioélectriques, et, d'autre part, les occupants de locaux privés et les usagers d'établissements proposant un accès sans fil à internet. Il a également maintenu, à l'article 5, tout en en clarifiant la rédaction, les deux dispositifs relatifs à la mise en scène, dans les publicités vantant la promotion de l'usage d'un téléphone mobile, de cet appareil.
Le Sénat a en revanche confirmé la suppression, par sa commission des affaires économiques, des dispositions de l'article 4 relatives aux normes techniques de désactivation ainsi que de l'interdiction, à l'article 5, de la publicité à destination des enfants de moins de quatorze ans pour les tablettes.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui résulte d'un travail d'écriture affiné par les quatre commissions qui ont eu à en connaître, puis par chacune des deux assemblées au cours de leurs séances plénières, et visant à prendre en compte, dans la transparence, le développement de nouvelles technologies, la bonne couverture numérique du territoire, qui est également une attente de nos concitoyens, ainsi que les préoccupations de santé publique.
Deux principes ont guidé mon action tout au long du parcours législatif de ce texte.
Premièrement, l'inscription dans la loi elle-même, autant que possible, des conclusions auxquelles est parvenu le COPIC, afin que tous nos concitoyens et toutes les communes disposent des mêmes garanties d'information, de concertation et de transparence. L'équilibre atteint aujourd'hui semblera à certains en deçà de ce que permettent déjà certaines chartes, mais rien ne leur interdit d'être plus ambitieux. Il a le mérite de poser des règles communes qui permettent de conjuguer sur l'ensemble de notre territoire les avancées des technologies et les nécessités du développement économique, qui passe par la révolution numérique, et le principe de précaution, comme doivent nous y inciter les catastrophes sanitaires survenues dans un passé pas si lointain,
Deuxièmement, le soutien aux dispositifs d'information, de recommandations d'usage et de normes techniques permettant une utilisation plus sûre et plus responsable des téléphones mobiles et autres équipements radioélectriques. Le texte issu des travaux du Sénat est moins ambitieux en matière de normes techniques, mais préserve l'essentiel des éléments d'information et de sensibilisation, y compris ceux dont la nature législative a pu être questionnée.
Cette proposition de loi est attendue avec impatience par nombre de parties prenantes. Repousser son adoption définitive au motif de rectifier les quelques scories qui demeurent après l'examen en première lecture au Sénat, lequel a par ailleurs permis de sécuriser juridiquement la rédaction des principaux articles de la proposition de loi, ce serait, compte tenu du contexte politique résultant du renouvellement de ce dernier en septembre 2014, prendre le risque d'une navette sans retour. D'autres véhicules législatifs à venir, notamment le projet de loi sur le numérique, permettront d'apporter les éventuelles modifications qui s'avéreraient nécessaires à l'usage.
C'est pourquoi je vous recommande d'émettre un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi sans modification.