Intervention de Jean Danet

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean Danet :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux dire tout d'abord le grand honneur qui m'est fait de me présenter devant vous en qualité de candidat proposé par le président de la République pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature.

Afin de vous soumettre les éléments utiles à votre décision sur cette candidature, je voudrais, pour engager le dialogue avec votre Commission, vous présenter très succinctement les principales étapes de mon parcours, vous dire comment je perçois les fonctions de membre du CSM et ce que je crois discerner des enjeux à venir pour cette institution dans sa configuration actuelle, telle qu'elle résulte des dernières réformes de 2008 et 2010.

Son rôle, nous le savons tous, est essentiel pour assurer l'indépendance et l'impartialité de la justice et donc la séparation et l'équilibre des pouvoirs, mais aussi pour promouvoir la qualité de la justice tant par une gestion des ressources humaines adaptée aux mutations contemporaines que par une réflexion, une action préventive de nature déontologique et, si nécessaire, juridictionnelle au plan disciplinaire.

Commençons par mon parcours. À soixante et un ans, j'ai eu la chance de pouvoir mener, par choix personnel, deux carrières professionnelles.

Après des études de droit à Nantes et à Rennes, j'ai engagé un doctorat d'État. En même temps que je menais cette recherche, j'ai travaillé, effectué mon service national et, en janvier 1980, je suis devenu avocat à Nantes. Dès 1981, j'ai rejoint le cabinet de Maîtres Danièle Frétin et Dominique Raimbourg qui m'ont associé cette année-là. Je suis demeuré dans ce cabinet durant toute ma carrière d'avocat.

En février 1982, j'ai soutenu à l'Université de Paris Sorbonne, sous la présidence du doyen Jean Carbonnier, ma thèse de doctorat intitulée « Droit et disciplines de production et de commercialisation en agriculture ».

Mais très vite, le métier d'avocat m'a happé et si j'ai continué de publier dans le domaine de ma thèse, je suis devenu d'abord un praticien, ajoutant à la spécialisation de droit économique celle de droit pénal, tant au service des victimes que des mis en cause.

Élu en 1985 membre du conseil de l'Ordre et devenu, à la demande de mon bâtonnier, secrétaire général de l'Ordre, j'ai pu apprécier les bienfaits de la délibération collective. Celle-ci réunit plus souvent qu'on ne l'attendrait, notamment sur des questions déontologiques, des confrères aux modes d'exercice variés et aux opinions a priori très éloignées. Comme secrétaire général de l'Ordre, j'ai eu à rédiger le projet d'une décision disciplinaire très lourde de conséquences, et je sais la responsabilité du juge disciplinaire.

En 1995, encouragé par des universitaires nantais, après qualification du Conseil national des universités, j'ai été recruté à Nantes comme maître de conférences. Le motif de cette évolution professionnelle est simple : le seul reproche que je faisais au métier d'avocat était de rendre difficiles la prise de distance et le temps de la réflexion que j'avais beaucoup appréciés en travaillant ma thèse et qui me manquaient.

De 1995 à 2000, j'ai mené – comme la loi l'autorise – les deux métiers, celui d'avocat et celui d'enseignant-chercheur. Cependant, j'ai vite constaté qu'il m'était difficile de tenir en même temps une activité soutenue de recherche avec celle, saturée d'urgences, de l'avocat pénaliste. J'ai donc fait en 2000, en bonne intelligence avec mes associés, un choix très atypique au regard de simples considérations matérielles, et ai cessé, après vingt et un ans, l'exercice de la profession d'avocat pour me consacrer à l'enseignement et à la recherche.

Depuis 2001, j'ai consacré mes recherches à un seul objet d'études : la justice pénale. Je mène des travaux classiques, les travaux habituels de la doctrine. J'ai aussi publié des essais. Et, ces dix dernières années, j'ai encadré des recherches pluridisciplinaires sur la justice pénale avec une équipe de juristes, de sociologues, de politistes et de spécialistes du budget de la justice. J'ai ainsi coordonné de 2008 à 2013 une recherche financée par l'Agence nationale de la recherche sur « La réponse pénale », avec une étude de terrain dans cinq juridictions de tailles très diverses. Nous avons, dans ce cadre, procédé à des entretiens avec de nombreux magistrats mais aussi avec les partenaires de l'institution – élus, policiers, etc. Cette recherche, qui porte notamment sur le management public dans la justice, sur les mutations du siège et du parquet, a retenu l'attention de l'Inspection générale des services et de certaines directions du ministère de la Justice.

Pour avoir, durant sept ans, dirigé à Nantes l'Institut d'études judiciaires, j'ai été amené à réfléchir sur les trajectoires des étudiants en droit vers la magistrature. On sait les interrogations que soulèvent les questions de parité aux différents niveaux de la hiérarchie du corps, mais aussi la contraction des catégories sociales d'origine signalées dans les rapports du jury de concours.

Ma réflexion sur la justice et la magistrature s'est nourrie encore d'interventions très régulières à l'École nationale de la magistrature dans des cycles de formation continue et, par exemple, M. le procureur général Jean-Marie Huet, qui vient d'être élu par ses pairs pour siéger dans le prochain CSM, m'a sollicité en septembre dernier pour intervenir dans un cycle de formation destiné aux premiers présidents et aux procureurs généraux.

Enfin, au plan international, j'ai eu l'occasion, en 2010, à la demande du ministère des Affaires étrangères, de participer à une évaluation de l'aide apportée par la France à la formation des magistrats dans certains pays. Dans ce cadre, les missions que j'ai effectuées au Niger et à Madagascar ont été instructives : je n'ai pas besoin de vous dire, à vous parlementaires, qu'on apprend parfois de nos propres institutions en allant observer celles des autres, mêmes lorsqu'elles sont situées dans des pays où la justice est, disons, moins assurée de son indépendance.

Au-delà des recherches et missions diverses, mon intérêt pour l'institution judiciaire, pour la magistrature et ses mutations s'est accru ces dernières années du fait de ma participation à diverses instances de réflexion : le groupe réuni par le professeur Loïc Cadiet qui a publié en 2011 le rapport intitulé Pour une administration au service de la justice ; le comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive présidé par Mme Nicole Maestracci ; la commission sur l'évolution du ministère public présidée par M. Jean-Louis Nadal ; un groupe de travail restreint de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice sur les rapports de politique pénale. J'ai également participé l'an passé au colloque sur « La justice du XXIe siècle » en qualité de rapporteur d'un des ateliers.

J'ai enfin eu le privilège, depuis dix ans, d'être entendu régulièrement par les commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat ou par les parlementaires en charge de rapports d'information, et donc de réfléchir, avec des parlementaires, sur la loi et sa réception par la pratique.

Bref, j'ai eu la chance toutes ces années d'être un universitaire libre de sa réflexion, qui a pu observer sur son écran d'ordinateur, mais aussi sur le terrain et dans différents groupes de réflexion sur la justice, les profondes mutations de celle-ci… et un observateur qui a participé aux délibérations dans ces groupes et qui a parfois, après débat, changé d'avis sur telle ou telle question.

Passons à ma vision du Conseil supérieur de la magistrature. Siéger au CSM dans les quatre années à venir serait à mon sens une lourde responsabilité qui exige de chacun de ses membres qu'il investisse son énergie au service de l'institution, c'est-à-dire au service de l'indépendance de la justice, des valeurs d'impartialité, d'intégrité et de dignité qui sont à la fois celles qui s'imposent à tous les magistrats, mais aussi aux membres du Conseil.

Nombreux sont ceux qui s'accordent à souhaiter, pour cette institution, davantage d'indépendance, d'autonomie et de pouvoir dans la gestion des nominations et des carrières comme au plan de son pouvoir déontologique et disciplinaire, à commencer bien sûr par tout ce qui touche au parquet. Et il est probable que les métamorphoses du CSM ne sont pas achevées. Les travaux de la conférence internationale tenue à l'occasion de son 130e anniversaire démontrent, s'il en était besoin, que tout peut être en débat : la composition du Conseil, ses pouvoirs en matière de nomination comme en matière disciplinaire – notamment pour le parquet –, ses modes de saisine – auto-saisine et saisine par les magistrats – pour les avis, ses relations avec l'ENM, et même, pour certains, ses pouvoirs de gestion des juridictions, question liée à celle de sa mutation, évoquée par certains, en un Conseil supérieur de la justice.

Sur toutes ces questions, c'est la représentation nationale qui est maître du jeu.

À mon sens, une autre tâche attend le prochain Conseil : dans sa configuration actuelle et dans le champ de ses compétences, il lui appartiendra de remplir au mieux et pleinement ses fonctions, de mener à bien certaines évolutions déjà engagées, de faire évoluer ses pratiques et ses méthodes quand il est possible de le faire sans mutation législative ni constitutionnelle. La qualité des travaux et des décisions du CSM sont et seront, à mon sens, sa meilleure contribution au débat sur ce que peuvent etou doivent être les évolutions futures d'une institution que d'autres, à l'avenir, serviront. Les rapports d'activité annuels du dernier CSM donnent une idée assez précise de ce qui peut, dès à présent, être fait.

La poursuite du dialogue avec la direction des services judiciaires du ministère de la Justice dans le cadre des procédures de nomination, les améliorations processuelles des phases d'enquête disciplinaire vers plus de contradictoire sont importantes. De même, l'accès du CSM à l'ensemble des études – statistiques et autres – menées par les services de la Chancellerie et par l'Inspection générale des services dans ses fonctions d'audit lui permettraient, au-delà des visites en juridiction, d'avoir une vue d'ensemble sur les ressources humaines. Autant d'enjeux repérables et repérés par le dernier rapport du CSM, sur lesquels le Conseil futur pourrait engager avec la Chancellerie un dialogue constructif.

L'amélioration constante de ses méthodes très concrètes d'appréciation des qualités requises pour diriger les juridictions n'est pas seulement un objectif qui peut et doit figurer parmi les indicateurs de performance du programme « Conseil supérieur de la magistrature » de la loi de finances. Elle doit aussi, à mon sens, continuer d'innerver toute sa réflexion collective. Dans le contexte actuel d'un défaut d'attractivité assez marqué pour certaines fonctions, notamment au parquet, la manière d'appliquer les règles relatives à la mobilité géographique et fonctionnelle ne sont pas des enjeux mineurs.

Il convient de réfléchir aussi à l'évolution des dispositions ouvertes par la dernière réforme, qui permettent aux justiciables de se plaindre des magistrats. C'est une bonne chose, mais il est permis de penser que l'usage fait de ce droit par les justiciables évoluera. Ira-t-on vers moins de plaintes mais plus souvent recevables, ou bien le CSM a-t-il vocation – et ce serait problématique – à devenir le défouloir de toutes les colères du justiciable, y compris les moins fondées ? Autrement dit, comment mieux informer le public – et ses conseils – de la réalité de ce droit afin que le justiciable en fasse un meilleur usage et que la justice – avec le Conseil – en tire un meilleur profit ?

En même temps qu'il assume ses tâches, le Conseil doit donc mener un travail d'évaluation de sa propre action. Les rapports d'activité et la mise à jour des règles déontologiques sont ici irremplaçables.

Toutes ces questions seront à mon sens au coeur des débats du prochain CSM.

Si je puis, par ma connaissance de l'institution judiciaire, acquise depuis les trois ou quatre modestes points d'observation que j'ai occupés dans ma vie professionnelle (d'abord comme avocat puis comme universitaire juriste, ensuite comme chercheur attaché aux démarches pluridisciplinaires et, enfin, en divers lieux du débat public), participer activement à la réflexion et à l'action du Conseil et servir ainsi la République et l'indépendance de la justice parce que vous m'en aurez jugé digne, croyez bien que j'en serais à la fois très heureux et très honoré.

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