Intervention de Fabrice Hourquebie

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Fabrice Hourquebie :

Monsieur le président, merci pour votre accueil et pour les propos que vous venez de prononcer en préalable à notre échange.

C'est un honneur pour moi de me présenter devant vous comme candidat proposé par le président de votre Assemblée pour siéger au Conseil supérieur de la magistrature, dont la mission est primordiale dans la garantie de l'indépendance de l'autorité judiciaire et, partant, dans la protection de l'État de droit. Indépendance à laquelle je suis d'ailleurs particulièrement attaché, dans la mesure où je peux, en tant que professeur des universités et à la faveur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel en 1984, en mesurer quotidiennement les vertus et le caractère précieux.

Peut-être, monsieur le président, monsieur le rapporteur, me permettrez-vous de revenir très rapidement sur mon parcours, pour dire ensuite quelques mots sur ma conception du rôle et des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, conception que vous trouverez étayée dans les réponses aux questions que votre Commission a bien voulu me soumettre.

J'ai été présenté dans un récent article d'un quotidien du soir comme « le benjamin » de la future et éventuelle équipe du Conseil supérieur de la magistrature. Professeur de droit public spécialisé en droit constitutionnel, agrégé des universités, j'ai effectivement trente-neuf ans mais j'ai pu m'intéresser très tôt aux questions de justice, qui demeurent l'axe principal de mes recherches. Je dois vous dire d'ailleurs que si je n'avais pas débuté ma thèse en 2003, j'aurais passé le concours de l'École nationale de la magistrature pour devenir, en cas de succès, parquetier. En outre, à la même époque, j'avais été admissible au concours de directeur des services pénitentiaires, mais les résultats de mon Diplôme d'études approfondies étant intervenus avant l'oral d'admission, j'ai privilégié le cursus universitaire. C'est vous dire le plaisir que j'aurais à revenir, par un autre biais, dans le champ de la justice.

Ma thèse traitait de l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la Ve République ; plusieurs anciens membres du Conseil supérieur de la magistrature siégeaient d'ailleurs dans mon jury, comme MM. Jean Gicquel ou Dominique Rousseau. Dès lors, mes publications, qu'il s'agisse d'ouvrages ou d'articles, et mes communications ont, pour l'essentiel, porté sur la justice comme troisième pouvoir, l'indépendance de la justice, l'office du juge, le contentieux constitutionnel, le droit constitutionnel processuel et la justice transitionnelle et ce, chaque fois que cela fut possible, dans une perspective comparée.

J'ai pu me confronter aux questions liées au statut des juges, au fonctionnement des cours suprêmes, aux défaillances des capacités judiciaires des institutions. Très concrètement, j'ai participé à différentes missions internationales et ai travaillé très régulièrement dans les congrès scientifiques d'associations prestigieuses comme l'Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l'usage du français ou l'Association internationale des procureurs et poursuivants francophones. Je suis également codirecteur de la revue Constitutions, chez Dalloz, une jeune revue qui s'intéresse aux problématiques de justice – une chronique étant dédiée à cette question ; je suis membre du comité scientifique des Cahiers de la justice, revue au sein de laquelle je dirige également une rubrique. Enfin, je suis directeur de l'École doctorale de droit de l'Université de Bordeaux et secrétaire général de l'Association française de droit constitutionnel.

Ce rapide passage en revue de mes activités professionnelles avait pour unique objet de vous montrer le vif intérêt que je porte à l'institution judiciaire, que j'apprécie d'étudier en tant que pouvoir à part entière dans la Cité, avec le regard du constitutionnaliste. Pour cette raison, rejoindre le collège du Conseil supérieur de la magistrature serait un véritable honneur pour le professeur d'université que je suis, habitué à observer l'institution de l'extérieur.

Le Conseil supérieur de la magistrature est, paradoxalement, une institution encore mal connue, alors que son rôle est absolument essentiel dans le fonctionnement de la justice. En témoigne la succession des révisions constitutionnelles qui ont entendu le positionner plus clairement dans le paysage des institutions de l'État, notamment en renforçant progressivement ses compétences.

Cinq révisions constitutionnelles ont eu lieu à ce jour ; une sixième est en suspens. Pour résumer cette évolution, il n'est pas de meilleure formule que celle de l'un de mes maîtres, M. Jean Gicquel, qui a lui-même siégé au Conseil et qui avait déjà, après André Hauriou, incarné ce qui pourrait devenir une tradition au vu des nominations successives : la présence des professeurs de droit public au sein du CSM. Selon sa formule, « le Conseil supérieur de la magistrature est une création continue de la République » – création continue dont l'objectif sera d'amener progressivement le CSM à un statut constitutionnel et à des prérogatives renforcées au service de l'indépendance de la justice.

D'abord une naissance en 1883, dans un contexte si paradoxal incarné par une loi du 30 août qui, tout en suspendant le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège, faisait de la Cour de cassation, statuant en chambres réunies, un Conseil supérieur de la magistrature.

Ensuite, une constitutionnalisation du CSM en 1946 et une profonde réorganisation de ses compétences et de sa composition en 1958.

Mais c'est sans conteste les réformes constitutionnelles de 1993, créant notamment les deux formations, et de 2008, retirant la présidence du CSM au chef de l'État et ouvrant la saisine aux justiciables – dans un mouvement qui me semble aller de pair avec l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel – qui vont progressivement faire du CSM la clef de voûte de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Le projet de loi constitutionnelle de 2013 portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature semblait s'inscrire dans le prolongement de ces évolutions.

Le CSM a désormais sa place au sein des hautes institutions de la République. C'est une place qu'il a méritée, qu'il a conquise et qu'il doit défendre. C'est peut-être aussi une place qu'il se doit d'expliquer en communiquant davantage sur sa mission. Ses fonctions de représentation du corps judiciaire et d'interposition entre les pouvoirs constitutionnels doivent contribuer à faire de lui un véritable contre-pouvoir dans la démocratie constitutionnelle française.

Contre-pouvoir : le mot ne doit pas effrayer, bien au contraire. L'idée est induite par ce principe cardinal de l'État de droit, superbement théorisé par Montesquieu dans De l'Esprit des Lois et, avant lui, par John Locke dans son Traité du gouvernement civil, et qu'un professeur de droit bordelais dont l'université portait jusqu'à récemment le nom illustre de Montesquieu ne pouvait pas ne pas rappeler : l'idée de la séparation des pouvoirs, des checks and balances.

Il n'y a pas de démocratie modérée sans contre-pouvoirs. Montesquieu rappelait en effet qu'« il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

Le contre-pouvoir c'est d'abord, pour reprendre ses termes, la « faculté d'empêcher », c'est-à-dire le pouvoir de veto ; le CSM dispose de cette faculté – certes à un degré variable selon qu'il s'agit du siège ou du parquet – tant en matière de nomination des magistrats qu'en matière disciplinaire.

Mais c'est aussi la « faculté de statuer », c'est-à-dire de proposer : là encore, le CSM l'exerce à l'égard de la nomination des magistrats du siège, tant à travers le pouvoir de proposition que de l'avis conforme ; mais aussi à travers les avis – voire des communiqués – qu'il rend ; certes, il y a une limite en ce qui concerne les avis : il lui faut avoir été saisi en ce sens par le Président de la République ou le garde des Sceaux.

Je ne voudrais pas être plus long, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, de façon à laisser le temps suffisant à la discussion. Mais il me semble qu'aujourd'hui, le Conseil supérieur de la magistrature est à la croisée des chemins et à la croisée des destins. Il est aujourd'hui un véritable organe de garantie de l'indépendance de la justice.

Peut-il devenir un peu plus ? Doit-il être autre chose ? Faut-il aller vers un organe d'autogouvernement de la magistrature que d'aucuns appellent de leur voeux ou qui s'inspirerait de certaines expériences étrangères ? La tradition judiciaire française le permet-elle ? La fameuse « conception française de la séparation des pouvoirs » chère au Conseil constitutionnel l'autorise-t-elle ? Il n'y a pas ici de réponse toute faite, notamment au regard de l'enjeu. Il y a surtout un formidable débat judiciaire, politique et doctrinal qui, quelle que soit l'hypothèse retenue, repose sur le postulat qui a fait consensus, à savoir que le Conseil supérieur de la magistrature est une institution pivot de l'État de droit et, partant, de la protection des droits.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie et je suis prêt à répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser.

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