Intervention de Fabrice Hourquebie

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Fabrice Hourquebie :

J'ai tenu ces propos en qualité de professeur de droit constitutionnel, ce qui n'engage évidemment pas l'Association française de droit constitutionnel. Mais je suis heureux, monsieur le rapporteur, que vous m'interpelliez sur cette question car vous touchez du doigt le débat doctrinal du moment – qui est aussi un débat politique.

La Constitution française consacre en effet la justice en tant qu' « autorité judiciaire » et l'on connaît les raisons pour lesquelles le constituant de 1958 a tranché en ce sens. Les travaux préparatoires à la rédaction de la Constitution sont d'ailleurs particulièrement éclairants à ce propos, et l'on doit au président Latournerie un certain nombre d'options. Ce choix est à mettre en parallèle avec l'histoire constitutionnelle française – la défiance à l'égard des parlements d'Ancien Régime – et l'interprétation très orientée du propos de Montesquieu selon lequel « la puissance de juger est nulle. Le juge est la bouche de la loi. » Tout cela se traduit par une constitutionnalisation de la justice en tant qu'« autorité ».

Si je parle de pouvoir, c'est pour montrer l'écart qui existe entre le statut constitutionnel de la justice aujourd'hui et la réalité de ses attributions dans les faits. La justice se comporte comme un véritable pouvoir qu'on peut appeler « judiciaire » si l'on s'en tient à la justice judiciaire, ou « juridictionnel » si l'on tient compte de la dualité de juridictions et si l'on inclut – pourquoi pas – la justice constitutionnelle, qui serait ainsi la branche constitutionnelle du pouvoir juridictionnel. J'ai donc tendance à parler de « pouvoir » plutôt que d'« autorité » pour essayer de mettre le discours en adéquation avec les faits.

Par ailleurs, ériger la justice en pouvoir permet de jouer le jeu des checks and balances et de la démocratie modérée. Il ne peut y avoir de pouvoir et de contre-pouvoir que si les pouvoirs constitutionnellement consacrés ont en face d'eux un pouvoir égal, c'est-à-dire hissé à leur niveau.

Maintenant, la justice est-elle un contre-pouvoir et le CSM peut-il se comporter en contre-pouvoir ? Encore une fois, pour le constitutionnaliste que je suis, la notion de contre-pouvoir n'a rien d'effrayant et je tiens à la dédramatiser dans l'utilisation qui peut en être faite : c'est une notion fonctionnelle, qui va définir plutôt une institution au regard de sa capacité d'action à l'endroit d'une autre institution. Le contre-pouvoir, c'est l'institution qui va empêcher l'institution d'en face d'excéder ses compétences. Mais c'est aussi l'institution qui va pouvoir aider l'institution d'en face à se rééquilibrer.

La composition du Conseil supérieur de la magistrature est-elle un élément clé et décisionnel dans la conception d'un contre-pouvoir du CSM ? Je ne le pense pas. Je pense en revanche que, pour se conformer aux standards européens et à l'état du droit en vigueur, il serait légitime de revoir la composition du CSM, de dépasser ce clivage très ambigu qui a fini par conduire à une sorte de parité, notamment dans les formations disciplinaires, et d'opter pour une mise en majorité des magistrats au sein du CSM. Je ne crois pas que c'est la présence majoritaire des « laïcs » qui fera du CSM un véritable contre-pouvoir. Le CSM est une instance collégiale, une instance de délibération collective, qui doit aboutir à une décision commune. C'est en recherchant un équilibre entre les magistrats et les non magistrats que l'on pourra y parvenir.

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