Intervention de Général Bertrand Cavallier

Réunion du 15 janvier 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Général Bertrand Cavallier :

Je vous remercie pour votre invitation et suis très honoré de m'exprimer aujourd'hui devant les membres de la représentation nationale.

Je commencerai par rappeler brièvement mon cursus. Sorti de Saint-Cyr en 1978, j'ai effectué toute ma carrière au sein de la gendarmerie, et ai servi à plusieurs reprises dans la gendarmerie mobile. Parmi les temps forts de mon parcours, je citerai le commandement d'un groupement de gendarmerie mobile, celui d'un groupement de gendarmerie départementale, celui d'une région de gendarmerie, et celui du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie situé à Saint-Astier, en Dordogne. Très récemment, je viens de contribuer à la formation de la gendarmerie jordanienne, à qui nous nous efforçons de transmettre la culture française du maintien de l'ordre.

Dans une acception large, le maintien de l'ordre est une fonction centrale destinée à garantir la cohésion de la Nation et la cohérence du corps social sur les fondements de nos valeurs communes. Il doit notamment permettre de régler les contentieux de façon négociée plutôt que par la violence. Comme vous le savez, il repose sur un strict équilibre entre les impératifs de l'ordre public et les exigences du respect des libertés publiques.

Le maintien de l'ordre est une spécificité française remontant à la Révolution française, qui a posé les bases du maintien de l'ordre moderne, notamment avec le décret du 3 août 1792, dont certains éléments sont repris quasiment in extenso dans le code de la sécurité intérieure créé en 2012 – je pense notamment au principe selon lequel la force militaire est essentiellement obéissante, ainsi qu'aux modalités d'emploi de la force. Au XIXe siècle, George Clemenceau, appuyé par un groupe de députés, estimera que l'évolution de la société, de la démocratie, des libertés publiques et de l'expression des revendications sociales appelle une autre réponse, en matière de maintien de l'ordre, que celle consistant à opérer un déploiement de la troupe : il préconisera une réponse de nature policière, strictement encadrée sur le plan juridique et reposant sur un emploi beaucoup plus contenu de la force, devant se traduire par la création d'une force permanente spécialisée en matière de maintien de l'ordre. La décision de créer cette force sera prise après la guerre de 1914-1918, dans le cadre de la loi du 22 juillet 1921 et de la circulaire du 15 novembre 1921, créant les pelotons de gardes mobiles. La France est alors le premier pays à se doter d'une force permanente spécialisée en matière de maintien de l'ordre, répondant aux nouvelles exigences que j'ai évoquées précédemment. L'expérience montrera que ce choix était extrêmement judicieux, notamment lors de la crise du 6 février 1934, qui vit des ligues marcher en direction de la Chambre des députés.

Cette culture française du maintien de l'ordre s'est confortée au fil du temps et se traduit aujourd'hui par un dispositif global référencé dans le monde entier, reposant sur le concept de force spécialisée – intégré par la police nationale avec la création des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) en 1944-1945 – et s'appuyant sur un corpus juridique relevant à la fois du code pénal, qui définit la notion d'attroupement, et du code de la sécurité intérieure qui, par transposition à droit constant des dispositions initialement contenues dans le code pénal, réglemente l'emploi de la force publique pour le maintien de l'ordre.

Pour moi, le maintien de l'ordre ne se résume pas à la simple gestion des attroupements et manifestations. Le dernier rapport d'évaluation de la loi du 3 août 2009, rédigé par le député Hugues Fourage et le sénateur François Pillet, rappelle toute la pertinence du modèle de gendarmerie et évoque l'objectif politique de la représentation nationale, qui s'est manifesté dans le maintien du caractère militaire de la gendarmerie garantissant, par ses capacités de montée en puissance rapide et ses moyens matériels, la liberté d'action du Gouvernement. Bien que tous les gendarmes bénéficient d'une formation initiale au maintien de l'ordre, la gendarmerie mobile constitue une force militaire spécialisée dans cette mission. Actuellement forte de 12 000 hommes, elle comporte toute la variété de moyens nécessaires pour faire face à l'ensemble des situations susceptibles de se présenter, notamment aux plus dégradées.

C'est au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier qu'est formée la gendarmerie mobile, dans un cadre très transparent – ce dont peuvent témoigner les députés qui ont pu y séjourner. C'est un motif d'étonnement pour nombre de stagiaires étrangers que de constater que ce centre est complètement ouvert : y sont reçues des délégations de tous milieux, qui viennent se former à la conception française du maintien de l'ordre – nous proposons même aux stagiaires qui le souhaitent de vivre l'expérience du maintien de l'ordre dans toutes ses exigences, y compris les plus pratiques. Le CNEFG de Saint-Astier s'est affirmé comme un centre d'excellence accueillant des stagiaires de l'Europe entière, et constitue un modèle sur lequel se sont alignées la plupart des forces européennes, y compris celles du Royaume-Uni. Ce modèle repose sur les grands principes que sont l'absolue nécessité, la proportionnalité et le respect d'une très stricte gradation dans l'emploi de la force, l'objectif étant de maintenir l'adversaire à distance et d'être capable de l'amener à revenir progressivement au calme.

Trois notions structurent l'entraînement à Saint-Astier : premièrement, le rappel du sens – pourquoi est-on gendarme et quels sont les enjeux de cette qualité, la réponse étant le fait de servir son pays et de protéger nos valeurs communes, notamment nos libertés – ; deuxièmement, le renforcement des capacités individuelles, car le maintien de l'ordre et les actions de sécurité en général sont de plus en plus exigeants ; troisièmement, le réalisme des entraînements, qui permet de placer les gendarmes dans des situations les plus proches possible de la réalité, afin de favoriser une certaine maturité psychologique dans la gestion du stress – en effet, face à des situations éprouvantes, il est nécessaire de s'entraîner pour acquérir le sang-froid et la maîtrise de soi qui seront déterminants pour faire un usage abouti de l'emploi de la force.

Le dispositif actuel est reconnu par l'Union européenne et constitue un moyen pour la France de promouvoir ses valeurs en dehors de ses frontières, notamment sur le continent africain, où plusieurs États s'inspirent de son modèle. Cela dit, il est permis de se demander si ce dispositif est adapté aux nouvelles exigences en matière de sécurité, en termes de moyens et d'effectifs, mais aussi d'évolution dans le comportement des adversaires. Depuis quelques années, nous assistons à une nouvelle phénoménologie de la violence : les contestataires sont souvent aptes, désormais, à organiser et à recourir à des manoeuvres globales et cohérentes combinant un ensemble d'actions d'ordre physique, psychologique, juridique et technologique. Les violences sont protéiformes : les gendarmes ne sont plus seulement confrontés aux traditionnels mouvements de foule, mais aussi à des jets d'objets de plus en plus dangereux constituant des armes aux termes de l'article 132-75 du code pénal – et les armes blanches et à feu sont également utilisées de plus en plus souvent. Enfin, il n'est pas rare de devoir faire face à certains modes d'actions proches de la guérilla. Le dispositif actuel de maintien de l'ordre est conçu pour garantir la cohésion de la Nation dans le plein respect de ses valeurs communes, au sein desquelles figurent évidemment les libertés publiques fondamentales.

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