Intervention de Général Bertrand Cavallier

Réunion du 15 janvier 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Général Bertrand Cavallier :

Madame la députée Buffet, vous avez évoqué la question délicate du positionnement du représentant de l'État lors des manifestations. D'expérience, je dirai que, dès lors qu'il y a déploiement des forces de l'ordre, le commandant du dispositif rencontre le représentant de l'État – si le préfet n'est pas disponible, ce sera le directeur de cabinet. Notre attente première est d'obtenir une formulation claire de la mission que le représentant de l'État souhaite assigner aux forces de maintien de l'ordre : quel est l'effet recherché et quelles sont les limites de l'action requise ? Pour ma part, j'insiste sur la nécessité de voir cette mission rédigée par écrit. Certains préfets sont plus orientés « ordre public » que d'autres, c'est-à-dire qu'ils s'impliquent davantage. En tout état de cause, le commandant du dispositif déployé va systématiquement rechercher l'approbation de sa conception de manoeuvre par le représentant de l'État. Nous sommes des militaires, nous préparons nos missions et, dans ce cadre, nous rédigeons une conception de manoeuvre faisant apparaître le but poursuivi par l'autorité et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir. Une fois la conception de manoeuvre soumise au préfet, celui-ci peut l'approuver sans réserves, ou demander à ce qu'elle soit modifiée en fonction de sa propre analyse : l'essentiel est de disposer d'une base objective, matérialisée et traçable.

En tant que pays latin, nous sommes un pays de droit écrit, ce qui constitue une raison supplémentaire pour souhaiter favoriser un certain formalisme – qui pourra éventuellement faciliter l'intervention ultérieure de l'institution judiciaire, en fournissant au juge des éléments objectifs et matérialisés établissant qui a fait quoi. Cela dit, le commandant du dispositif doit tout de même disposer d'une certaine liberté de manoeuvre en matière de dosage de l'emploi de la force ou d'usage des armes, de manière à pouvoir obtenir l'effet attendu : il doit pouvoir faire son métier, étant précisé que le préfet, tenu informé des manoeuvres entreprises et de l'évolution de la situation, peut décider à tout moment de faire cesser l'action de la gendarmerie ou de la police, de modifier l'effet à obtenir, ou de demander à ce que des efforts nouveaux soient produits.

De ce point de vue, le renseignement est essentiel : ce qui va permettre de rédiger au mieux la conception de manoeuvre, de dimensionner et d'articuler le dispositif, ce sont les éléments relatifs à la nature de l'adversaire et à sa possible évolution en cours de manifestation. Si la France est un pays où l'on manifeste beaucoup, la plupart des manifestations se déroulent très bien, c'est-à-dire sans mauvaises surprises par rapport à ce qui a été prévu à la suite de la concertation organisée au préalable entre les organisateurs et les forces de l'ordre – dans le cadre de laquelle on explique ce que l'on va faire, et on décide, par exemple, de la place qui sera donnée à la presse lors de la manifestation ; dans ce cas, les dispositifs déployés sont surdimensionnés, mais il vaut toujours mieux être surdimensionné que sous-dimensionné.

Une manifestation bien encadrée donne toujours lieu à une rencontre avec les organisateurs, qui permet de délivrer une information préalable aux opposants. Cela dit, le dispositif des sommations a ses limites face à des individus extrêmement déterminés et armés, qui partent à l'assaut des forces de l'ordre : dans ce cas, il est évident que les individus en question ne se conformeront pas aux prescriptions qui leur seront faites. Classiquement, les sommations peuvent se faire avec un porte-voix ou en tirant une fusée rouge, et je ne vois pas l'utilité de recourir à d'autres moyens.

Pour ce qui est de l'articulation entre autorité civile et militaire, j'estime que le préfet doit prendre toute la place qui lui revient, et y rester. On attend de lui des ordres clairs, des directives formelles et précises : rien n'est plus difficile pour un commandant de dispositif que de devoir rester dans le vague. Au demeurant, il appartient au représentant de l'État, responsable de l'ordre public, de prendre ses responsabilités.

Policiers et gendarmes se trouvent actuellement dans une position difficile, dans la mesure où ils doivent faire face à un adversaire diffus : comme les événements récents l'ont montré, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la « violence globale », pour reprendre une expression que j'utilisais lors des exposés que je faisais à Saint-Astier. C'est au niveau idéologique que le problème de la violence se pose : est-elle acceptable quelles que soient ses motivations ? En fait, le véritable combat est à mener en amont, car notre société a adopté une culture de la violence sous l'effet de l'américanisation de notre mode de vie, et de la banalisation de la violence, notamment au cinéma et dans les jeux vidéo. La délinquance quotidienne devient, elle aussi, plus violente : je suis bien placé pour le savoir, car j'ai une fille gendarme dans une brigade territoriale et j'évoque souvent cette question avec elle.

Pour moi, les gendarmes départementaux doivent être formés comme les policiers de la sécurité publique, afin de leur permettre d'exercer au mieux leur mission au quotidien. Cette mission consiste à être en mesure de faire face à des menaces imprévues, tout en ayant une posture de bonhommie, de sociabilité vis-à-vis des citoyens. Ce compromis difficile à réaliser, c'est le métier même des gendarmes départementaux. Au sein des écoles de gendarmerie, on enseigne que l'« intervention professionnelle » doit se faire en observant trois principes : le principe de légalité, qui correspond au respect des droits premiers de la personne, le principe de sécurité – se protéger et protéger également les autres, notamment la personne que l'on contrôle –, et le principe d'efficacité, selon lequel on est amené à prendre, le moment venu, l'ascendant sur l'adversaire. Dans ce cadre, l'une des exigences fondamentales est le vouvoiement, dont les gendarmes font un usage inconditionnel, car il renvoie la personne contrôlée à une certaine idée du respect qu'elle a pour elle-même.

Cela dit, je considère que la gendarmerie départementale ne doit être utilisée pour le maintien de l'ordre que dans des missions de deuxième échelon, de bouclage, de surveillance de points particuliers. En effet, les missions de force, de premier échelon, demandent un entraînement et une cohésion spécifique. J'insiste sur l'importance de cette cohésion, qui participe d'une culture acquise grâce aux officiers d'encadrement : d'une importance fondamentale, elle s'obtient en travaillant et ne peut en aucun cas s'improviser.

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