Intervention de Victor Haïm

Réunion du 21 janvier 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Victor Haïm, président de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, ACNUSA :

Je commencerai par les missions de l'ACNUSA.

Comme je vous l'ai dit, à l'origine, l'ACNUSA avait pour mission de lutter contre les nuisances sonores. On y a ajouté la pollution de l'air. Bien que la loi – comme en témoignent les débats parlementaires – ait prévu d'étendre les missions de l'Agence à l'ensemble des pollutions, et donc aussi à la pollution lumineuse, à la pollution des sols et à celle de l'eau, actuellement je n'ai pas les moyens de m'y conformer. Je n'ai d'ailleurs pas de personnel pour cela.

Nous avons passé un marché avec un bureau d'études pour faire le point sur la pollution des sols et de l'eau dans les aéroports ou liée aux aéroports. Nous verrons alors, compte tenu de qui est fait par ailleurs et des niveaux de pollution, s'il peut être utile de demander la création d'un poste pour agir dans ces secteurs. Mais tant que je n'ai pas les résultats de l'étude, je ne saurais l'envisager. Voilà pourquoi, pour l'instant, nous nous contentons de travailler sur les deux pollutions majeures que sont le bruit et la pollution de l'air.

S'agissant de cette dernière, vous m'avez posé plusieurs questions.

Lorsque j'ai pris mes fonctions, en 2012, j'ai demandé la création d'un groupe de travail sur la pollution de l'air. Celui-ci est présidé par un membre du collège de l'ACNUSA, lui-même spécialiste de ce type de pollution. Ce groupe de travail rendra ses conclusions vers la fin du premier semestre 2015. Pour l'instant, il fait le point sur les différents types de pollution de l'air, sur les moyens de les mesurer et sur les polluants qu'il conviendra de retenir – les plus significatifs. Je ne peux pas vous dire quelles seront ses conclusions, dans la mesure où ce groupe de travail a encore besoin de se réunir un certain nombre de fois.

L'un de vous a abordé la question de la pollution sur le tarmac, essentiellement par le NOX. Il est exact que la pollution sur l'aéroport est liée en partie à l'activité des avions, et notamment aux moteurs auxiliaires qui sont utilisés en permanence. Voilà pourquoi nous recommandons systématiquement d'installer, dans la mesure du possible, des prises de 400 Hz qui permettent d'alimenter les avions au sol. Cela s'est fait sur les plus grands aéroports. À Nice, le parking des avions d'affaires, qui est très important, est équipé non seulement de prises de 400 Hz, mais aussi d'air conditionné. Je m'y suis rendu assez récemment et j'ai constaté que c'était très efficace. Cela dit, l'air conditionné n'est pas forcément nécessaire pour tous les aéroports ; il est surtout utile pour les longs courriers.

Je voudrais toutefois relativiser l'importance de cette pollution. J'en veux pour preuve le rapport 2014 sur l'environnement en France, qui est sorti tout récemment et qui ne fait pas apparaître la part des avions dans la production de NOX. La pollution de l'air par les avions n'est quasiment pas envisagée parce qu'elle ne représente presque rien.

C'est un peu la même chose pour les gaz à effet de serre. Il apparaîtrait en effet – et on l'a revérifié – que l'effet de serre du méthane produit par les vaches est supérieur à celui des avions en France. Mais bien sûr, ce n'est pas parce que quelque chose n'est pas très polluant qu'il ne faut rien faire.

Ensuite, l'ACNUSA peut-elle intervenir dans l'intérêt du pavillon français, et donc dans le domaine économique ? Ce n'est pas dans son rôle. Elle est là pour faire des recommandations tendant à la protection de l'environnement, au regard des nécessités du développement de l'aviation. Nous prenons acte du développement de l'aviation, qui est indépendant de notre action – et qui est aussi largement indépendant des pouvoirs publics.

Lorsqu'un phénomène tel qu'un accroissement de trafic se produit, nous essayons de voir si les conséquences sur les riverains sont contrôlées et si elles peuvent être minimisées dans la mesure du possible. Mais nous n'avons pas vocation à proposer des mesures qui permettraient d'encourager le développement du pavillon français. Je peux le regretter, mais cela ne fait pas partie de nos missions.

Après les missions, je vous parlerai des relations avec les personnes concernées par l'aviation : associations de riverains, DGAC et aéroports.

Je souhaite vous livrer trois anecdotes, trois expériences que j'ai vécues au moment de ma prise de fonctions.

Les premières associations que j'ai rencontrées sont des associations d'Orly. Ces dernières, après les politesses d'usage, m'ont demandé de faire fermer l'aéroport d'Orly et de le transférer ailleurs ! La première association de Roissy, quant à elle, l'Association de défense contre les nuisances aériennes, l'ADVOCNAR, m'a demandé d'interdire les vols de nuit et de faire partir FedEx, entreprise qui compte 3 000 salariés, sur Vatry, un village de 120 habitants. Cela aurait provoqué une noria de camions toutes les nuits pour arriver à six heures sur Paris. Enfin, lors de ma première visite à Toulouse, alors que je mettais en avant le fait que l'aviation était un bon moyen de lutter contre le chômage dans la région, une des personnes présentes, très proche de la présidente actuelle de l'Union française contre les nuisances des aéronefs, l'UFNA, m'a dit : « nous, les chômeurs, on s'en fout ! ». (Murmures divers)

Devant ce type de réactions, il n'y a pas beaucoup de possibilités de dialogue. En revanche, je peux vous dire qu'avec l'ensemble des autres associations, nous faisons du bon travail.

Avec la DGAC, les choses sont plus difficiles. Pourtant, de mon point de vue, on ne peut pas en dire du mal. C'est une administration extrêmement compétente, qui fait son travail remarquablement bien. En outre, j'ai de très bonnes relations avec le directeur général et les directeurs, que j'apprécie personnellement. Le problème tient à la politique de la DGAC : cette politique consiste à dire qu'il faut tout faire pour protéger la sécurité des avions – là, je suis totalement d'accord ; elle consiste aussi à dire qu'il ne faut pas négliger les enjeux économiques, et donc ne pas pénaliser le secteur économique lié à l'aviation – je ne peux pas être contre ; mais elle s'arrête là, et je ne suis plus d'accord.

Lorsque je demande des mesures pour minimiser les nuisances sonores, on me répond – quasiment officiellement – qu'on attend que des propositions remontent des plates-formes, et qu'on les fera appliquer dans la plate-forme concernée. Mais quelle plate-forme demanderait qu'on applique chez elle des mesures de restriction – interdiction des vols de nuit, interdiction d'avions plus bruyants, fermeture dominicale, etc. – alors qu'elle sait que, si cela se faisait, les avions partiraient sur la plate-forme d'à-côté ?

Je regrette donc que la DGAC, qui doit assumer son rôle de « direction », ne fasse pas son travail jusqu'au bout et ne prenne pas en compte cette dimension écologique et de protection des habitants. Car il est possible de prendre certaines mesures sans ruiner pour autant les compagnies.

Encore une fois, pour le reste, nous proposons des modifications de trajectoires, nous donnons des avis, et je pense que sur tous ces terrains-là, nous sommes suivis. Malheureusement, cette attitude « en retrait » qu'adopte la DGAC interdit d'avancer et de prendre en considération un certain nombre de nos revendications.

Par exemple, nous avons recommandé d'interdire la nuit les avions de moins de 13 EPNdB – amélioration du bruit perçu, selon une certification internationale valable pour tous les avions. Actuellement, il y a peu d'avions de ce type. On pourrait donc facilement faire un planning sur trois, quatre ou cinq ans en interdisant que ces avions bruyants ne volent la nuit. Ils pourraient voler le jour, ils pourraient aller ailleurs, mais pas voler la nuit au-dessus des populations. Or cela ne passe pas, pour la raison que j'ai rappelée tout à l'heure. J'estime vraiment que l'on pourrait faire un effort sur ce point-là.

Je me souviens aussi que nous avions fait une recommandation concernant le repos dominical autour de Roissy. J'ai alors reçu exactement cent lettres – d'ailleurs toutes sur le même modèle, puisqu'elles venaient de la même association – d'adhérents écrivant qu'il était inadmissible de proposer un repos dominical parce qu'ils voulaient dormir toutes les nuits et ne voulaient pas d'avions du tout ! Il n'est évidemment pas possible de fermer Roissy toutes les nuits sur l'ensemble des semaines.

Le repos dominical est déjà appliqué sur d'autres plates-formes. Selon le rapport de l'OMS de 2009, ce peut être le moyen de minimiser l'impact sur la santé lié à l'insuffisance de sommeil les autres jours de la semaine. Ce n'est pas la panacée, mais il permet de récupérer un peu lorsqu'on ne peut pas dormir beaucoup. En outre, la nuit de samedi à dimanche, il n'y a ni la Postale, ni le fret express, juste quelques charters. Je pense que l'on peut prendre en considération les populations survolées lorsque l'aéroport est proche d'une agglomération importante. Là encore, cette recommandation n'est pas passée, et je ne suis pas sûr que cela puisse se faire.

Toute recommandation conduisant à protéger l'environnement et les personnes a nécessairement un impact sur l'économie. Mon sentiment est qu'il faut faire des recommandations raisonnables par rapport à l'impact qu'elles produisent, et que c'est mieux que de ne rien faire du tout. C'est un point sur lequel je suis un peu en désaccord avec la DGAC. Cela figure dans le rapport de l'an dernier, et cela figurera dans le rapport de cette année.

Ensuite, je crois avoir d'assez bonnes relations avec les aéroports et les compagnies aériennes.

Il y a cependant un aéroport avec lequel je ne suis pas sûr de pouvoir garder longtemps ces bonnes relations, c'est celui d'Orly. La raison en est simple. On considère qu'au-dessus de 65 décibels en Lden, il y a des risques objectifs pour la santé. Cela a été indiqué dans plusieurs rapports de l'OMS, et mesuré à Heathrow ou ailleurs. Par ailleurs, les vols de nuit sont très perturbants. Or, dans notre rapport de cette année, qui va bientôt sortir, nous recommandons le rachat des immeubles d'habitation en zone 1 du PGS parce que le niveau de bruit dépasse 70 Lden, ce qui est extrêmement élevé. Bien sûr, les riverains qui voudraient rester resteraient. Près de Toulouse, dix-huit bâtiments seraient concernés, ce qui ne devrait pas poser d'énormes problèmes financiers. Mais près d'Orly, il y en a environ 230, ce qui représenterait une somme plus significative à investir. Malgré tout, je pense qu'il faut que les personnes qui subissent un niveau très élevé de bruit et qui souhaitent partir aient la possibilité de le faire.

J'en viens aux compagnies aériennes, à la question de la TNSA et au rapport de M. Bruno Le Roux que plusieurs d'entre vous ont abordés.

Il est exact que le rapport Le Roux évoque la question de la taxe sur les nuisances sonores aéroportuaires (TNSA). Mais vous aurez noté qu'il y consacre moins de 20 lignes et qu'il n'y a rien contre cette taxe. On n'y demande pas qu'elle disparaisse, ni même qu'elle soit réduite.

Le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) – rapport récent, sur lequel le collège n'a pas encore pris position, et sur lequel je ne saurais m'exprimer de façon officielle – ne propose pas non plus sa suppression. Mais il recommande de passer, dans un certain nombre d'hypothèses, à une prise en charge de 80 % du plafond retenu.

L'ACNUSA avait développé l'année dernière – et elle maintient cette année – la thèse suivante : selon les textes, la TNSA n'est pas une taxe affectée au sens juridique du terme, mais une somme mise à la charge des compagnies aériennes pour financer l'insonorisation des immeubles bénéficiant d'une antériorité par rapport au PEB, et impactés par le survol des avions. Elle répond au principe pollueur-payeur ; c'est un droit à l'indemnisation des nuisances que l'on subit du fait du trafic des avions. Pour moi, lorsque quelqu'un est victime d'un fait quelconque, en l'occurrence des nuisances causées par des avions, l'auteur du dommage doit le réparer. La TNSA est une réparation forfaitaire du dommage par le financement de l'insonorisation.

Aujourd'hui, le montant de la TNSA est plafonné, ce qui signifie que quelqu'un en récupère une partie au passage. Comme je l'ai dit devant le secrétaire d'État lorsque je l'ai rencontré, il s'agit ni plus ni moins « d'un détournement des fonds » destinés à financer l'insonorisation !

J'ajoute que la constitutionnalité de la mesure me paraît délicate car si la TNSA récoltée est supérieure au plafond, le surplus va au budget de l'État. Cela signifie que les compagnies aériennes, quand on leur demande de payer pour financer l'insonorisation, voient une partie de l'argent qu'elles donnent rentrer dans le budget de l'État, à l'instar de l'impôt sur les sociétés. En fait, c'est un complément plus ou moins occulte de l'impôt sur les sociétés mis à la charge des compagnies aériennes. Juridiquement parlant, cela ne me semble pas pouvoir tenir la route.

Ensuite, si l'on ramène la TNSA à 80 %, les victimes des nuisances sonores vont devoir supporter les 20 % qui restent à leur charge. L'ACNUSA a pris position contre, et je crois qu'on ne pouvait pas faire autrement. Dans le rapport, on propose de maintenir les 100 %, mais éventuellement de poser une limite de temps, pour donner de la lisibilité aux compagnies aériennes. Dans la situation actuelle, ce pourrait être sans fin.

Si l'on descend à 80 %, certaines personnes ne pourront plus payer, si le reliquat qui reste à leur charge est trop important pour elles. On propose donc de maintenir les 100 %, la demande devant intervenir dans les cinq ans. Le financement pourrait intervenir de façon plus échelonnée, en fonction des moyens disponibles, mais on limiterait dans le temps la possibilité de se manifester pour demander l'aide à l'insonorisation. Cette solution me semble convenable.

Par ailleurs, il faudrait peut-être prendre des mesures complémentaires d'accompagnement. Il semble que ce soit surtout des immeubles collectifs qui soient à la traîne. Les syndics devraient être amenés à faire le nécessaire pour bien informer les personnes de l'intérêt de ces travaux. De la même façon, les propriétaires qui n'occupent pas le logement devraient être encouragés à les faire réaliser. En effet, le reliquat est à leur charge et ils ne peuvent pas le répercuter sur le locataire, puisqu'il ne s'agit pas d'une charge locative. Ainsi, certains locataires vivent dans des immeubles qui ne sont pas insonorisés parce que le propriétaire n'en voit pas l'intérêt. Je pense qu'une petite incitation, une petite « pression » de votre part – mais c'est votre travail, ce n'est pas le mien – serait la bienvenue.

Je précise qu'en moyenne, la TNSA représente 30 centimes d'euro par passager – sauf la nuit où elle monte à 1,20 euro. Elle ne pèse pas sur les compagnies aériennes, et ne joue pas sur la demande de transport.

En bref, je ne demande pas que l'on augmente cette taxe, mais qu'on maintienne les 100 % et qu'elle continue, dans sa totalité, à financer des travaux d'insonorisation, ce pourquoi elle a été faite. Cela me semble incontournable.

Passons aux procédures.

Vous m'avez posé quelques questions concernant les vols de nuit, le relèvement ILS et le plafonnement sur Orly.

Concernant les vols de nuit, je vous ai parlé tout à l'heure des demandes que nous avions faites à ce sujet, et qui n'avaient pas été prises en considération.

Concernant le relèvement d'ILS, je ne suis pas totalement en phase avec l'analyse que vous avez faite. Nous avons fait procéder à des mesures et nous y avons procédé nous-mêmes : il apparaît qu'il y a peut-être un peu plus de populations impactées depuis le relèvement d'ILS, mais qu'elles le sont à des niveaux de bruit beaucoup moins élevés. Le relèvement d'ILS oblige à faire des trajectoires plus longues pour revenir. L'avion va tourner plus loin, il y a donc davantage de populations survolées. Mais ces populations sont survolées de plus haut, ce qui limite les nuisances sonores qu'elles subissent.

Quant au survol de la tour Eiffel à 700 mètres, je n'en ai pas connaissance. Normalement, les avions sont interdits à moins de 2 000 mètres au-dessus de Paris.

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