Je suis d'accord avec Véronique Massonneau sur le fait que nos lois ne sont pas appliquées et aussi sur la probabilité que le débat sur la fin de vie, aussi vieux que l'humain, se poursuivra tant que l'humain sera capable de se questionner.
En 1999, nous définissions ensemble l'accès pour tous aux soins palliatifs. Or nous constatons que, malgré des avancées considérables, il reste énormément d'insuffisances. En 2002, nous avons franchi une étape supplémentaire en accordant le droit de refuser des traitements, même si cela met la vie de la personne en danger. Force est de constater que l'application de cette mesure reste incomplète. En 2005, nous avons adopté une loi qui condamne l'acharnement thérapeutique. On constate pourtant encore que ce dernier persiste dans les services hospitaliers, même s'il est parfois demandé autant par les malades que par les médecins.
Permettez-moi de souligner que l'affaire Vincent Lambert n'a rien à voir avec le droit à l'euthanasie ou au suicide médicalement assisté : dans n'importe quel pays, quelqu'un qui n'a pas émis de directives pose un problème. Rappelons que la France est le seul pays à avoir inventé une procédure qui permet de mettre fin à ces prolongations artificielles de la vie. Dans les autres pays, y compris dans ceux qui ont légalisé l'euthanasie ou le suicide médicalement assisté, l'affaire Vincent Lambert ne se réglerait pas. Le Conseil d'État a confirmé que l'arrêt des traitements de survie de Vincent Lambert était possible. Cette affaire n'est pas un élément qui doit nous inciter à modifier la loi, sauf à lui faire préciser que les membres de la famille doivent exprimer l'avis de la personne qui ne peut plus le faire et non pas leur avis personnel. Sur les 30 000 et 50 000 arrêts de traitements de survie qui sont décidés chaque année en application de la procédure française, il pourra toujours y avoir un cas où la famille se déchire et qui est soumis aux tribunaux.
Venons-en à la procédure choisie par le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu de débat. D'abord, la commission Sicard, créée à l'initiative du Président de la République, a mené des consultations dans toute la France. Ensuite, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a émis un avis confirmant, à la majorité de ses membres, les conclusions du rapport du professeur Didier Sicard. Enfin, le CCNE a rendu un rapport où étaient bien définis les avancées consensuelles et les points d'affrontement. Le Président de la République a choisi la voie consensuelle – qui n'a rien d'un consensus mou – pour dépasser le problème de manière pragmatique grâce à tous ces travaux. Il a déclaré qu'il faisait siennes les suggestions contenues dans la proposition de loi que nous avons déposée Alain Claeys et moi-même.
Le droit à l'euthanasie ou au suicide médicalement assisté soulève plusieurs problématiques, la première étant la rupture de digue. On part toujours d'un cadre extrêmement strict, et je ne remets pas en cause la sincérité de Véronique Massonneau quand elle veut réserver ce droit aux seuls adultes. Pour autant, on constate qu'en Belgique l'autorisation d'euthanasie existe pour les malades mentaux et les mineurs, et qu'en Suisse 30 % des suicides assistés concernent des personnes qui n'ont pas de maladies graves et incurables mais qui sont seulement âgées et lasses de vivre. Lorsqu'on ouvre un droit de ce type, il est extrêmement difficile de le circonscrire.
Le deuxième argument est d'ordre médical. Dans notre pays où les soins palliatifs se sont installés, la culture médicale est opposée à l'euthanasie pour une raison logique : la mort ne poursuit pas les soins, elle les interrompt.
Ce qui me conduit au troisième argument : il est difficile pour une société de combattre le suicide tout en l'autorisant pour certaines personnes. C'est là un débat éthique dans lequel s'opposent les notions d'autonomie et de vulnérabilité : il faut respecter la volonté de l'individu mais également protéger les personnes vulnérables. Lorsqu'une personne arrive à l'hôpital après une tentative de suicide, elle est réanimée. Toutes les sociétés essaient de lutter contre le suicide, le considérant davantage comme le signe d'une souffrance que comme l'expression d'une liberté individuelle. Comme Robert Badinter, je pense que lorsque l'on touche à des droits fondamentaux tels que le droit à la vie, on prend le risque de fragiliser les plus vulnérables.
Je ne dis pas que la proposition de loi que nous avons déposée, Alain Claeys et moi-même, clôt définitivement le débat. Le Mythe de Sisyphe de Camus commence par cette interrogation philosophique : la vie vaut-elle vraiment la peine d'être vécue ? C'est effectivement la question existentielle fondamentale pour les humains. Pour autant, la proposition de loi est consensuelle et, à certains moments de son histoire, un pays doit savoir se rassembler sur l'essentiel pour continuer à faire vivre la démocratie. Ce débat est utile et je me réjouis qu'il ait lieu à l'Assemblée nationale : les parlementaires pourront améliorer ce texte qui n'est pas parfait mais qui répond à l'attente des Français. Ceux-ci demandent à être mieux écoutés et à ne pas souffrir en fin de vie.
Pour terminer, je citerais la dernière statistique qui n'est ni plus ni moins valable que les autres. Majoritairement, les Français préfèrent mourir tout de suite plutôt qu'après un mois de souffrance. En revanche, ils préfèrent des soins palliatifs qui atténuent la souffrance, quitte à ce qu'ils raccourcissent la vie, plutôt que la mort donnée. Attention aux réponses trop simples sur des problèmes éminemment complexes et divers. Il serait bon que nous essayions, dans le respect de nos différences, d'avancer ensemble dans une direction souhaitée par les Français plutôt que de s'abriter derrière des positions dogmatiques ou personnelles.