Sans vouloir faire une interprétation osée, je dirai que la question qui va être traitée maintenant à travers le rapport de la MECSS rejoint, d'une certaine façon, le débat que nous venons d'avoir sur la fin de vie. Ce sujet et l'accompagnement de la perte d'autonomie tout au long de la vie sont au centre des préoccupations de tous nos concitoyens.
Je salue les deux co-présidents de la MECSS, Mme Gisèle Biémouret et M. Pierre Morange.
Après environ six mois d'auditions, et avec l'assistance de la Cour des comptes, la MECSS a adopté, le 14 janvier dernier, son rapport sur la mise en oeuvre des missions de la CNSA. La Caisse a été créée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, adoptée après le drame de la canicule de l'été 2003 qui avait fait près de 15 000 victimes. Si plusieurs documents, rapports et études ont suivi le cheminement de cette Caisse, dix ans après sa création, le temps était venu pour la MECSS de tirer le bilan de la mise en place de cet organisme original.
Dix ans, c'est très peu finalement, si l'on songe à la place centrale qu'occupe désormais la CNSA dans le paysage médico-social. C'est le premier constat de la MECSS auquel est consacrée la première partie du rapport : la CNSA s'est imposée comme un acteur incontournable et a su trouver sa place au sein d'un secteur médico-social à l'organisation complexe et fortement décentralisée.
Plusieurs aspects témoignent du bilan globalement positif de la CNSA.
Tout d'abord, le mode de gouvernance de la CNSA, précurseur il y a dix ans, constitue aujourd'hui un modèle dans les secteurs sanitaire et médico-social. Il a facilité le développement d'une culture commune, souvent réclamée, dans l'approche de la compensation de la perte d'autonomie. En effet, le conseil de la CNSA est composé des partenaires sociaux, mais également des représentants des associations oeuvrant dans le champ du handicap et des personnes âgées, de représentants des conseils généraux, de représentants de l'État, de parlementaires, de représentants d'institutions intervenant dans les domaines de compétence de la Caisse, et de personnalités qualifiées. Cette composition originale, qui se distingue de celle des conseils d'administration des caisses historiques de sécurité sociale, traduit la volonté d'associer l'ensemble des acteurs du champ médico-social à la conception et à la mise en oeuvre de la politique de compensation de la perte d'autonomie. Qualifiée de « démocratie médico-sociale », cette gouvernance a permis la co-construction d'une politique de compensation de la perte d'autonomie. Il nous a semblé que la participation au conseil de la CNSA de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) favoriserait encore davantage une approche transversale de la politique d'autonomie.
Instance originale, la CNSA s'est également imposée comme un acteur incontournable du paysage médico-social grâce à l'extension progressive de ses missions, lesquelles devraient être encore élargies par le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, une fois adopté. Dans un secteur confronté à de nombreuses réformes, la CNSA doit être perçue comme un point de repère. Alors que la réforme territoriale, dont les contours précis ne sont pas encore connus, risque de modifier le positionnement des acteurs de terrain qui portent les politiques médico-sociales, la CNSA constitue un élément de continuité et est, de ce fait, à même de jouer un rôle essentiel de sécurisation, d'appui, d'accompagnement et d'aide à la gestion des transitions dues aux grandes évolutions annoncées dans les prochaines années.
Si la CNSA a su trouver sa place parmi de nombreux acteurs, entre un État stratège et une gestion de proximité, il nous a néanmoins semblé que ses relations avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) méritaient d'être clarifiées.
J'ai également souhaité aborder dans le rapport la question du financement des établissements et services médico-sociaux, auquel se rapportent les crédits de la section I du budget de la CNSA. Les modalités de tarification actuelles ne sont pas satisfaisantes et peinent à évoluer. Un comité stratégique sur la réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux qui accueillent les personnes handicapées a néanmoins été mis en place le 26 novembre dernier par Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées. La MECSS souhaite que la réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux, attendue depuis longtemps, puisse se concrétiser dans un délai de trois ans.
En attendant, la contractualisation entre l'administration et les gestionnaires de structures médico-sociales doit être développée. C'est pourquoi je propose de rendre obligatoire la conclusion de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) entre les gestionnaires d'établissements et services médico-sociaux et les autorités chargées de l'autorisation de ces établissements et services. Les CPOM, qui offrent une souplesse de gestion nouvelle en permettant des engagements de financement pluriannuels, sont trop peu développés, malgré leur intérêt.
Le budget de la CNSA contribue également, à travers ses sections II et III, au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH). Dans un contexte où le versement de ces prestations représente une charge croissante pour les départements, la MECSS rappelle la nécessité de sanctuariser les recettes de la CNSA et de veiller à ce que le montant de ses recettes affectées aux départements soit adapté au rythme de progression des dépenses légales des départements en matière d'APA et de PCH.
Dans la deuxième partie du rapport, j'ai souhaité insister sur la nécessité de renforcer la CNSA, afin de lui permettre d'accomplir pleinement les nombreuses missions qui lui ont été confiées.
Plusieurs difficultés ont été identifiées : des disparités importantes subsistent sur le territoire, tant en matière d'offre collective que s'agissant de la compensation individuelle de la perte d'autonomie. En matière d'offre collective, dans les établissements et services médico-sociaux, on note d'importants écarts d'équipements entre les régions, en nombre de places par habitant comme en dépenses par habitant. En matière de compensation individuelle, le niveau d'attribution de l'APA et de la PCH est également inégal d'un département à l'autre.
La définition de critères plus fins de répartition des moyens nouveaux pour les créations de places dans les établissements permettrait de mieux répartir les crédits en fonction des spécificités respectives de chaque territoire. De même, de nouveaux critères de péréquation pour l'attribution des concours de la CNSA en matière d'APA et de PCH permettraient d'améliorer la répartition des crédits entre les départements.
L'action de la CNSA est également entravée par des carences dans la connaissance des besoins sur le territoire, comme dans celle des coûts des établissements et services. La répartition équitable des moyens entre les établissements et services suppose, en effet, une bonne connaissance de leurs prestations, de leurs coûts et de leurs tarifs. Pour cela, la CNSA s'appuie sur l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), dont le champ de compétence a été étendu au secteur médico-social très récemment, en 2012. Or les moyens de l'ATIH sont insuffisants – même la Cour des comptes en convient : dans la mesure où les études et les enquêtes de coûts menées par cette agence sont indispensables à l'exercice de la mission principale de la CNSA consistant à répartir les ressources de manière équitable, j'ai proposé que les effectifs de l'ATIH soient renforcés.
Le manque de connaissances concerne également le patrimoine immobilier du secteur médico-social, sujet souvent évoqué au sein même de cette commission ou à l'occasion de nos travaux dans le cadre de la MECSS. La dégradation du parc immobilier rend nécessaire la réalisation rapide d'une évaluation de ce patrimoine afin de mieux connaître et d'anticiper ses besoins de modernisation, qui sont particulièrement importants.
D'une manière plus générale, il nous est apparu que la recherche dans le secteur médico-social restait trop ponctuelle et peu structurée, alors qu'elle devrait être au coeur de l'action de la CNSA. Pour cela, le rôle de son Conseil scientifique doit être accru et le caractère opérationnel de la recherche accentué.
La MECSS a également pu constater le retard considérable pris en matière de systèmes d'information dans le secteur médico-social. Ce retard nuit à l'analyse des coûts et à la qualité des remontées de données dont dispose la CNSA, bien que des progrès récents aient été constatés.
Dans le champ de l'offre collective, la mise à disposition de l'application « Harmonisation et partage d'information » (HAPI), utilisée à la fois pour la tarification des agences régionales de santé (ARS) et pour le pilotage local de leurs enveloppes de tarification, permet désormais à la CNSA de disposer de données précises sur l'exécution de l'objectif global de dépenses.
Les retards sont plus importants en ce qui concerne les systèmes d'information des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), dont la diversité rend les échanges directs entre MDPH impossibles et les remontées d'information vers la CNSA complexes. Afin de remédier à cette difficulté, le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, en cours de navette, prévoit de mettre en place un nouveau système d'information, commun aux MDPH et interopérable avec ceux de la CNSA et des conseils généraux. La MECSS s'attachera à veiller à ce que ce système d'information mutualisé, piloté par la CNSA, puisse être mis en place dans un délai de deux ans.
Dans la troisième partie du rapport, j'ai souhaité proposer des pistes de réforme permettant de favoriser le décloisonnement des politiques publiques et de mieux prendre en compte la notion de « projet de vie ». En effet, l'ensemble des personnes auditionnées par la MECSS, mais aussi les nombreux rapports publiés sur le sujet, dressent un constat unanime : il est nécessaire de promouvoir la continuité des parcours de vie.
En dépit de ce consensus, les politiques menées restent encore trop segmentées. Les politiques destinées aux personnes handicapées et celles en faveur des personnes âgées dépendantes font l'objet d'un traitement trop distinct. Les politiques sanitaires et les politiques médico-sociales sont également trop cloisonnées, en dépit du caractère souvent multidimensionnel des problèmes à traiter. Afin de rapprocher le secteur sanitaire et le secteur médico-social, il convient d'inciter les établissements de santé et les établissements médico-sociaux à mutualiser leurs moyens et leurs compétences, et de renforcer la coopération et la coordination, encore insuffisantes, entre les équipes de soins et les équipes médico-sociales.
Je souhaiterais aussi que soit favorisé le développement d'initiatives locales innovantes et que soient étendues les expérimentations fructueuses, notamment le projet « personnes âgées en risque de perte d'autonomie », dit « PAERPA ». Des initiatives et des moyens ont été développés à travers les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC), mais aussi à travers les maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (MAIA). Plusieurs expérimentations de terrain existent, qui sont extrêmement riches. Le rapport cite des initiatives locales qui ont produit des résultats satisfaisants, comme les actions de prévention de la perte d'autonomie assurées par le pôle gériatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges ou encore les filières gérontologiques de la région Rhône-Alpes. Ces bonnes pratiques méritent d'être encouragées et de faire l'objet de plus de communication, afin de permettre à l'ensemble des acteurs de s'en inspirer. Il ne s'agit pas de se contenter d'expériences réussies, mais de se donner pour objectif d'en faire profiter chacun.
Par ailleurs, dans la mesure où les modes de financement actuels constituent un frein à la coopération des acteurs des différents secteurs et au développement de formes plus souples d'organisation des structures, une évolution des modalités de tarification et de rémunération nous est apparue nécessaire. Le décloisonnement des secteurs sanitaire et médico-social au service de la fluidité des parcours de soins suppose aussi de lever les obstacles juridiques et techniques au partage d'informations entre les professionnels de ces secteurs, dans le respect des droits des personnes. Le rapprochement des politiques en faveur des personnes âgées et de celles destinées aux personnes handicapées pourrait, quant à lui, être facilité par la convergence des outils, des méthodes et des procédures, notamment en matière d'information, d'évaluation des besoins et de suivi de la personne handicapée et de la personne âgée dépendante.
Cette convergence doit néanmoins tenir compte de la spécificité des différents publics. Si les besoins des personnes âgées dépendantes et ceux des personnes handicapées sont en partie similaires, certaines particularités, sans interdire un rapprochement des politiques, rendent inadaptée toute forme d'amalgame ou de confusion. Tout en appelant à la plus grande vigilance sur ce point, je suis convaincue de la pertinence de la généralisation d'un guichet unique pour rapprocher utilement des politiques aux problématiques souvent communes.
Afin de garantir l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire, la CNSA pourrait se voir confier une fonction renforcée de pilotage, de régulation et d'évaluation de cette nouvelle organisation, pour conforter une politique nationale de l'autonomie. Cette évolution ne pourra se faire de manière satisfaisante que grâce à un travail de dialogue et d'écoute, notamment avec les associations représentant les personnes handicapées, habituées à être actrices des politiques du handicap. La CNSA pourra accompagner et évaluer, puis valider les étapes de cette évolution.