Intervention de François Rebsamen

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 16h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Présentation

François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques – je salue particulièrement MM. Stéphane Travert et Denys Robiliard, les deux rapporteurs du titre III de ce projet de loi, titre consacré au travail –, mesdames et messieurs les députés, je remercie tout d’abord les rapporteurs, la commission spéciale, et le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour le travail qu’ils ont accompli.

Le titre III de ce projet de loi est intitulé, comme vous le savez, « Travailler ». Il est cohérent avec le titre I, consacré à l’activité, et avec le titre II, consacré à l’investissement ; les réformes du marché du travail sont en effet facteur de croissance, et donc de création d’emplois, ce sont là deux objectifs majeurs du Gouvernement.

Cette cohérence se retrouve à l’intérieur du titre III : si l’on veut que le travail contribue mieux au fonctionnement de notre économie, il faut plus d’efficacité et d’équité sur le marché du travail et dans les relations de travail. De fait, comme vous pouvez le constater, pour chacun des sujets abordés par ce titre, efficacité et équité sont constamment liées.

C’est le cas, tout d’abord, en matière d’exception au repos dominical dans les commerces de détail. Il nous faut aboutir à un dispositif plus sûr juridiquement et plus simple, pour plus d’efficacité. Mais le système doit aussi être plus équitable : c’est pourquoi le Gouvernement veut étendre les compensations salariales partout où, dans le commerce de détail, les salariés travaillent le dimanche. La précédente majorité avait introduit des dérogations au principe du repos dominical, sans prévoir de telles compensations, notamment pour les zones touristiques. Nous avons pris un autre parti, et fait un choix inverse : là où il y a des exceptions, les salariés doivent bénéficier d’une compensation.

Deuxième exemple : le détachement. Les fraudes au détachement constituent incontestablement un dumping social qui remet en cause notre modèle social. Cela n’est pas acceptable ! Des salariés sont traités de façon indigne, contrairement aux progrès sociaux construits par des siècles de luttes dans notre pays – droit à un salaire minimum, à un hébergement digne, à un temps de repos minimal. Ces droits doivent être respectés.

De plus, les entreprises qui jouent le jeu se retrouvent dans une situation d’inégalité criante par rapport à celles qui recourent à des salariés détachés dans des conditions illégales. Ces dernières mènent une course insupportable au moins-disant social, qui est délétère pour tous, salariés comme entreprises. Contrairement à ce que l’on dit, les intérêts des premiers sont souvent identiques à ceux des secondes.

Pour lutter contre ce phénomène, j’ai souhaité que le projet de loi comporte trois mesures phares. Premièrement, une hausse très forte des amendes en cas de fraude au détachement : celles-ci décuplent, puisque leur plafond est désormais fixé à 150 000 euros. Deuxièmement, l’instauration d’une procédure de cessation immédiate d’activité à la main de l’administration lorsqu’une entreprise commet des infractions graves. C’est très important : les préfets demandent régulièrement une telle procédure pour les cas où une entreprise commet des infractions graves. Cela permettra de réagir vite, donc de porter un coup d’arrêt réel à la fraude. Troisièmement, la généralisation de la carte d’identification professionnelle du BTP, non seulement pour les salariés affiliés à une caisse de congés payés du BTP, mais également pour les intérimaires et les salariés détachés par une entreprise établie hors de France présents sur les chantiers. Cette mesure est très forte et emblématique ; elle est attendue par les professionnels du bâtiment : j’insiste sur ce point. Elle facilitera les contrôles de l’inspection du travail.

Au-delà de la question du détachement, pour améliorer l’efficacité de notre droit du travail, il convient de le doter de sanctions crédibles, proportionnelles, donc effectives et efficaces. C’est l’objet de la réforme de l’inspection du travail et de la réforme du délit d’entrave, qui sont prévues par ordonnance. Il nous faut donner aux inspecteurs du travail le pouvoir d’intervenir efficacement, en temps utile, avec des moyens appropriés. La réforme de l’inspection du travail menée l’an dernier par décret rendra son fonctionnement plus collectif, et améliorera la définition des priorités de contrôle, notamment en matière de travail illégal. Comme cela a été annoncé depuis le début de cette réforme, nous devons à présent la compléter, notamment grâce à l’instauration d’une sanction administrative plus rapide et plus efficace que la voie pénale actuellement en vigueur.

La même nécessité de se doter de sanctions effectives se retrouve en matière de délit d’entrave. La peine de prison pour entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel n’a plus de sens aujourd’hui : elle est disproportionnée par rapport à certains faits – par exemple, le non-respect des délais de transmission de certains documents – et n’est jamais appliquée par les juges. Elle a donc pour principal effet de dissuader les investisseurs étrangers de venir en France, sans remplir sa finalité première. Nous proposons donc de la supprimer et, à la place, de créer une amende effectivement applicable et réellement dissuasive, sans pour autant freiner l’investissement étranger. C’est aussi, en effet, l’attractivité de la France qui se joue là.

Plus d’équité et d’efficacité, cela passe aussi par une justice prud’homale qui fonctionne. Mme la garde des sceaux vient de le rappeler de manière éclairante. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la justice prud’homale souffre de dysfonctionnements importants. La conciliation est réduite à la portion congrue – elle ne représente plus que 7 % des affaires terminées – et les délais de jugement sont beaucoup trop longs, comme l’a rappelé M. le ministre de l’économie. Ce sont les personnes les plus faibles qui en pâtissent le plus.

Un premier pas a été franchi, avec la réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux. Cette réforme visait à mieux asseoir leur légitimité. La réforme qui vous est proposée aujourd’hui va plus loin : elle revoit en profondeur, dans le sens de l’égalité et de l’efficacité, la procédure devant les prud’hommes. À ce sujet, je reviendrai sur deux dispositions, deux innovations importantes de ce projet de loi : premièrement, la mise en place d’une formation initiale obligatoire des conseillers de prud’hommes ; deuxièmement, la création d’un véritable statut du défenseur syndical.

Concernant la formation, en premier lieu : aujourd’hui, chaque organisation syndicale, du côté des salariés comme des employeurs, assure une formation à ses conseillers. Cette formation est bien évidemment légitime – il ne s’agit pas de la contester –, mais elle n’est pas exclusive d’une formation initiale commune obligatoire qui concernerait tous les conseillers prud’homaux, qu’ils soient issus des rangs des salariés ou de ceux des employeurs, et cela, quelle que soit leur organisation. Notre souhait est donc de créer un véritable tronc commun. Cette formation serait ainsi le creuset d’une justice prud’homale plus cohérente et plus homogène. Je suis convaincu que le respect des différences et de l’identité de chacun n’est pas contradictoire avec la promotion d’une culture commune, notamment pour ce qui touche aux questions procédurales et contentieuses. Il y va de l’intérêt de tous, employeurs comme salariés.

Deuxième avancée : le statut du défenseur syndical. Vous le savez, cette proposition a reçu un accueil très favorable de l’ensemble des organisations syndicales. Aujourd’hui, le statut du défenseur syndical n’est pas satisfaisant : il n’existe aucune règle quant aux conditions de recrutement, de formation, de travail des délégués syndicaux. Le code du travail prévoit simplement qu’ils peuvent bénéficier de dix heures par mois d’autorisation d’absence, non rémunérées. En fixant de telles règles, ce projet de loi détermine un véritable statut du défenseur syndical, qui assurera une défense de meilleure qualité pour les salariés.

L’efficacité et l’équité sont ici étroitement liées. Il faut en effet garder à l’esprit que 99 % des demandes introduites devant la justice prud’homale sont le fait des salariés. Ceux-ci aspirent à un meilleur fonctionnement des prud’hommes : une justice prud’homale plus efficace, c’est donc aussi une justice prud’homale plus équitable.

Pour conclure sur ce sujet, je réaffirme mon attachement au caractère paritaire de la juridiction – nous y sommes tous attachés –, et ma confiance en elle. À ceux qui y verraient une institution incapable d’évoluer, je rappelle qu’elle a accordé le droit de vote aux femmes en 1907 et les a rendues éligibles en 1908, soit quarante ans avant que ces droits leur soient reconnus aux élections politiques ! Il s’agit donc bien d’une juridiction capable d’innover.

Dans ce même souci d’efficacité et d’équité, ce projet de loi vise à sécuriser certaines dispositions introduites par la loi relative à la sécurisation de l’emploi, en matière de licenciement économique. La voie négociée pour les plans de sauvegarde de l’emploi, voulue par les signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, est un véritable succès : les PSE se terminent désormais, hors procédures collectives, à plus de 60 %, par des accords collectifs majoritaires. Cependant, certaines imprécisions du texte fragilisent les homologations faites par l’administration. Le juge peut, par exemple, considérer que la décision de l’administration est insuffisamment motivée, alors que le PSE considéré est incontestablement de qualité. Les salariés et l’employeur se retrouvent alors dans une situation de grande insécurité juridique, en raison d’une décision sans rapport avec la qualité du PSE.

Ce projet de loi éclaircit ce point. Il rend le droit plus sûr sur d’autres points, en particulier pour ce qui concerne le reclassement à l’international ou le périmètre d’application de l’ordre des licenciements, afin d’éviter des situations dommageables à tous. Je tiens, à ce sujet, à saluer la commission spéciale pour les modifications qu’elle a adoptées. Je les soutiens, car elles précisent le droit tout en maintenant un haut niveau de garantie pour les salariés.

Je conclurai, mesdames et messieurs les députés, par quelques mots sur le dialogue social. Vous savez que nous vivons une période particulière à cet égard, puisque la négociation relative à la modernisation du dialogue social s’est soldée par un échec jeudi dernier.

Mais je tiens à vous faire partager ma profonde conviction : non, le dialogue social n’est pas mort ; oui, il reste la méthode du Gouvernement ; oui, nous continuerons d’avancer sur la modernisation du dialogue social au sein de l’entreprise, comme sur les autres sujets.

À la demande du Premier ministre, je reçois d’ailleurs dès cette semaine les partenaires sociaux pour réfléchir avec eux à la suite. Le projet de loi qui vous est soumis ici apporte une innovation majeure dans le code du travail, en matière de travail le dimanche : il prévoit un dispositif par lequel, sans accord collectif, qu’il soit de branche, territorial ou d’entreprise, les commerces de détail ne pourront pas ouvrir le dimanche. Emmanuel Macron a rappelé ce principe il y a quelques instants : sans accord, il n’y aura pas d’ouverture.

Ce rôle central dévolu aux partenaires sociaux marque la confiance du Gouvernement dans ce dialogue social, que ce soit au niveau de l’entreprise, du territoire ou des branches. Les événements de la semaine passée n’ont en aucun cas remis en cause cette confiance.

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