Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 16h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs thématiques, chers collègues, depuis 2008, la France traverse une crise économique et sociale grave. Depuis plus de quinze ans, hormis quelques petites embellies passagères, la France connaît globalement une croissance potentielle en berne et une situation de l’emploi délétère, en dépit des réformes qui se sont succédé pour répondre à ces défis.

Pourtant, la croissance et le plein-emploi doivent être nos préoccupations constantes. Ce sont des questions majeures, car elles en contiennent et conditionnent beaucoup d’autres. Depuis 2012, le Gouvernement et sa majorité s’attellent à cette tâche. La France a connu une importante réforme de la fiscalité, avec des mesures d’économies structurelles sans précédent dans les dépenses publiques, et un allégement massif de cotisations sociales au moyen du CICE, dont nous regrettons toutefois et toujours le caractère non-sélectif.

Notre tissu industriel est en phase de reprise après une longue convalescence et les effets positifs des actions mises en oeuvre depuis 2012 commencent à se faire sentir. D’ailleurs, la progression de l’attractivité de la France se confirme mois après mois.

Pourtant, nous peinons à concrétiser ces progrès et de grands chantiers sont encore devant nous pour relancer la croissance et améliorer la situation de l’emploi.

Aujourd’hui, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sur lequel le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois, arrive dans notre hémicycle pour quinze jours d’examen. Il engage de nombreuses réformes structurelles, sur une palette de sujets très large, et vise à consolider notre stratégie économique.

Tordons le cou immédiatement à une critique récurrente faisant de ce texte un projet de loi « fourre-tout ». S’il contient effectivement des mesures éparpillées, c’est tout simplement parce que l’économie est elle-même très diverse. Nous devons aller chercher de la croissance potentielle partout où nous pouvons. Nous devons réduire les poches d’inefficacité et d’iniquité économiques partout où elles se trouvent pour améliorer la régulation économique, soutenir la demande et renforcer la confiance.

Renforcer notre économie, c’est d’abord encourager nos entrepreneurs, encourager le risque et limiter les rentes liées à des monopoles. Il existe des situations dans notre économie où le consommateur, ou une partie à un contrat, peut se trouver captif, subir une relation complètement asymétrique ou être confronté à un blocage dû à des engagements trop rigides ou insuffisamment respectés. Il s’agit donc d’améliorer le fonctionnement du marché et la régulation économique pour réduire les inégalités, limiter les pratiques inéquitables, libérer l’activité et lever les entraves à l’initiative. En poussant les acteurs économiques à se différencier, nous les incitons à innover et à améliorer la qualité de leur offre, et, in fine, nous les encourageons à développer leur compétitivité. Une multitude de sujets microéconomiques sont donc concernés, qui ont une influence macroéconomique majeure.

À l’instar de l’action de groupe, toujours promise de 2002 à 2012 mais jamais instaurée avant le changement de majorité en 2012, le projet de loi que nous allons examiner contient de très nombreuses mesures de modernisation de l’économie qui n’avaient jamais été mises en oeuvre jusqu’à présent, en dépit des promesses et de velléités diverses. Il vise à promouvoir l’« égalité des chances économiques », expression inscrite dans son titre depuis son examen en commission, à la faveur d’un amendement de notre rapporteur général, et a pour objet de dynamiser la mobilité sociale, notamment celle des jeunes.

Je citerai un exemple des mesures à forte valeur symbolique de ce projet de loi ayant pour objet la relance de l’activité et de l’initiative privée et qui ont connu un retentissement médiatique particulier : je veux parler de la possibilité offerte de recourir au transport par autocar, notamment sur des lignes où le transport ferroviaire n’est aujourd’hui pas satisfaisant. Les services réguliers de transport collectif sont pour l’instant organisés par les pouvoirs publics et exécutés par des entreprises disposant d’une licence de transport intérieur. Seuls les transports internationaux peuvent être librement assurés par des autocaristes privés, sous réserve de plusieurs contraintes, s’agissant du cabotage. Nous connaissions donc une situation paradoxale en Europe.

Les articles 2 et 3 du projet de loi permettent l’initiative privée pour l’organisation de lignes de transports collectifs réguliers non urbains par autocar. Nous sommes très favorables à cette ouverture, d’autant que la régulation sera effectuée par une institution en qui nous avons une confiance forte, l’ARAF, renommée dans le même mouvement « ARAFER » – Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – pour intégrer le domaine routier. Cela permettra incontestablement de proposer une nouvelle offre aux voyageurs intéressés par un transport au coût plus faible, et en particulier aux plus défavorisés d’entre eux. De plus, en se substituant à la voiture individuelle sur les liaisons les moins bien desservies, ce mode de transport contribuera à l’amélioration du bilan carbone global. Cette mesure, longtemps restée dans les cartons, concerne 5 millions de passagers potentiels par an et redonnera 800 millions d’euros de pouvoir d’achat aux Français.

Quant à la crainte d’une concurrence des transports express régionaux par l’autocar, les exemples étrangers nous prouvent qu’elle est largement infondée dès lors que l’opérateur historique fonctionne normalement. À cet égard, l’ARAFER se voit dotée de pouvoir nouveaux afin de garantir une protection de l’équilibre économique des services publics de transport.

Autre point du texte important pour nos jeunes : les différentes mesures visant à désengorger l’examen du permis de conduire et à en réduire le coût. En effet, nous savons à quel point l’absence de permis est un frein à l’emploi des jeunes. La situation est aujourd’hui devenue insoutenable dans de très nombreuses zones en tension et nous avons le devoir de mener une réforme d’ampleur pour donner à nos jeunes toutes les chances d’améliorer leur employabilité.

Aujourd’hui, l’organisation des épreuves du permis de conduire est assurée par les préfectures et la fonction d’examinateur est remplie par les inspecteurs du permis de conduire. L’article 9 du projet de loi dispose que l’organisation de certaines épreuves du permis pourra également être assurée par des organismes agréés. Ce dispositif réduira les délais de présentation de l’épreuve pratique sans aucun impact sur la sécurité routière, ce dont nous nous félicitons. Rappelons que les périodes d’attente peuvent s’élever jusqu’à cinq mois en Île-de-France, ce qui augmente considérablement le coût du permis. Le projet de loi contribue ainsi, avec cette mesure, au rétablissement de l’égalité des chances économiques.

Ensuite, le projet de loi comporte une grande réforme à laquelle il est d’ailleurs souvent réduit : la liberté d’installation régulée de plusieurs professions réglementées du droit. Cette réforme a été largement commentée et critiquée. Elle a suscité des craintes et des espoirs, notamment s’agissant de nouvelles possibilités offertes aux jeunes diplômés. Monsieur le ministre, vous le savez, les députés sont attachés à la présence de professionnels du droit de proximité, y compris dans les territoires ruraux et montagnards. Des questions se posent clairement à ce sujet, auxquelles des réponses ont certes été apportées en commission, mais qui appellent des dispositions supplémentaires afin de sécuriser cette proximité et de répondre aux angoisses légitimes des professionnels concernés. il est vrai que cette réforme fait bouger des lignes auxquelles on n’avait parfois pas touché depuis plus de 200 ans.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, le « corridor » tarifaire prévu pour les notaires pose quelques problèmes. Le schéma qui résulte des amendements adoptés en commission est complexe et sans doute pas très satisfaisant. Il faudra certainement y revenir, quitte à supprimer le corridor lui-même.

Plus généralement, le projet de loi modernise l’encadrement juridique de ces professions, afin de leur donner plus de souffle et de les adapter aux évolutions démographiques. Nous serons vigilants pour que la composante territoriale ne soit pas oubliée.

Autre réforme emblématique, le travail le dimanche n’a laissé personne indifférent et a suscité des commentaires parfois acerbes et injustes. Monsieur le ministre, vous le savez, si de très nombreuses cultures ont consacré un jour de repos commun dans la semaine, peut-être n’est-ce pas anodin sur le plan anthropologique. Dans le projet de loi, la règle du repos dominical est réaffirmée, tout en étant assouplie. Le texte propose en effet de créer de l’activité grâce à la mise en place de zones touristiques internationales et rend plus souvent possible, là où cela peut s’avérer utile, l’ouverture de commerces le dimanche.

Dans ce cadre, nous croyons à la nécessité de donner plus de droits aux salariés concernés par le travail dominical. Nous devons par exemple renforcer la garantie du volontariat et la majoration salariale. Le projet de loi rend nécessaires des accords collectifs, ce qui constitue indéniablement une avancée sociale considérable. Nous saluons le principe : « pas d’accord, pas d’ouverture », ainsi que l’inscription dans la loi de celui de la contrepartie. Soyons honnêtes, toutefois : cette avancée sociale n’est pas révolutionnaire puisqu’elle nous permet simplement d’être en conformité avec les conventions de l’Organisation internationale du travail, que la France a signées depuis longtemps.

Pour sécuriser la situation des salariés, le présent texte propose de créer un véritable statut du défenseur syndical et de lutter contre la prestation de service internationale illégale. Il rénove aussi la participation des salariés, garantie de leur implication dans la croissance et le destin de leur entreprise. L’élargissement de l’épargne salariale était un chantier nécessaire et complexe ; nous saluons votre audace en la matière, votre volonté de mettre à plat cette question afin de lui apporter des réponses concrètes.

J’en viens à présent au chantier transversal du texte : je veux parler de la simplification et de la modernisation des législations et réglementations en vigueur. Plusieurs questions particulières devaient être réglées. Nous saluons l’effort globalement entrepris, qui va faciliter l’activité de l’ensemble des acteurs économiques en maintenant un certain niveau de protection juridique et environnementale.

Tout au long des travaux portant sur l’examen du projet de loi en commission, les députés du groupe RRDP membres de la commission spéciale, à savoir mon collègue Alain Tourret, par ailleurs rapporteur thématique – dont je salue ici la quantité et la qualité du travail qu’il a mené sur le sujet important de la continuité de la vie des entreprises –, ainsi que votre serviteur, ont proposé de nombreux amendements. Si toutes nos propositions n’ont pas obtenu satisfaction, nous avons eu la joie de constater que nous avons su convaincre le Gouvernement et la majorité de nos collègues sur plusieurs points significatifs.

De manière générale, nous tenons à saluer l’immense travail effectué en commission. Le texte a été nettement enrichi et de nombreux progrès sont désormais inscrits dans le texte, qui est passé de 106 à plus de 200 articles. Certes, nous avons encore des points de désaccord, et vous pouvez compter sur notre énergie pour tenter de vous convaincre, au cours des quinze jours d’examen qui nous attendent, d’adopter les amendements que nous avons déposés.

Avec probablement l’immense majorité des députés qui ont participé aux travaux, nous nous félicitons de l’endurance et du savoir-faire dont notre président a su faire preuve lors de la conduite des débats – ce qui n’est pas une surprise –, de même que nous saluons la capacité d’endurance et le sens de l’écoute et du respect des parlementaires qui ont caractérisé notre ministre de l’économie.

Je suis particulièrement attaché aux amendements concernant les volets transports et mobilité : le rôle de l’ARAFER, le régulateur des transports, a ainsi été utilement renforcé et modernisé s’agissant des règles applicables aux gares routières, notamment en termes d’accessibilité, de sécurité et d’intermodalité avec les « transports doux » et concernant le stationnement des vélos. Autre avancée notable : un avis de l’ARAFER est rendu obligatoire pour les concessions d’autoroutes et notamment sur la tarification des péages.

Toutefois, sur le volet « transports » comme sur d’autres points, nous pouvons aller plus loin. Nous vous proposerons d’avancer sur le sujet de l’open data, afin de favoriser le développement de services d’information des usagers. Nous vous proposerons également de continuer à renforcer le régulateur : nous ne pouvons pas, en effet, accroître la concurrence sans consolider le rôle et les compétences de ce dernier. Nous tenterons de vous convaincre de l’utilité de notre amendement visant, dans la prolongation des initiatives du Gouvernement, à rendre le service des trains d’équilibre du territoire compétitif face à la concurrence, en adaptant la législation française au règlement européen dit d’« obligation de service public ». Nous tenons aussi aux amendements prévoyant une analyse fine des risques d’interruption de l’exploitation d’une ligne par une entreprise ferroviaire en raison de la concurrence exercée par une autre entreprise intervenant dans le secteur non urbain de transport routier de personnes. Enfin, concernant les autoroutes, nous voulons que l’ARAFER puisse rendre un avis non seulement sur les projets de révision des formules tarifaires mais également sur les projets d’allongement de la durée de la concession ou sur la durée de la convention de délégation. Nous souhaitons aussi ajuster le dispositif envisagé pour le contrôle des marchés des concessionnaires d’autoroutes en tirant au mieux parti des procédures déjà mises en place.

De manière plus générale, pour améliorer la rédaction des amendements en vue de leur examen en séance publique, nous avons travaillé en concertation avec les collaborateurs des cabinets ministériels concernés dans un état d’esprit marqué par une confiance réciproque. C’est assez rare pour être souligné, et je profite d’ailleurs de cette tribune pour les en remercier chaleureusement. Je forme le voeu qu’une telle qualité dans les relations soit plus fréquemment observée dans les autres cabinets.

Ces amendements porteront notamment sur la liberté de choix en matière de cautionnement bancaire pour les prêts immobiliers, à l’instar de ce qui est prévu pour l’assurance emprunteur depuis la loi Lagarde. Ils porteront aussi sur l’accompagnement des particuliers par les associations de consommateurs dans le cadre de contentieux, afin de garantir l’effectivité des droits de ceux qui subissent un préjudice, ou encore sur l’effectivité de l’action en suppression des clauses abusives et la fin de la limitation du cadre de l’action préventive.

En définitive, monsieur le ministre, les députés du groupe RRDP soutiennent dans leur grande majorité la plupart des mesures contenues dans le projet de loi. Avec mon groupe, nous avons déposé 130 amendements pour améliorer le texte. Sachez que nous tenons particulièrement à ceux d’entre eux qui visent à fixer un plancher de majoration salariale et à renforcer la garantie du volontariat pour le travail dominical. Je suis pour ma part attaché – vous le savez – aux amendements portant sur les volets relatifs aux transports, à la consommation et aux travailleurs saisonniers.

À l’heure où nous sommes saturés d’historicité, il convient de ne pas tomber dans la facilité. Il serait ainsi probablement outrecuidant de prétendre que le projet de loi « croissance, activité et égalité des chances économiques » constituera une étape historique. Pourtant, il marque sans aucun doute un moment important de cette législature, et nous ne doutons pas qu’il sera fécond et engagera notre pays dans la bonne direction économique.

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