Intervention de Angel Gurria

Réunion du 14 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE :

Madame la Présidente, Monsieur l'Ambassadeur, Mesdames et Messieurs les députés, c'est pour moi un très grand honneur d'être invité à m'adresser à la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée Nationale de la France. Je tiens d'abord à réitérer mon immense peine, ainsi que celle du personnel de l'OCDE pour les meurtres terroristes de la semaine dernière.

La France peut compter sur le soutien entier de l'OCDE dans sa réponse à ces actes inhumains et barbares. J'ai envoyé mes condoléances au Président de la République le 7 janvier et une minute de silence a été observée lors de la réunion du 8 janvier, présidée par Monsieur l'Ambassadeur. J'ai été honoré d'accompagner le Président François Hollande et son Gouvernement, avec des dirigeants du monde entier, lors de la Marche Républicaine de dimanche dernier.

Après l'horreur de ces actes, il est difficile de passer au sujet de l'état de l'économie mondiale, européenne et française.

Aujourd'hui, nous n'avons toujours pas réussi à tourner la page de la crise économique, et de nouveaux enjeux se profilent. L'économie mondiale continue de tourner au ralenti. L'expansion du commerce mondial reste en deçà de sa tendance de moyen terme et dans la plupart des pays l'investissement productif n'est guère plus dynamique. La croissance du crédit reste atone voire négative dans certains pays en Europe.

La reprise se raffermit aux États-Unis. Dans les marchés émergents, nous prévoyons dans les deux prochaines années que la croissance va s'essouffler quelque peu en Chine, restera modeste en Russie et au Brésil, mais va repartir à un rythme régulier en Inde, en Afrique du Sud et en Indonésie.

La situation en Europe diverge en fonction des pays. La croissance s'affermit par exemple au Royaume Uni, où elle constitue la continuation d'une tendance positive, et en Espagne où elle a débuté l'année précédente à la suite d'une longue récession. Le secteur financier, le marché du travail et les administrations publiques ont fait l'objet d'un ensemble de réformes structurelles très importantes dans ces pays. Mais la France et l'Allemagne ont fortement ralenti, et l'Italie, en récession en 2014, devrait connaître une croissance encore très faible en 2015. Enfin, l'incertitude politique s'est ravivée en Grèce, pays que vous avez d'ailleurs évoqué. Dans l'ensemble de la zone euro, la croissance est faible, le chômage demeure très élevé et l'inflation proche de zéro. La chute des prix du pétrole et de certaines matières premières a contribué à cette situation. La déflation n'est pas toujours mauvaise, mais aujourd'hui, il y a aussi un niveau de la demande qui est très faible.

La zone euro apparaît donc toujours comme l'un des maillons faibles de la croissance mondiale. Les dettes publiques continuent à croître dans la plupart des pays. Nous prévoyons 1,1% de croissance en 2015 et 1,7% en 2016 pour la zone euro dans sa totalité. Mais cette prévision ne se réalisera que si toutes les possibilités fiscales et monétaires de soutien à la demande permises dans le cadre institutionnel européen sont utilisées. Sinon, la zone euro risque de s'enliser dans la déflation et la stagnation.

La vulnérabilité de la zone euro constitue un risque majeur pour la croissance mondiale en 2015-16 à côté des risques de turbulences financières liés au resserrement de la politique monétaire américaine. Ce diagnostic est aussi valide pour la France. Selon nos dernières perspectives économiques, la croissance du PIB réel en France devrait se poursuivre à un rythme modeste en 2015 (0,8%) et s'accélérer à 1,5% en 2016, soutenue par l'amélioration de la conjoncture mondiale, la dépréciation de l'euro, la baisse des prix de l'énergie et le ralentissement de l'assainissement budgétaire. La situation sera plus facile une fois les efforts réalisés au sujet du déficit, et l'on aura également un impact plus modeste sur la croissance.

Comme le montre l'expérience de certains pays très touchés par la crise qui ont engagé de vigoureuses réformes, et commencent à remonter la pente, les politiques macroéconomiques et les réformes structurelles sont des leviers clés de la reprise.

Dans ce contexte, la composition des dépenses et des recettes budgétaires doit faire l'objet d'une attention particulière. Il est important de maintenir et si possible de renforcer les dépenses d'innovation, d'éducation et d'infrastructures, comme l'envisage le plan Juncker. Elles permettront non seulement de soutenir la croissance, mais aussi de redresser la croissance potentielle. Il s'agit d'un défi important pour un pays comme la France où cet effort doit être combiné avec la nécessaire réduction des dépenses publiques. En effet, dans une situation de déficit budgétaire élevé, la consolidation fiscale doit se poursuivre et la croissance être parallèlement relancée.

Il est aussi urgent, tant en Europe qu'en France, d'accompagner les politiques macroéconomiques de réformes structurelles. L'une des réformes prioritaires est l'approfondissement du marché unique. Nous saluons l'engagement renouvelé de la Commission européenne en faveur des réformes et les priorités de la stratégie de croissance qu'elle vient de présenter.

La simplification des charges administratives et des progrès dans l'interconnexion des marchés de l'énergie sont particulièrement bienvenus. Comme vous le savez, au sein de l'Union européenne, il n'existe pas de marché unifié de l'énergie et des télécoms alors qu'ils constituent une partie importante de l'intégration régionale. Des réformes de la fiscalité, des prestations sociales, de la règlementation du marché du travail, de la formation professionnelle et de l'apprentissage mais aussi du système d'éducation de façon plus générale, visant à stimuler l'emploi et à réduire le chômage de longue durée sont elles aussi essentielles. Elles permettront de redresser le potentiel de croissance, mais aussi de renforcer la cohésion sociale, stimuler la consommation des ménages et faciliter le redressement des finances publiques.

Les pays du coeur de la zone euro, où les efforts en matière de réformes ont été bien moins importants que dans les pays vulnérables, doivent aussi être plus ambitieux. Concernant la France, en octobre dernier, nous avons remis au Président Hollande une note qui évaluait l'impact des réformes structurelles alors mises en oeuvre ou annoncées – avant même de connaître les détails de la loi Macron - à une augmentation de 0,4 point par an sur 10 ans, soit une accélération de la croissance égale au tiers de la croissance potentielle.

Comme le soulignera notre prochaine étude économique sur la France, la priorité est de poursuivre les réformes allant dans le sens d'une simplification et d'une diminution des formalités administratives et réglementaires pour améliorer les conditions de concurrence, la fiscalité, et le marché du travail. Ces éléments vont dans la direction de la loi Macron. Le projet de loi « Croissance et Activité » prolonge les réformes dans ce sens mais devra être renforcé et complété par des réformes additionnelles pour fluidifier le marché du travail. Les réformes territoriales seront aussi fondamentales pour limiter la fragmentation des politiques publiques et diminuer les coûts de fonctionnement de l'administration. Nous avions chiffré le potentiel de la réforme des aires métropolitaines sur Paris et Aix-Marseille à 1% d'augmentation du PIB sur 10 ans, si la réforme est menée à bien. Notre rapport concernant la deuxième zone évoquée a déjà été délivré à l'occasion d'une visite dans la ville de Marseille en décembre 2013 en présence de Madame Lebranchu.

Le système de protection sociale et d'éducation s'est aussi grippé, et crée trop d'immobilité sociale. Il est coûteux et n'atteint plus ses objectifs sociaux. A cet égard, la réforme visant à mieux moduler les allocations familiales en fonction des revenus est bienvenue. La France était l'un de derniers pays, et peut-être le dernier, à l'avoir mise en place. Des réformes plus importantes devront être faites pour rendre le système social plus favorable à l'emploi en améliorant l'offre et la demande de travail, et plus solidaire, en améliorant la gouvernance des politiques sociales et en limitant leur fragmentation.

L'OCDE travaille d'arrache-pied sur l'ensemble de ces sujets pour assurer une reprise saine et inclusive de la croissance économique, en France, en Europe et dans le monde.

La crise a souligné la nécessité d'améliorer la collaboration internationale et la gouvernance mondiale dans laquelle la France joue un rôle clé. Nos économies sont en effet de plus en plus étroitement imbriquées. La collaboration internationale permet à la fois de limiter les effets collatéraux négatifs de certaines politiques mais aussi de multiplier les effets bénéfiques des politiques nationales. L'OCDE travaille de façon approfondie sur un grand nombre de sujets de coordination internationale fondamentaux actuellement pour la croissance comme les investissements et les échanges. « Investissement » est un mot qui est repris dans les G20, G7, G8 etc. Par exemple, dans toutes les réunions des Ministres des finances et du commerce, l'investissement est perçu comme le facteur important pour la croissance.

Permettez-moi d'illustrer mes propos dans deux autres domaines essentiels au bon fonctionnement de nos économies et qui sont par nature de dimension internationale : la fiscalité internationale et les migrations.

Partant du constat que la fiscalité internationale n'avait pas évolué à la même vitesse que les modèles économiques et les progrès technologiques, l'OCDE, avec ses membres et en partenariat avec le G20, a pris les devants. Notre priorité est de permettre la mise en place d'un système international de fiscalité plus transparent et plus équilibré, en particulier pour lutter contre l'évasion fiscale, et de réaligner les règles d'imposition.

La création d'une nouvelle norme internationale sur l'échange de renseignements automatique à des fins fiscales en 2014, maintenant adoptée par 94 juridictions et qui sera mise en place à partir de 2017 pour une majorité de ces pays, est une étape historique. Ces progrès- que la France a fortement soutenus - marquent une véritable révolution dont certains effets sont déjà perceptibles sur le comportement des contribuables. Plus d'un demi-million de contribuables ont déclaré spontanément des revenus et des éléments de patrimoine jusque-là dissimulés aux administrations fiscales. Les pays estiment avoir collecté plus de 37 milliards d'euros grâce à ces programmes de déclaration spontanée. Deux ans avant la mise en place de cette nouvelle norme, les contribuables ont compris qu'ils devaient inévitablement rendre des comptes aux administrations fiscales et qu'ils risquaient des sanctions (amendes, prisons) s'ils ne déclaraient pas ces revenus cachés. Chaque pays a, bien entendu, sa propre méthode, sa propre « amnistie ».

En même temps, les pays de l'OCDE et du G20 travaillent ensemble pour enrayer l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS, de l'anglais Base Erosion and Profit Schifting), par lesquels des entreprises multinationales arrivent à séparer artificiellement les bénéficies des activités qui les génèrent, et en cela, à échapper à l'impôt. Ces entreprises – que se soient Google, Apple, IBM etc. - ne peuvent plus le faire, ni aux Etats-Unis, ni en Europe, ni dans les îles vierges britanniques et américaines.

Nous travaillons sur le système international de la fiscalité avec des pays du monde entier, des entreprises, des ONG, des organisations internationales et d'autres parties prenantes. Les migrations internationales constituent un autre domaine où la coopération internationale est fondamentale. Comme l'a rappelé le ministre Cazeneuve au Forum Politique à Haut Niveau de l'OCDE sur les Migrations en décembre dernier, chez nous, « L'immigration est un défi que nous lance la mondialisation, dans la mesure où elle révèle tous les grands déséquilibres – démographiques, économiques, politiques – qui traversent notre époque. ». Il est impossible aujourd'hui de ne pas y ajouter les défis de sécurité. L'immigration n'en constitue pas moins une chance pour nos économies et sociétés.

La dernière édition de nos Perspectives des Migrations Internationales de l'OCDE – dont vous avez des copies ici, il s'agit de notre 34ème édition, nous sommes des spécialistes des questions de l'immigration depuis longtemps - montre des phénomènes intéressants. En effet on observe que les flux d'immigration permanente dans les pays de l'OCDE augmentent de nouveau, avec environ 4 millions de nouveaux immigrés permanents en 2013. En Allemagne – deuxième pays d'accueil au monde après les Etats-Unis –, l'immigration a fortement augmenté ,notamment sous l'impulsion des migrations intra-européennes dues à la liberté de mouvements au sein de l'Union européenne. Pour autant, la part des flux d'immigration dans la population totale reste faible en France (0.4%) en comparaison internationale (0.6% en moyenne).

En principe, la France dispose d'importantes réserves de main-d'oeuvre lui permettant de faire face au vieillissement de sa population. En effet, la France a une dynamique démographique plus forte que les autres pays développés. Néanmoins, face à la concurrence internationale pour attirer et retenir les talents, et à des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs délaissés par les travailleurs résidents, la France doit, comme les autres pays, s'interroger sur les objectifs et l'efficacité de sa politique migratoire.

Dans tous les pays de l'OCDE, les migrations qualifiées augmentent, y compris en France où près de 40% des nouveaux entrants en 2012 sont diplômés du supérieur. Mais les compétences des immigrés restent sous-utilisées. En moyenne, dans l'OCDE, un immigré qualifié sur deux est soit inactif, soit chômeur, soit surqualifié pour l'emploi qu'il occupe.

La France n'échappe pas à ce constat, en dépit d'un dispositif important d'accueil des migrants. Il importe donc de poursuivre les investissements dans l'intégration, notamment dans l'éducation et les compétences, tout en améliorant l'efficacité des politiques publiques. Parce que cela améliore aussi la productivité de l'économie française, pas seulement celui de l'entreprise en question. Ce sont donc des bénéfices pour l'économie en générale.

Les enjeux actuels de la mondialisation sont immenses et demandent d'aller de l'avant dans la coordination des politiques nationales. L'OCDE a engagé nombre de projets pour y faire face, que ce soit dans le domaine des inégalités, du changement climatique, de la réglementation bancaire, des réformes structurelles, de la fiscalité, des échanges, de la lutte contre la corruption, qui se sont ajoutées à ses responsabilités dans les domaines plus traditionnels des politiques économiques nationales, de l'éducation, du marché du travail, ou des politiques sociales.

Nous continuerons à appuyer les gouvernements pour renforcer la confiance des citoyens dans la capacité des institutions à gérer les nouveaux enjeux qui se présentent. Ainsi nous pouvons résumer, Madame la Présidente, notre mission comme ceci : « Une politique meilleure pour une vie meilleure ».

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