Le texte de certaines ordonnances a été intégré par amendement dans le projet de loi, mais à la dernière minute. Comment les parlementaires pourraient-ils évaluer les conséquences de plusieurs dizaines d’articles, tout en poursuivant l’examen du texte en commission ?
Pour répondre au reproche de dessaisissement du Parlement, le Gouvernement a promis d’associer celui-ci à la rédaction des ordonnances, ainsi, par exemple, que le Conseil national de la transition écologique, le CNTE. Cet aménagement de dernière minute ne saurait se substituer à un examen par la représentation nationale. Les parlementaires sont mandatés par les citoyens pour discuter les lois et les voter.
Vous affichez des objectifs importants. Cependant, le groupe écologiste s’interroge sur les moyens proposés et la vision de notre économie et de la société que sous-tendent ces mesures. Nous soutenons certaines mesures de cette loi, comme le contrôle des sociétés autoroutières, l’amélioration de la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient des participations, l’encouragement à l’innovation, le soutien aux jeunes créateurs d’entreprise, l’accès facilité au très haut débit dans les immeubles en copropriété, la reconnaissance des agences régionales de l’économie sociale et solidaire ou la diminution des délais de passage du permis de conduire, si toutefois les mesures proposées ne conduisent pas à terme à la privatisation de cet examen.
Le travail en commission a permis d’améliorer un peu le texte proposé. Cependant, en définitive, le texte qui nous est présenté aujourd’hui vise principalement à déréguler l’activité dans les domaines couverts par le texte et à détricoter de nombreux codes – code de l’urbanisme, code de la construction et de l’habitation, code des transports, code de l’environnement, code civil...
La dérégulation, c’est l’abandon par l’État de nombreuses compétences au profit des autorités dites de régulation ou bien au simple marché, c’est-à-dire sans régulation du tout. L’Autorité de la concurrence voit ainsi s’étendre considérablement ses prérogatives, sans que l’on sache si cela s’accompagnera de moyens supplémentaires. C’est bien le signe que la politique du Gouvernement s’inscrit dans une logique économique clairement libérale.
L’abandon des compétences de l’État est patent dans le domaine des transports interurbains. Aujourd’hui, cette activité est un vrai service public au service des personnes et de l’économie. En effet, la grande majorité des déplacements est liée au travail. L’obligation de signer un contrat de service public avec l’État ou les collectivités locales pour assurer le service disparaît avec ce projet de loi. Dans certains cas, la nouvelle autorité envisagée, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – l’ARAFER – sera chargée de la régulation. Mais dans d’autres, une entreprise privée pourra, sans contrôle préalable, créer une ligne.
Si cela pouvait conduire à diminuer le nombre de voitures sur les routes, et donc le niveau de la pollution de l’air, ce serait positif. Cependant, l’étude d’impact ne permet pas de l’affirmer. De fait, cette situation risque de porter atteinte à l’équilibre financier des lignes de chemin de fer locales, dont certaines fermeront, mais aussi de certaines grandes lignes. Que deviendront les lignes actuelles de cars qui sont largement subventionnées par les collectivités territoriales ? En effet, les nouveaux entrants seraient en droit de contester les subventions pour atteinte aux règles de la concurrence. De fait, nous risquons de voir apparaître un transport à deux vitesses sociales, si vous me permettez cette image : un transport rapide pour ceux qui en ont les moyens, et un transport beaucoup plus lent pour les personnes à revenus modestes.
Le même type de problèmes est soulevé par les articles concernant les professions réglementées. La dérégulation des prix par la mise en place, par exemple, du corridor tarifaire pour les notaires, favorisera les études qui traitent de grosses affaires avec de bons négociateurs, et sera donc préjudiciable aux petites études, notamment en milieu rural et dans les zones les moins favorisées des villes. Le risque de déserts juridiques est bien réel.
S’agissant du logement, des dispositions significatives de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, sont remises en cause, notamment les dispositions sur les rapports entre locataires et bailleurs et sur l’étanchéité entre logement social et logement intermédiaire. Il est difficilement acceptable qu’une loi qui a trouvé un équilibre résultant d’un débat fructueux, et qui a été votée par l’ensemble de la gauche, soit remise en question quelques mois plus tard, qui plus est par ordonnances.
L’article 28, quant à lui, nous pose un vrai problème. S’il semble légitime de simplifier les procédures d’adoption des projets d’aménagement et les procédures de recours, il ne faut pas que cela conduise à une remise en cause du droit de l’environnement. Or, lors de l’examen en commission, vous avez refusé, monsieur le ministre, d’inscrire clairement dans le texte que les simplifications de procédures devraient se faire à droit constant de l’environnement.
La qualité de l’environnement est l’un des grands enjeux de notre siècle. Nous sommes dépendants de notre environnement ; ne pas le prendre suffisamment en compte, faire du business as usual, nous exposera à de graves difficultés : dérèglement climatique, désertification, déplacements de population, non-accès à l’eau potable, maladies dues aux pollutions, etc.
L’environnement visuel est, quant à lui, mis à mal par les articles 62 et 63, modifiés par l’adoption d’un amendement qui prévoit la possibilité de recouvrir les grands stades d’immenses panneaux publicitaires, y compris lumineux. Ces stades sont souvent l’expression d’une architecture prestigieuse et coûteuse ; qu’en restera-t-il, si on la recouvre avec de la publicité – sans même parler de l’agression visuelle ?
En revanche, la commission a adopté une nouvelle rédaction de l’article 29 qui nous semble tout à fait positive. Elle a en effet rétabli la procédure d’action en démolition prévue par le code de l’urbanisme, dans le cas d’un permis de construire déclaré illégal par le juge judiciaire, tout en réduisant les délais de deux ans à six mois pour le droit commun.
Le risque de recours abusif a déjà été largement abordé dans la loi ALUR. Six des sept dispositions du rapport de Daniel Labetoulle y ont été reprises par ordonnances, et l’article 28 prévoit des mesures qui permettront, par ordonnances, de renforcer les sanctions à l’encontre des personnes qui engageraient un recours allant au-delà de la défense d’intérêts légitimes. Cette mesure nous apparaît nettement préférable à l’abrogation de l’action en démolition, qui serait un très mauvais signal et donnerait un sentiment d’impunité à ceux qui ne respecteraient pas la loi.
La cession d’actifs dans le cas des aéroports est, quant à elle, une politique à courte vue. La vente des sociétés de gestion des aéroports, alors même que l’État et les collectivités territoriales profitent de leurs bénéfices, n’est pas acceptable. Il en va de même de l’Établissement français du sang qui, dans la rédaction initiale du projet de loi, était livré aux capitaux privés. Par amendement, un garde-fou a été mis en place : ce sont des fonds d’entreprises publiques qui apporteront les 250 millions nécessaires au laboratoire français de fractionnement et de biotechnologie. Vous avez laissé entendre que ce serait en fait Bpifrance qui apporterait de l’argent, sans toutefois le mentionner dans le texte. Ce seraient ainsi 250 millions qui pourraient manquer aux autres interventions de Bpifrance dans les entreprises.
Je pourrais aussi parler longuement des atteintes au droit du travail, de la facilitation des licenciements, du délit d’atteinte au secret des affaires – qui protégera qui ? À propos de l’extension du travail du dimanche, nous regrettons que l’exigence d’une compensation minimale ne soit pas inscrite dans la loi. De l’aveu même de grands patrons de la distribution, douze jours d’ouverture le dimanche ne sont pas souhaitables : c’est trop.