Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, l’examen de ce texte est pris en tenaille entre plusieurs événements de portée historique. On nous annonçait au mois de décembre un débat à haut risque pour ce projet de loi. Nous avions d’ailleurs tous prévu de nous écharper en commission, puis en séance publique, durant ce mois de janvier. Et finalement, ce début d’année nous a plongés dans le deuil, ramenant le débat à sa juste mesure. Nous n’avons plus le coeur à nous lancer dans une bataille de civilisation sur l’ouverture des commerces cinq, sept, dix ou douze dimanches par an. La crise française n’est réductible ni à l’économie ni au social, mais la France ne pourra pas faire face à ses démons, ni aux attaques djihadistes, ni aux gouffres que ces attaques ont révélés ou à la menace, en retour, du Front national. Elle n’en aura pas les moyens. Il ne faut pas croire que les sujets sont dissociés, que ce ne sont que des dossiers. La France, comme société et comme nation, est un tout.
Et puis, hier, un espoir a surgi en Grèce, avec la mise en échec, dans les urnes, de la pire des politiques d’austérité, accompagnée de son lot de réformes structurelles bien choisies et de privatisations. Cette mise en échec par les urnes n’est que le début du chemin. Voilà pourquoi, plus que jamais, votre projet de loi apparaît décalé, monsieur le ministre – je regrette de le dire, mais il faut le constater. Il a l’âge du rapport Attali, si ce n’est celui du rapport Rueff-Armand.
Le réformisme qui anime votre projet de loi, ce réformisme que vous tentez de rendre transitif en l’appliquant à des objets divers et variés, c’est malheureusement tout ce qui reste quand on a tout oublié.
Ce réformisme, c’est ce qui reste quand on considère qu’il n’y a plus de politique budgétaire, ou plutôt qu’il n’y a qu’une politique budgétaire possible, celle gravée dans le marbre du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, ratifié en rase campagne par le Président de la République malgré l’engagement de renégociation qui avait été pris.
Cette politique budgétaire, c’est celle élaborée dans les couloirs de Bercy, de Bruxelles et de Berlin. Oui, le réformisme, c’est ce qui reste quand on a tout oublié, et, entre autres, qu’il est possible de mener une politique monétaire active, qui ne se contente pas de jouer les pompiers, comme le fait Mario Draghi, obligé de négocier fermement avec les incendiaires allemands des mesures visant à lutter contre la déflation.
Le projet que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, au nom du Gouvernement, relève de ce monde ancien, ce monde d’avant-hier dans lequel la politique budgétaire est étouffée et la politique monétaire confiée à une instance fédérale. Votre projet est donc un peu décalé.
Si j’effectue ce détour européen, c’est pour évoquer un autre chemin qui mérite d’être esquissé. Il s’avère utile, car votre projet de loi est révélateur de l’action psychologique conduite par le Gouvernement, que l’on peut comprendre.
Votre projet de loi s’adresse en effet à Bruxelles, c’est-à-dire à la nouvelle Commission européenne. Durant les quinze jours où se poursuivra son examen en séance publique, vous allez parler moins aux députés qu’à l’oreille de Jean-Claude Juncker.