Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du 26 janvier 2015 à 21h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Face à ce texte, le groupe UDI formulera donc un certain nombre de propositions qui contribueront à la modernisation de l’économie, que le Gouvernement appelle de ses voeux, sans pour autant que ses paroles aient jusqu’à présent été suivies d’actes.

Les augmentations d’impôts massives pratiquées sur les entreprises et les ménages, la montée en charge poussive du crédit d’impôt compétitivité emploi, la mise en oeuvre tardive des mesures du pacte de responsabilité, appelaient, de la part de l’État, un signal fort en faveur de nos entreprises et du pouvoir d’achat. Or, à cette heure, ce projet de loi passe à côté de son sujet, il reste en décalage, en deçà de ce qu’il est urgent d’entreprendre pour favoriser la croissance et l’emploi. Finalement, on pourrait penser qu’il relève moins du volontarisme politique que du trompe l’oeil : il donne à voir ce qu’en réalité, il n’est pas.

J’en veux pour preuve la partie de votre texte qui touche à la réglementation du travail. Elle passe sous silence des enjeux majeurs, auxquels des réponses doivent être apportées pour engager le grand chantier de la modernisation de notre réglementation, avec un objectif, concilier protection du salarié et flexibilité pour l’entreprise.

Ces réponses, sans doute en aviez-vous rêvé. Le groupe UDI les proposera au cours de ce débat, avec plusieurs amendements dont nous espérons qu’ils recevront une écoute, voire une approbation du Gouvernement.

Ainsi, votre projet de loi ne pose pas la question de la place du dialogue social parmi les sources de notre droit du travail.

Le groupe UDI est particulièrement attaché à la négociation collective. Nous pensons en effet que l’implication des partenaires sociaux dans l’élaboration de la norme sociale a deux effets positifs : elle permet l’élaboration de règles au plus près des réalités du monde du travail, adaptées aux spécificités des différents secteurs d’activité et des branches professionnelles, et elle responsabilise les partenaires sociaux en faisant d’eux des acteurs à part entière de la construction de la norme.

C’est cette confiance dans le dialogue social, dans sa capacité à innover, à trouver de nouveaux compromis protégeant les salariés et prenant en compte les intérêts de l’entreprise, qui doit être le moteur de l’élaboration de notre droit du travail. Esquissé avec la loi Larcher dans le cadre de l’élaboration de la loi, ce rôle du dialogue social doit être amplifié, et c’est l’essentiel de la réglementation du travail qui doit être le produit de la négociation collective, l’État étant simplement, quant à lui, le garant de l’ordre public social. Nous proposerons un amendement en ce sens.

Votre projet de loi n’aborde pas davantage la question de la modernisation de notre contrat de travail, du remplacement des contrats de travail à durée déterminée – CDD – et indéterminée par un contrat de travail unique.

La part des CDD dans les embauches a atteint un niveau record en 2014. Ce sont plus de 84 % des embauches qui sont réalisées avec ce type de contrat de travail, soit le plus haut niveau de ces quinze dernières années. La proportion était déjà de 70 % avant 2008. Cette progression souligne le besoin de souplesse des entreprises dans un environnement économique incertain. Il est indispensable de prendre en compte ce besoin, tout en assurant une meilleure protection aux salariés, alors même que les personnes titulaires d’un CDD connaissent de lourdes difficultés pour se loger et accéder à un prêt. Nous proposerons au cours de ce débat l’adoption d’un contrat de travail unique à droits progressifs.

Lever les freins à l’activité, comme l’ambitionne votre projet de loi, c’est aussi lever les freins à l’embauche que peuvent représenter pour les employeurs certains seuils sociaux.

Le groupe UDI est attaché au rôle des institutions représentatives du personnel, qui contribuent au dynamisme de la négociation entre l’employeur et les salariés au sein de l’entreprise ou de l’établissement. Elles favorisent la participation des salariés aux grandes orientations de l’entreprise et à l’amélioration des conditions de travail. Leur rôle est bien sûr indispensable.

Pour autant, il est possible d’envisager qu’en période de crise, alors que les relations entre entreprises concurrentes sur leurs marchés sont tendues, la mise en oeuvre d’obligations administratives nouvelles, qui demandent à l’employeur du temps et représentent un coût pour l’entreprise, ait un effet dissuasif, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. Ainsi, le franchissement du seuil de cinquante salariés engendrerait, pour une entreprise, une hausse de 4 % de la masse salariale et la mise en oeuvre de trente-cinq obligations nouvelles. Une telle perspective peut ainsi amener un employeur à différer toute embauche ayant pour effet de faire franchir ce seuil à l’entreprise qu’il dirige.

L’échec des négociations sur la modernisation du dialogue social et son corollaire, la modification de certains seuils sociaux, nous donne la possibilité de légiférer sur ce sujet. Ce projet de loi, qui veut lever les freins à l’activité et, par conséquent, à l’embauche, nous en offre l’opportunité.

Le groupe UDI souhaite aborder ce sujet qui fait polémique avec pragmatisme. Nous pensons qu’il est possible d’entendre l’attachement légitime des organisations syndicales aux institutions représentatives du personnel, d’une part, et l’aspiration des employeurs à davantage de souplesse, d’autre part. Nous proposerons donc quatre amendements afin de faire évoluer le curseur des seuils là où le potentiel d’embauches paraît le plus significatif.

Votre projet de loi esquive enfin la question récurrente de la durée légale du temps de travail et son impact sur l’activité économique.

La réduction du temps de travail et, notamment, le passage aux 35 heures poursuivaient des objectifs ambitieux, qui touchaient à la vie professionnelle comme à la vie privée, et engageaient par conséquent une mutation profonde de notre société. Pour autant, la question des conséquences de la réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire sur l’organisation des entreprises ou établissements employeurs, sur la compétitivité des entreprises placées sur des secteurs fortement concurrentiels reste posée.

La commission d’enquête sur l’impact de la réduction du temps de travail a posé un certain nombre de jalons sur ces sujets. Vous aviez vous-même relevé à l’occasion de votre audition par la commission d’enquête, monsieur le ministre, que le cadre légal actuel, tout en restant à 35 heures, n’était pas suffisant dans la mesure où il ne répondait pas aux besoins de souplesse des salariés et des entreprises. Vous partagez ainsi notre constat que le cadre légal du temps de travail ne répond pas aux besoins de notre économie et aux attentes actuelles de la société.

Pour le groupe UDI, la question de la durée du temps de travail et de ses aménagements reste donc posée. Elle pourrait faire l’objet des travaux d’une conférence sociale spécifique, réunissant les partenaires sociaux autour des enjeux économiques et sociaux des aménagements à la durée légale du temps de travail. C’est la proposition que nous vous inviterons à adopter.

Telles sont, monsieur le ministre, les questions que devrait aborder un texte qui affiche l’ambition de moderniser notre économie pour assurer une croissance durable. Or vous nous proposez principalement une réforme de la justice prud’homale, des ordonnances sur l’inspection du travail ou un aménagement du repos dominical. Nous sommes en réalité loin du compte, loin de l’ambition proclamée.

Bien sûr, ces sujets ont leur importance. Les conseils de prud’hommes sont ainsi une institution ancienne et reconnue du monde du travail. Contrairement à ce qui peut être affirmé par certains, je suis convaincu de l’attachement des salariés et des employeurs à cette institution. Les conseils de prud’hommes sont, par excellence, une institution de proximité, qui a l’avantage de procurer aux parties à un litige l’assurance d’être jugées par leurs pairs.

Nous partageons un certain nombre d’objectifs de la réforme proposée, à l’instar de la nécessaire réduction des délais ou d’une meilleure formation des juges prud’homaux. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle comporte aussi une innovation, avec l’intervention plus rapide du juge départiteur dans la procédure. Sous couvert de réduction des délais de jugement, ce recours au juge s’apparente en réalité à un premier pas vers l’échevinage, qui n’est pas souhaité par les juges prud’homaux. Le juge prud’homal que j’ai moi-même été pendant dix ans partage sur ce point leurs interrogations, voire leur scepticisme.

Par ailleurs, le groupe UDI ne cache pas son étonnement de voir figurer dans le texte qui nous est proposé une extension des dérogations aux règles du repos dominical. Le temps n’est en effet pas si lointain où un certain nombre de personnalités, aujourd’hui au gouvernement, affirmaient sur ces bancs, alors qu’elles étaient dans l’opposition, leur hostilité à l’extension de ces dérogations. Mais ça, c’était avant. Nous ne pouvons qu’accueillir avec bienveillance une telle évolution.

Le groupe UDI aborde cette partie du texte avec un socle commun de principes et d’exigences. Nous souhaitons tout d’abord rappeler notre attachement au principe du repos dominical. Déjà, en 2007, le Conseil économique, social et environnemental – CESE – rappelait que ce jour, symbole du temps pour soi, constituait toujours un véritable repère pour nos concitoyens.

Nous croyons nécessaire qu’un jour de la semaine puisse être consacré, de façon collective, à des activités familiales, associatives, sportives ou culturelles, des activités qui ne relèvent pas du champ purement économique. Cependant, notre société évolue, des attentes nouvelles se font jour, liées à une plus grande diversité des modes de vie, du modèle familial, à des manières nouvelles de vivre les grandes étapes de la vie. Le CESE notait aussi en 2007 qu’il y avait plus un dimanche unique pour tout le monde, mais une diversité nouvelle, et de plus en plus grande, des besoins et des comportements. C’est à cette combinaison de constantes et d’évolutions que notre législation sur le travail dominical doit s’adapter.

Pour le groupe UDI, parvenir à cet équilibre, c’est aborder les dérogations au travail dominical en fonction de trois facteurs, les réalités locales, le volontariat des salariés et la décision des élus locaux. La législation sur le repos dominical doit en effet prendre en compte les spécificités des territoires et ne pas s’appliquer partout de manière uniforme. Le volontariat du salarié doit être une condition indispensable, et les compensations au travail dominical doivent notamment porter sur le doublement de sa rémunération. Les élus locaux doivent jouer un rôle moteur dans les décisions de dérogation au repos dominical, pour mieux les adapter aux réalités des territoires et aux attentes de leurs habitants.

Faire confiance aux territoires, aux décideurs locaux, aux acteurs du monde du travail, aux partenaires sociaux, aux employeurs et aux réseaux des TPE et PME, voilà en réalité ce qui devrait être le pivot d’une loi pour la croissance et l’activité.

C’est cette confiance dans l’imagination des acteurs locaux, dans leur capacité à créer des outils nouveaux adaptés à leurs réalités, qu’elles soient territoriales ou professionnelles, qui est le ressort d’une croissance durable. C’est avec la conviction qu’il faut nourrir le projet de loi de propositions nouvelles pour susciter cette confiance que nous abordons l’examen de ce texte.

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