Intervention de Cédric Moreau de Bellaing

Réunion du 22 janvier 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Cédric Moreau de Bellaing, maître de conférences à l'école normale supérieure :

Le maintien de l'ordre est assuré en France par des forces spécialisées – les CRS et les gendarmes mobiles – qui reçoivent une formation spécifique, mais aussi par des compagnies plus ponctuelles – comme les compagnies de district – dont les membres reçoivent une formation moins poussée. Ces dernières sont dotées d'armes de type flash ball – ce qui rend pertinente la question de leur utilisation dans les opérations de maintien de l'ordre. Je rappelle souvent à mes étudiants que les CRS portent sur leur casque deux larges bandes jaunes depuis Mai-1968. Elles ont été apposées à leur demande parce qu'elles en avaient marre de se faire accuser de violences commises par d'autres services et en particulier les compagnies d'intervention.

Ensuite, si c'est bien au cours des émeutes de 2005 qu'a été décidé un renouvellement de la doctrine, celui-ci a été conçu antérieurement.

En ce qui concerne le caractère plus violent des manifestants auxquels font face les forces de l'ordre, d'un point de vue sociologique, cela reste à voir : la violence des grandes manifestations de 1947-1948, de celles – des viticulteurs – de 1950 ou de celle – de Creys-Malville – de 1977, n'avait rien à envier à la violence des manifestations d'aujourd'hui. En revanche, que l'on ait affaire à des groupes moins organisés, à des collectifs plus flous, c'est certain et c'est là que réside le défi principal. En effet, ce qui a permis l'institutionnalisation du maintien de l'ordre, c'est le développement d'une coopération avec les organisateurs des manifestations – de ce point de vue, la CGT a été reconnue par les services de police comme un interlocuteur privilégié pour organiser des manifestations « carrées ». La question qui se pose est dès lors sans doute moins celle de l'arsenal des forces de l'ordre que celle de la capacité à créer de nouvelles coopérations avec des groupes relativement flous mais participant d'un mouvement social plus global.

Il est difficile d'établir un diagnostic général, certains groupes s'étant pacifiés, d'autres durcis. Reste que le niveau de tolérance au désordre global a baissé parmi le public ou chez les policiers, mais aussi chez les manifestants, les organisations condamnant systématiquement les groupes fauteurs de violences – ce point fait l'objet de débats parmi les zadistes sur le fait de savoir ce qui, de leur point de vue, relève ou non de la violence légitime.

Enfin, je n'ai pas moi-même mené d'enquête sur le maintien de l'ordre dans d'autres pays mais, lorsque j'ai travaillé sur les dispositifs policiers de lutte contre le hooliganisme dans les cas de Lyon et Paris, j'ai été frappé de constater la présence très régulière de délégations d'autres polices européennes qui venaient voir comment les forces de maintien de l'ordre françaises traitaient la question, tant il est vrai que la France jouit d'une bonne réputation en la matière. On peut en inférer que le système de maintien de l'ordre français est efficace concernant ce qu'il connaît ; il a en revanche plus de mal à s'adapter à ce qu'il connaît moins bien.

Lorsque j'ai évoqué la transformation de la doctrine d'emploi du maintien de l'ordre, je n'ai pas voulu dire qu'elle était irréfléchie mais qu'elle visait à répondre à des changements des comportements protestataires. Cela étant, cette transformation ne me paraît pas avoir été accompagnée d'une réflexion globale sur ses effets sur le fonctionnement des unités concernées.

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