Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je suis très honoré d'être là aujourd'hui et très heureux d'inaugurer une nouvelle manière de travailler entre nos deux assemblées.
Cette proposition de loi, cosignée par le sénateur UMP Philippe Leroy, fait suite à un rapport qui avait été adopté à l'unanimité de la commission de l'économie du Sénat, en juillet 2011. Présentée au Sénat le 14 février dernier, elle a été adoptée à la quasi-unanimité – soutien du groupe socialiste et du groupe de l'Union centriste ; abstention des communistes. Les sénateurs UMP se sont divisés sur ce texte, mais cela s'explique sans doute par le contexte d'alors.
Nous sommes partis du constat suivant : s'agissant du numérique en France, contrairement à ce que les opérateurs voudraient nous faire croire, tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Sur le haut débit, on nous explique que le taux de connexion est proche de 100 %, ce qui se vérifie pour des débits extrêmement faibles, de 512 kilobits par seconde. Mais aujourd'hui, tout le monde reconnaît que le minimum acceptable est de 2 mégabits par seconde. Et à ce niveau, le taux de connexion tombe à 77 %. Quant à l'offre Triple Play, elle est inaccessible à plus de la moitié des Français.
Sur la téléphonie mobile, on nous annonce des taux de couverture très flatteurs. Or, vous qui circulez fréquemment dans votre circonscription, vous savez comme moi que la réalité ne correspond pas à la mesure officielle. La raison en est très simple : on mesure la couverture en téléphonie mobile uniquement dans les zones habitées, en position immobile, ce qui est plutôt paradoxal s'agissant de la téléphonie mobile, et uniquement à l'extérieur des bâtiments.
Sur le très haut débit, le précédent Président de la République avait promis que tous en bénéficieraient en 2025. Le nouveau Président a fait encore mieux : en 2012, il a promis que cet objectif serait atteint à échéance de dix ans. Il est clair que le modèle qui a été choisi par le précédent gouvernement ne le permettra pas.
Ce modèle repose uniquement sur le bon vouloir des opérateurs, qui vont là où ils veulent, quand ils veulent, au rythme qu'ils choisissent. Lorsqu'ils annoncent un déploiement sur un secteur, ils ne sont absolument pas liés par leurs engagements. Ces engagements ne sont pas contractuels, ne sont pas contrôlés, et s'ils ne sont pas respectés, les opérateurs ne sont pas sanctionnés. En revanche, si un opérateur annonce qu'il ira sur telle zone, la collectivité publique – souvent le conseil général, parfois le syndicat de l'électricité – n'a pas le droit de déployer, sauf à perdre le bénéfice de toute subvention sur l'ensemble du territoire.
À ma connaissance, un tel système n'existe dans aucun autre secteur de l'économie : les opérateurs peuvent préempter ce qui est rentable, laisser au secteur public ce qui ne l'est pas et, par une simple déclaration qui ne les lie absolument pas, créer des obligations à l'égard de la collectivité publique.
Nous avons formulé des propositions dans notre rapport, puis dans notre proposition de loi, afin de remédier à cette situation.
Nous avons proposé qu'un groupe de travail redéfinisse la manière de mesurer la téléphonie mobile, non pas pour contraindre les opérateurs à aller plus loin, mais pour connaître la réalité de la couverture du territoire. Le précédent gouvernement avait commencé, à la suite de l'adoption de cette proposition de loi au Sénat, à mettre en place un groupe de travail. Certains d'entre vous, dont Mme Erhel, en faisaient partie. Ce groupe de travail a bien rendu des conclusions, mais celles-ci s'apparentent plutôt à des énoncés de lieux communs, qui n'ont pas fait évoluer la situation.
Par ailleurs, avant de parler de très haut débit, il faut au moins assurer un véritable haut débit à tous. Certains de nos concitoyens ne supportent plus d'en être privés, a fortiori quand ils découvrent qu'à quelques kilomètres de chez eux, leurs voisins le reçoivent. C'est le cas dans ma circonscription, où des communes n'ont même pas 512 kilobits par seconde, alors que la zone d'activité toute proche bénéficie de 400 mégabits par seconde.
Dans la proposition de loi, après avoir beaucoup hésité, nous avons adopté le principe d'un haut débit pour tous à 2 mégabits par seconde pour le 31 décembre 2013, et à 8 mégabits par seconde pour le 31 décembre 2015, l'ARCEP étant chargée de fixer les voies et moyens d'y parvenir. Fallait-il l'inclure dans le service universel, ce qui est maintenant possible au regard du droit européen, mais qui a un coût ? Fallait-il en faire un droit opposable, comme cela existe en matière de logement ? Nous nous sommes contentés de fixer un objectif et l'ARCEP proposera des solutions.
Les opérateurs ont publié un communiqué selon lequel mes propositions en matière de très haut débit seraient mauvaises pour la France. Ils me reprochent de faire preuve de dirigisme. Je propose simplement de procéder à un rééquilibrage : que les opérateurs contractualisent leurs engagements avec les collectivités, que l'ARCEP contrôle qu'ils ont respecté ces engagements, et les sanctionne dans le cas contraire. D'ailleurs, l'expérience montre que l'Autorité sait faire preuve de mesure quand il s'agit de sanctionner les opérateurs… Aucun excès de zèle n'est à craindre de sa part !
Autre élément important de cette proposition de loi, qui répond à une demande très forte des collectivités et des associations d'élus : que la collectivité – le département en général – ait la possibilité de déployer sur l'ensemble de son territoire, et pas seulement sur la zone non rentable. Ainsi, la partie rentable du territoire permettrait d'amoindrir le coût de la partie non rentable. On nous a longtemps expliqué que ce serait contraire au droit européen. Or une étude de l'Autorité de la concurrence, lancée à la demande de la commission chargée de l'économie du Sénat, a conclu que, dans le cadre d'un service d'intérêt général, c'était possible.
Un point important n'avait malheureusement pas pu être traité dans le cadre de cette proposition de loi, car on était en période préélectorale : le financement du déploiement du très haut débit.
La loi dite Pintat de décembre 2009, relative à la lutte contre la fracture numérique, avait créé un Fonds d'aménagement numérique du territoire, mais rien n'avait été prévu pour l'alimenter. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Premier ministre François Fillon m'avait nommé « parlementaire en mission » et m'avait chargé de rédiger un rapport sur les moyens d'alimenter ce fonds.
Maintenant que la période des élections est passée, il faut utiliser le cadre de la proposition de loi pour traiter cette question du financement. J'avais suggéré, dans mon rapport au Premier ministre, de mettre en place un système de contribution de solidarité numérique, un peu sur le modèle de l'écotaxe : une contribution de l'ordre de 75 centimes, payée par chaque abonné au téléphone et à l'internet, viendrait alimenter le Fonds.
J'ai proposé par ailleurs, dans ce texte, que les subventions attribuées aux collectivités soient attribuées plus souplement qu'aujourd'hui, et en fonction de la situation des territoires. Le déploiement coûte plus cher dans certaines zones – zones de montagne, zones très rurales – qui correspondent à des départements ne faisant pas partie des plus riches. Il faut donc que le montant des aides tienne compte du coût du déploiement et des capacités des collectivités.
Enfin, cette proposition de loi prévoit que l'on commence par déployer en zone rurale. En effet, pour des raisons de rentabilité, les opérateurs commencent à déployer en zone dense. Mais comme le haut débit y est en général satisfaisant, les gens ne se précipitent pas pour se raccorder à la fibre. En revanche, dans les campagnes où il n'y a rien, les gens seraient très heureux de pouvoir le faire. Des expériences prouvent que les taux de raccordement peuvent y être satisfaisants. C'est le cas dans l'Ain, où le syndicat de l'électricité a déployé prioritairement en zone rurale.
Tels sont, monsieur le président, les principaux points de cette proposition de loi.