Intervention de Thomas Andrieu

Réunion du 22 janvier 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur :

L'occupation de vastes terrains privés sur lesquels séjournent des personnes s'opposant à l'action de la puissance publique suscite plusieurs interrogations. Est-on totalement démuni au regard de l'application du cadre juridique de l'attroupement ? Non, car l'attroupement se déroule sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, notion qui peut inclure les vastes terrains privés dont l'accès est assez facile. Seul le juge pénal est compétent pour trancher cette question, mais celle-ci ne me semble pas fermée.

D'autre part, le code de procédure civile prévoit une procédure judiciaire d'évacuation des terrains, qui ne nécessite pas de cibler un organisateur. Ce régime juridique étant mal connu, nous informons les préfets de son existence : on peut demander l'évacuation d'un terrain privé devant le juge civil, alors même qu'on n'est pas en mesure de notifier sa décision à une personne en particulier. Quand la décision de justice est prise, le concours de la force publique peut être accordé, même si l'occupation des lieux est pacifique et, hors de toute procédure, ne justifierait pas d'action de maintien de l'ordre public.

Je rappelle que le concours de la force publique, hors du maintien de l'ordre public, ne peut être accordé que sur décision judiciaire, mais qu'en vertu de la séparation des pouvoirs, le préfet est tenu de faire exécuter les décisions de justice. Il serait en faute s'il ne le faisait pas. L'occupation non violente doit donc se traiter par une décision de justice préalable : une décision administrative pour le domaine public, une décision judiciaire pour les terrains privés.

La question de la responsabilité doit être examinée sous l'angle des organisateurs et de la puissance publique. Il faut pouvoir identifier un interlocuteur si l'on veut créer un régime équivalent à celui des rave parties et des manifestations culturelles. À cet égard, la difficulté est non juridique mais matérielle. De son côté, la puissance publique serait en faute si elle laissait se dérouler des troubles sans intervenir, sauf si elle peut justifier que son intervention aurait créé des troubles supplémentaires. Elle serait également en faute si elle faisait un usage exagéré de la force – ce qui reste difficile à apprécier.

Je ne suis pas compétent pour répondre sur la formation des policiers, mais, dans les écoles de police ou de gendarmerie, les fondements de la procédure pénale et du maintien de l'ordre sont deux piliers de l'enseignement, certaines unités étant spécialisées sur ces questions.

Monsieur Vaillant m'a interrogé sur les messages qui peuvent être diffusés, les insignes qui peuvent être arborés ou portés, les mots qui peuvent être prononcés lors d'une manifestation. Certaines provocations sont sanctionnées par la loi de 1881, qui n'appellent pas de réponse pénale immédiate telle que la comparution immédiate, la mise sous écrou ou la garde à vue. Mais il existe aussi dans le code pénal de nombreuses infractions caractérisées comme « provocation », par exemple la provocation à la violence directe, qui sont sanctionnées pénalement et permettent des interpellations immédiates.

La question des insignes est plus délicate. Cet été, des manifestants ont arboré le drapeau d'organisations reconnues comme terroristes par le droit européen. Sur le plan juridique, il est compliqué de sanctionner le port d'un drapeau, s'il ne s'accompagne pas de slogans ou d'un message direct. En revanche, l'appel à la violence verbal ou écrit est réprimé fermement.

Sur ces questions passionnantes et compliquées, je suis disposé à me lancer, si vous le souhaitez, dans un exercice écrit complémentaire.

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