Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 27 janvier 2015 à 21h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Après l'article 3

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

…et cela ne correspond pas – de loin ! – au trafic de l’A1.

Au regard du type de marchandises et des tonnages observés sur les camions, il serait plus réaliste de prendre en considération de 100 000 à 200 000 camions, pour un tonnage bien moindre. Cela représenterait à peu près de 2 % à 3 % du trafic de l’A1 – autant vous dire que 2 % à 3 % de report modal, c’est invisible ! Or, 4,8 milliards pour un report invisible, c’est cher payé !

En réalité, soyons clairs, le report modal du canal concurrence le fret ferroviaire, ce qu’affirme encore une fois clairement ce rapport de l’IGF et du CGEDD du mois de janvier 2013.

Je cite : « La cohérence du projet avec l’action publique en faveur du fret ferroviaire est donc discutable. »

Je cite à nouveau : « Il conviendrait de mieux apprécier les enjeux en termes de prélèvements d’eau et de risques de pollution des nappes phréatiques entraînés par le canal. »

En outre, je rappelle que le bilan énergétique du fret ferroviaire, directement concurrencé par le canal, est très performant, que son réseau est plus étendu et qu’il dispose d’une plus grande capacité à rivaliser avec le transport par camions – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui faute d’investissements, mais nous pourrions y revenir.

Enfin, le rapport de l’IGF souligne l’effet d’éviction sur les autres investissements – et c’est en cela que l’ensemble de notre Parlement est concerné : en premier lieu, sur le budget de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France mais, aussi, je vous l’ai dit, sur celui des collectivités territoriales.

Ce projet contredit les conclusions de la commission Mobilité 21 menée par M. Duron où une liste des infrastructures prioritaires avait été établie en fonction de critères d’intérêt général de soutenabilité.

Le canal Seine-Nord n’avait pas été retenu comme prioritaire ; au contraire, il avait été considéré comme un projet de second rang. Et l’on veut y injecter presque 6 milliards ! Évidemment, je ne parle pas du mécanisme d’interconnexion européen supposé financer 40 % du coût du canal, ce qui interdirait de fait le financement de tout autre projet !

Autre sujet important concernant ce canal : le développement économique et les créations d’emplois.

Le 1eroctobre 2014, notre Premier ministre nous a parlé de 12 000 emplois directs et indirects créés ainsi que du développement des communes traversées.

S’agissant des créations d’emplois, je suis d’accord : le chantier en créera, en effet, mais lesquels ? Aujourd’hui, l’appel d’offres d’un tel projet répond à des caractéristiques techniques auxquelles seules des multinationales peuvent répondre. Il est très difficile d’y inscrire de favoriser l’emploi local.

Citons, parmi quelques projets censés créer des emplois locaux, l’EPR de Flamanville et, plus près de chez moi, l’hôpital d’Amiens. Parfois, des solutions ont pu être trouvées comme ce fut le cas avec le tunnel sous la Manche mais, après son achèvement, aucun emploi n’a été créé et le taux de chômage s’est envolé.

S’agissant de l’impact sur l’économie régionale, le rapport de M. Pauvros, ici présent, évoque 3 000 à 6 000 emplois directs par an pour le chantier, puis 7 000 emplois indirects sur six ans. Cela représente une dépense publique de 630 000 à 1,2 million d’euros par emploi direct créé. À titre de comparaison, un million investi dans des travaux de rénovation de l’habitat représente 13 emplois directs, avec une très forte proportion d’emplois locaux pour les entreprises.

Avec le budget du canal Seine-Nord, il serait possible de créer en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, région dont 30 % des habitants connaissent la précarité énergétique, plus de 60 000 emplois pour la rénovation de l’habitat auxquels s’ajouteraient 30 000 emplois indirects et tous les investissements privés résultant d’un effet de levier.

Franchement, en matière de gestion d’argent public, des questions légitimes se posent !

J’ajoute que sur les quatre zones d’activités initialement prévues, seule une plate-forme semble être retenue à Nesles, après révision du projet.

S’agissant du développement économique, il a été question de bases nautiques – j’attends de voir… – et de tourisme fluvial – mais comment procéder avec d’énormes barges qui vont à 20 kmh ?

Ce canal promeut les types de développements suivants : l’import-export de céréales – donc l’agriculture intensive et productiviste – et les prélèvements de granulats.

Or – je parle sous le regard de François-Michel Lambert – l’économie circulaire demande aujourd’hui une réflexion sur la réutilisation des matériaux.

À ce jour, 300 000 tonnes inertes issues du secteur du bâtiment sont jetées comme des déchets alors que, dans notre pays, on continue à extraire 400 millions de tonnes par an dans des carrières ! Franchement, la question mérite aussi d’être posée !

Autre vraie question : faut-il absolument favoriser l’hinterland du port de Rotterdam ? En France, des ports comme Le Havre, Rouen ou Dunkerque ont besoin d’être soutenus, précisément afin de développer une industrie de transformation qui, ensuite, leur permettrait de devenir de véritables ports. Eux n’ont pas besoin du canal Seine-Nord mais d’autres types d’infrastructures !

Dernier point critique, avant de formuler quelques propositions.

On nous assure que ce canal est écologique puisqu’il s’agit d’une voie d’eau. Or, tout ce qui est voie d’eau n’est pas forcément écologique ! Eh bien non ! Pas davantage que défendre résolument le chemin de fer ne signifie soutenir la multiplication des TGV...

Nous défendons les voies d’eau sauf qu’en l’occurrence, nous allons créer ex nihilo un canal dont le remplissage requerra 20 millions de m3 d’eau, sans compter que l’évaporation impliquera d’en reverser. Cette eau, nous irons la chercher dans l’Aisne et dans l’Oise.

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