Intervention de Franck Reynier

Réunion du 14 novembre 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFranck Reynier, rapporteur :

Alors que les prix du gaz ont atteint des niveaux historiquement bas, les tarifs n'ont cessé d'augmenter pour les consommateurs français. Les prix spot gaziers ont été marqués ces dernières années par un effondrement : de 35 euros le mégawattheure (MWh) début 2006, ils ont chuté à moins de 10 euros en 2009, au point que les analystes du secteur parlent d'une « bulle gazière ». Parallèlement, le tarif réglementé de vente aux consommateurs domestiques a augmenté de 35 % entre 2008 et aujourd'hui. On connaît les difficultés rencontrées par les fournisseurs alternatifs d'électricité pour concurrencer l'opérateur historique – nous avons eu l'occasion d'en débattre dans notre Commission. Dans le secteur du gaz, les opérateurs alternatifs proposent aujourd'hui des offres allant jusqu'à 14 % moins cher, alors qu'ils s'approvisionnent sur le marché !

Les Français sont attachés à GDF Suez et aux tarifs réglementés de vente. Le groupe UDI l'est tout autant. Mais cet attachement ne rend que plus urgente la nécessité de leur apporter des explications et des réponses concrètes : les consommateurs vont-ils enfin pouvoir bénéficier de la baisse des prix du gaz sur le marché ? Notre groupe a souhaité porter ce problème devant la représentation nationale, en inscrivant à l'ordre du jour une proposition de loi qui vise à remédier à cette situation incompréhensible pour nos concitoyens.

Les explications avancées par l'opérateur historique sont au nombre de deux. La première est que le contrat de service public qui lie GDF Suez à l'État l'oblige à approvisionner ses clients au tarif réglementé de vente, via des contrats à long terme, dont les prix sont plus élevés que ceux du marché – la différence s'établissait à 30 % en 2011. L'argument invoqué est le suivant : les contrats à long terme assurent la sécurité d'approvisionnement du consommateur. Les deux parties au contrat sont tenues pour de nombreuses années, s'empêchant mutuellement de réviser leur portefeuille d'approvisionnement ou de clients. Le prix du gaz pour les consommateurs français dépend essentiellement du résultat d'une négociation entre l'opérateur historique et les producteurs de gaz norvégiens, hollandais, russes ou algériens.

Le marché du gaz n'est ainsi utilisé que pour revendre le gaz excédentaire ou, au contraire, acheter les volumes manquants. Par conséquent, les contrats à long terme empêchent le développement d'un véritable marché spot, sur lequel la concurrence pourrait vraiment se développer.

La seconde explication est que les contrats à long terme sont indexés sur les produits pétroliers. Les contrats que les fournisseurs concluent avec les producteurs contiennent des clauses d'indexation des prix du gaz livré. Dans la très grande majorité des cas, cette indexation s'effectue sur un indice construit à partir d'un panier de produits pétroliers.

Historiquement, cette indexation a un sens : les prix négociés dans le cadre des contrats à long terme résultaient du fait que les produits pétroliers étaient des substituts directs du gaz naturel. S'engageant sur de longues durées – la durée moyenne des contrats de long terme est de vingt ans –, les opérateurs avaient la certitude que le gaz qu'ils achetaient via les contrats à long terme demeurerait compétitif par rapport aux produits pétroliers comme le fioul domestique, et qu'ils pourraient écouler leur production.

Cette situation est aujourd'hui révolue. La consommation de gaz naturel n'est plus en concurrence avec celle des produits pétroliers. Le système d'indexation sur les produits pétroliers empêche donc de valoriser le gaz en fonction de son véritable coût de revient.

Là encore, les clauses d'indexation freinent le développement d'un véritable marché du gaz. Il n'y a plus aucune raison de lier le prix du gaz à l'épuisement plus rapide des ressources pétrolières que celui des ressources gazières : le ratio des réserves sur la production est de l'ordre de quarante-cinq ans pour le pétrole, contre plus de soixante ans pour le gaz naturel. Lorsque le prix du pétrole s'élève, celui du gaz naturel s'élève aussi, sans que cela corresponde à aucune réalité économique. Par exemple, le prix du pétrole étant très sensible aux aléas politiques, le prix du gaz devient lui aussi dépendant de facteurs politiques qui, pourtant, ne concernent pas les zones de production de gaz. Les deux explications avancées par l'opérateur historique sont donc insuffisantes.

Cette situation est d'autant plus inacceptable qu'il y a toutes les raisons de penser qu'elle perdurera, compte tenu de l'augmentation probable des prix des contrats de long terme – du fait de leur indexation sur les produits pétroliers – et du maintien annoncé des prix du gaz à un bas niveau.

En effet, les prix proposés sur les contrats à long terme ne diminueront pas, puisque ceux-ci sont déjà conclus. GDF Suez s'est pourtant engagé, il y a un an, dans un processus de renégociation de ses contrats avec ses cinq principaux fournisseurs. Les accords conclus avec ces derniers ont conduit à l'évolution de la formule tarifaire, qui prend désormais en compte une part d'indexation plus importante sur le gaz venant du marché spot – plus de 25 % contre 9,5 % auparavant. Mais ces évolutions ne sont pas suffisantes : les tarifs réglementés de vente au consommateur sont encore bien supérieurs aux prix du marché, et cette situation ne risque pas de s'inverser, compte tenu de la probable hausse des prix des produits pétroliers.

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'Europe a près de dix ans pour recouvrer son niveau de demande de gaz de 2010. La crise économique affecte durement et durablement le marché. Il n'est que de regarder les décisions prises par les pays producteurs ces derniers temps. Le Qatar, premier exportateur mondial de gaz, a décidé de mettre en maintenance prolongée une grande partie de ses unités de production. Surtout, l'exploitation des gaz de schiste aux États-Unis constitue une véritable révolution : le gaz américain, surabondant sur le marché, a atteint un prix plancher cinq fois inférieur au prix du gaz européen. L'AIE anticipe donc un « âge d'or du gaz » dont la seule inconnue réside « dans le nombre de carats »...

À l'avenir, toujours selon l'AIE, les interactions de prix entre marchés gaziers régionaux seront amenées à se renforcer, avec la flexibilisation du commerce de gaz naturel liquéfié et l'évolution des conditions tarifaires. Les baisses de prix aux États-Unis se répercuteront sur les prix spot du gaz européen. Mais les consommateurs français, prisonniers des contrats à long terme indexés sur les prix des produits pétroliers, n'en profiteront pas.

Ce texte vise à mettre fin à cette situation grâce à deux axes principaux. Il prévoit d'abord que les coûts d'approvisionnement de GDF Suez pour la fourniture des tarifs réglementés ne pourront plus être compensés s'ils sont fonction de produits pétroliers. Nous proposons une déconnection complète du marché du gaz et de la formule de calcul basée sur les produits pétroliers. Pour prendre une image, la situation actuelle revient à adosser le prix de la tomate sur celui de l'ananas. Or les modes de production, les règles et les secteurs géographiques diffèrent. Il n'y a désormais plus aucune logique à l'adossement des prix du gaz sur ceux du pétrole.

Notre proposition prévoit également que les fournisseurs de gaz naturel français devront renégocier leurs contrats d'approvisionnement à long terme, pour que les prix de ces derniers ne soient plus adossés à ceux des produits pétroliers.

D'aucuns m'opposeront que les fournisseurs ne sont qu'une des deux parties du contrat, et qu'il faut que l'autre partie soit d'accord pour pouvoir renégocier. Je leur répondrai qu'il faut bien prendre le problème par un bout, et que le passé a démontré que si nous ne contraignons pas suffisamment les fournisseurs, ils risquent fort de se satisfaire de la situation.

Ce texte ne constitue peut-être qu'une première étape. Il importe néanmoins que nous nous saisissions de ce dossier, car les consommateurs ne sauraient admettre que la fixation du prix du gaz dépende de celui du pétrole, que leur facture continue à être aussi élevée, voire à augmenter, alors que le prix du gaz baisse régulièrement – près de 30% ces deux dernières années. Cette proposition tend donc aussi à redonner du pouvoir d'achat à nos concitoyens.

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