Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 21 novembre 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Michel Bouvard, président-directeur général du Crédit immobilier de France :

Messieurs les députés, je suis heureux de vous retrouver, même si j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances. Il est, en effet, important que votre commission des affaires économiques, puisqu'elle est en charge du logement, ait une vision complète de la situation. Beaucoup ayant déjà été dit, je me contenterai de résumer les faits qui ont abouti à la situation actuelle pour me concentrer plus longuement sur les solutions alternatives à l'extinction pure et simple du Crédit immobilier de France.

Je rappelle, d'abord, que le Crédit immobilier est issu du regroupement des sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP). Il comporte deux pôles : un pôle de promotion immobilière, qui est le deuxième constructeur en France de maisons individuelles et le troisième ou quatrième promoteur tout court, en fonction des années ; un pôle bancaire, Crédit immobilier de France Développement (CIFD), qui comporte des composantes centrales, notamment de financement et de refinancement de la dette et des encours, et des structures régionales détenues par les SACICAP, qui sont les actionnaires à la fois de la structure faîtière et des structures locales. Il est question aujourd'hui du pôle bancaire exclusivement.

Pour faire simple, le pôle bancaire a financé pendant des années, et encore aujourd'hui, essentiellement des prêts à l'accession à la propriété sur des périodes dépassant vingt ans. La problématique du Crédit immobilier est celle de toutes les banques qui n'ont pas de dépôts : le refinancement sur les marchés, qui est effectué sur des durées inférieures ou égales à quinze ans. Dès lors que les agences de notation ont eu un doute sur la capacité du Crédit immobilier à se refinancer sur les marchés et sur la qualité de sa signature, une dégradation s'en est suivie, aboutissant à une impossibilité de refinancement. Les obligations foncières étant l'un des outils principaux à sa disposition, cette impossibilité l'aurait placé en situation de défaut de liquidité. En prévention, le Gouvernement a annoncé cet été qu'il apporterait une garantie sur le refinancement des flux internes et externes du Crédit immobilier de France. D'où l'adoption, la semaine dernière, de l'article 66 du projet de loi de finances prévoyant un refinancement en garantie interne et externe pour respectivement 12 et 16 milliards d'euros.

Comment on en est arrivé là n'est pas mon propos. Je l'ai dit en prenant mes fonctions, il y a un peu plus d'un mois, je ne suis pas là pour juger le passé, mais pour m'efforcer de sortir la société de l'ornière. Cela dit, des solutions d'adossement auraient pu être mises en oeuvre par le passé. Elles ne l'ont pas été, ce sont autant d'occasions manquées à l'origine des difficultés. Le Crédit foncier serait exactement dans la même situation que le Crédit immobilier de France aujourd'hui s'il ne s'était pas adossé à BPCE, un groupe de dépôts qui a une signature correcte et un accès à la liquidité que n'a plus le Crédit immobilier.

En même temps qu'est enclenché le levier « garantie de l'État », la machine communautaire s'ébranle. De manière simplifiée, la garantie est apparentée à une aide d'État qui produit une rupture des règles concurrentielles : dès lors, il doit y avoir extinction de l'activité pour ne pas perturber la concurrence. Telle est l'analyse de la direction du Trésor, qui considère comme très difficile, voire impossible, d'obtenir de la part des autorités communautaires une continuité d'activité dès lors qu'est accordée une garantie.

Une telle hypothèse pose deux problèmes : le premier, d'ordre social, concerne les 2 500 salariés du pôle bancaire du Crédit immobilier de France ; le deuxième, socio-économique, touche le pays tout entier puisque le Crédit immobilier de France est un producteur important de prêts à l'accession sociale à la propriété. Quand j'ai pris mes fonctions, le schéma était assez simple : mise en run off pour répondre aux obligations communautaires – et je peux comprendre la position d'un Trésor traumatisé par l'affaire Dexia et ayant en perspective d'autres dossiers, comme celui de la banque Peugeot – et reprise par le marché des 4 % de la production de l'accession à la propriété et des 10 % de la production de l'accession sociale du Crédit immobilier de France, La Banque postale (LBP) notamment pouvant faire un effort sur l'accession sociale.

Or la nouvelle gouvernance qui a succédé à M. Sadoun s'est forgé d'autres convictions. D'abord, si l'on croise des critères comme le niveau d'apport personnel des primo-accédants, la longueur des prêts et la valeur retenue pour le bien acquis, qui constitue le gage, sur le segment de l'accession sociale de familles ayant un revenu entre 2,5 et 3 SMIC et peu d'apport personnel, la part de marché du Crédit immobilier de France s'élève à 20 %, le principal acteur du secteur étant le Crédit foncier, avec 50 %. Or celui-ci est lui-même dans une situation fragile, même s'il est adossé, et n'est pas dans une dynamique d'accroissement de ses parts de marché. L'ensemble des autres banques, LBP comprise, représente 30 %. La question est de savoir si, aujourd'hui, ces banques sont capables de relayer la disparition d'un acteur pesant 20 % et la réduction d'activité d'un autre qui pèse 50 %, dans un contexte de renforcement des règles de Bâle III et des règles prudentielles sur l'accession à la propriété. C'est dire l'impact économique d'une société qui, globalement, permet d'accéder, à travers 60 000 prêts, à 40 000 ménages chaque année, dont beaucoup sont des primo-accédants et des accédants à ressources modestes. Par comparaison, je rappelle qu'en 2008, au moment où la crise s'est déclenchée, la production de logements avait été considérée comme un enjeu national, et le plan de relance avait fait reprendre par le pôle social de l'habitat 30 000 logements en VEFA (vente en l'état futur d'achèvement) pour éviter un effondrement du marché immobilier et de l'activité du BTP. Les proportions sont donc comparables, à la différence près qu'il ne s'agit pas d'un problème ponctuel : si le Crédit immobilier de France disparaît, le problème devient structurel et la question se pose alors de savoir comment on finance l'accession sociale à la propriété à l'avenir.

Un deuxième constat porte sur la situation financière et structurelle du Crédit immobilier de France. Le CIF avait-il un problème de liquidité ou avait-il, comme d'autres établissements bancaires, comme Dexia avant 2008, lui aussi failli en se lançant dans des produits toxiques ou des aventures susceptibles de fragiliser l'ensemble du système ? Globalement, la réponse est non, avec toutefois deux points de faiblesse. Le Crédit immobilier de France a uniquement un problème de liquidité, même s'il s'est aventuré dans des affaires de promotion portées par Banque patrimoine et immobilier, qui a rejoint le CIF il y a une dizaine d'années et qui n'est pas dans le coeur de métier, dont la plus connue est l'affaire Apollonia. Une deuxième dérive est intervenue dans la période 2006-2009, où le souci de produire beaucoup a suscité une fuite en avant avec l'acceptation de dossiers de moins bonne qualité. Ces deux risques portés au bilan sont parfaitement identifiés et cantonnés, ils ne fragilisent pas l'ensemble. Aujourd'hui, après maints calculs et rapprochements avec l'Autorité de contrôle prudentiel, la nouvelle gouvernance est convaincue que le bilan d'une liquidation du Crédit immobilier de France se clôturerait par un boni de liquidation. Avec 2,4 milliards de fonds propres, nous avons, à terme, des hypothèses de résultat allant, en fonction des stresses affectés, de 1 milliard à 3 milliards de boni de liquidation, ceci à la principale condition de ne pas détruire l'outil de suivi des prêts et de la gestion du passif. Cet outil est, en effet, celui qui détient les savoir-faire sur cette clientèle de segment d'entrée de l'accession sociale à la propriété. C'est une clientèle qu'il faut accompagner, surtout en cas de difficulté. Le CIF a la particularité de gérer tout son contentieux en interne et d'avoir des outils, notamment informatiques, permettant de mesurer, au jour le jour et dossier par dossier, l'évolution des taux d'intérêt et son impact sur la partie de la clientèle qui n'est pas en taux fixe.

Le troisième élément de conviction, qui me permettra d'indiquer ce qu'il est possible de faire, est qu'il n'y a pas de blocage absolu pour une poursuite d'activité au niveau communautaire. C'est là un discours différent de celui que tient la direction du Trésor. Celle-ci n'a pas forcément tort dans ses analyses, mais il y a un autre chemin, certes étroit. Nous avons la conviction qu'un CIF recentré sur son métier d'origine – l'accession sociale à la propriété –, avec une capacité de production limitée, encadré par des dispositions arrêtées par les autorités publiques, peut obtenir un accord de poursuite d'activité de la part des autorités communautaires, dès lors que certaines cessions seraient effectuées et que le stock serait mis en extinction. L'idée que nous défendons, c'est une mise en run off de l'ancien CIF et, à partir des savoir-faire et des équipes existants, la constitution d'une nouvelle entité, recentrée sur le segment d'entrée de l'accession sociale à la propriété. Ce segment, non seulement le CIF y est très présent, mais nous avons la conviction intime que les autres acteurs bancaires tendront à s'en retirer du fait des règles de Bâle III et de la nouvelle directive communautaire en préparation, sans parler des problèmes de financement et de refinancement que peuvent avoir les établissements bancaires quels qu'ils soient.

Nous avons proposé aux pouvoirs publics deux hypothèses. La première, dite scénario « bridge bank », consiste à constituer un canton hébergé dans le cadre du CIF actuel, avec une séparation du bilan actif et passif, et qui développe cette nouvelle activité recentrée avant, dans un délai de deux à cinq ans, d'être cédé à un repreneur. Cela peut être un repreneur quelconque – mais je doute qu'il y en ait un qu'une activité de ce type puisse intéresser –, cela peut être la Banque postale, seule ou avec d'autres. Ce qui importe, c'est la qualité de la signature de ce repreneur et sa capacité de se refinancer sur les marchés. C'est pour cette raison que nous avons aussi émis l'hypothèse d'un service d'intérêt économique général, consistant en une structure support sous forme d'EPIC avec, en dessous, un établissement bancaire capitalisé par différentes structures, qui peuvent être LBP et d'autres, un peu comme Oséo. Ce serait un Oséo de l'accession sociale à la propriété.

L'intérêt que peuvent trouver les autres établissements bancaires dans le CIF, c'est que, n'ayant pas de dépôts, il ne peut pas leur prendre de clients. En outre, il joue un rôle d'amorçage. Un client à qui les banques n'ont pas voulu prêter mais qui trouve un prêt au CIF présente des risques pendant les quatre ou cinq premières années. Passée cette période sans défaut, généralement la personne est capable de rembourser son prêt jusqu'à son terme. Comme le modèle de financement du CIF implique que, n'ayant pas de fonds propres, il se refinance à des conditions plus chères que les autres établissements bancaires, et que pour sécuriser ses clients, il les « équipe » en assurances pour risques familiaux, perte d'emploi et autres qui rendent les taux servis un peu plus élevés, quand la banque qui a le compte du client en dépôt voit que les mensualités sont honorées sans problème, très naturellement, elle va lui proposer de racheter son crédit, considérant que le client est rentable dans la durée. Voilà comment le CIF joue un rôle d'amorçage sans perturber le reste de l'activité bancaire et comment l'ensemble des établissements bancaires de la place peuvent participer à une solution permettant de maintenir cette activité.

La deuxième hypothèse, en cas d'obstacle au niveau communautaire, est la constitution d'une nouvelle société ex nihilo reprenant les savoir-faire et une partie des équipes et permettant de développer cette activité. Là aussi, se pose le problème de l'adossement qui peut être, comme le ministre du budget l'a indiqué la semaine dernière, dans le cadre d'un partenariat avec la Banque postale.

Nous avons acquis la conviction qu'il y avait possibilité de discuter avec Bruxelles, pas seulement au regard d'expertises conduites par des avocats spécialisés en droit communautaire, mais aussi en voyant comment ont été traités et sont encore traités un certain nombre de dossiers bancaires en Europe. Le dernier en date, débuté en 2008, est en cours de règlement sur la base d'un procédé de type bridge bank. Il s'agit de Hypo Real Estate, qui est l'un des acteurs majeurs de l'immobilier en Allemagne. On trouve des cas similaires en Suède, au Danemark, donc pas uniquement dans les pays du « Club Med », comme le disait élégamment M. Tietmeyer.

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