Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 21 novembre 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Michel Bouvard, président-directeur général du Crédit immobilier de France :

Je veux d'abord remercier ceux qui sont intervenus sur l'article 66 du projet de loi de finances. Le Gouvernement a eu le courage de rouvrir le dossier, prenant le risque de se mettre en difficulté et ne se contentant pas d'invoquer l'héritage.

M. Alain Marc a attiré l'attention sur l'intervention du CIF dans les petites villes de province : 50 % de l'activité en zone C et une grosse partie des autres 50 % en zone B2.

Dans la situation actuelle, les cinquante-six SACICAP sont techniquement parlant rincées, c'est-à-dire qu'elles n'ont droit à aucun retour. C'est le protocole qui avait été proposé au précédent conseil d'administration et à la précédente équipe dirigeante, qui avait été refusé. Ce fut d'ailleurs l'une des causes au fait que la Commission n'ait pas donné suite à la pré-notification de garantie. Si nous avons à retravailler sur cette question, le point le plus dur du droit communautaire porte sur une éventuelle récupération des actionnaires dans un cadre de ce type.

M. Jean-Luc Laurent a eu raison de rappeler que la garantie était obligatoire, sachant qu'une garantie pour six mois aurait été catastrophique en raison de la principale menace que représente pour nous la position de Moody's. Nous avons été dégradés pour la deuxième fois il y a quinze jours. Aujourd'hui, une nouvelle dégradation ferait passer le CIF dans la catégorie P3, ce qui empêcherait les refinancements internes et conduirait à la mise en liquidation immédiate de l'établissement. Tout signal fragilisant la garantie de l'État ou la limitant dans la durée constitue ainsi un problème. Nous avons un premier gap de liquidité, autour de 1,3 milliard, au premier trimestre de 2013, mais aussi un deuxième, autour de 4 milliards, celui-là à échéance de trois ans. Une garantie limitée à six mois ne ferait donc pas l'affaire.

Le calendrier est très resserré pour deux raisons. La première, c'est qu'on ne peut pas maintenir d'incertitude au regard de l'agence de notation. La deuxième, c'est qu'une grande partie des personnels est composée de commerciaux dont l'activité est arrêtée, partiellement voire intégralement, depuis le 30 juin. Le CIF est aujourd'hui sous ce qu'on appelle ELA « Emergency Liquidity Assistance ». Il se refinance à la Banque centrale européenne et par la Banque centrale. Il doit apporter des gages en contrepartie mais, de ce fait, sa production est soumise à un encadrement quantitatif. Sous l'ELA, on ne peut pas bénéficier d'un refinancement Banque centrale pour accroître le volume des encours. Il y a également un encadrement qualitatif, qui est la préfiguration de la future directive européenne : on ne peut pas prêter à moins de 20 % d'apport personnel, à plus de 33 % d'endettement et sur plus de vingt ans. C'est ainsi qu'on aura tué 90 % de la production du CIF, et cela peut être aussi le tableau, demain, pour les établissements bancaires, soit intégralement soit partiellement, en fonction de l'aboutissement de la discussion sur la directive « Liikanen ».

L'adossement simple n'est pas possible parce que c'est la reprise du stock. Il faut plutôt envisager l'adossement d'un CIF recentré avec un canton qui garderait 5 milliards de bilan sur 35, soit à peu près un septième, ou l'adossement d'une nouvelle structure créée ex nihilo. À notre idée, le fonds d'épargne doit être mobilisé pour la reprise de production, soit par un canton soit par une structure créée ex nihilo, avec un objectif cible entre 4 et 5 milliards, sachant que la première année, la production sera vraisemblablement inférieure à 2 milliards. Il n'y a pas d'anomalie à ce que le fonds d'épargne finance l'accession sociale à la propriété – c'est l'ancien président de la Caisse des dépôts et consignations qui parle – puisque, sous le régime de la loi Minjoz, il en a été le financeur pendant trois quarts de siècle, de 1902 à 1977, jusqu'à la modification des règles de financement de l'accession sociale à la propriété avec le PAP. Peut-il le faire au regard de ses disponibilités ? Oui, parce que, en cette période de crise, les gens ont tendance à faire de l'épargne de précaution. De surcroît, la décision du Gouvernement de remonter le plafond des livrets a favorisé l'accroissement des dépôts sur le fonds d'épargne.

J'ajoute que c'est le ministre de l'économie et des finances, qui détermine les emplois du fonds d'épargne. S'il décidait que celui-ci était à nouveau utilisable pour le financement de l'accession sociale à la propriété, il pourrait le faire sans généraliser à tous les établissements bancaires, en visant précisément une catégorie de prêts dans une logique d'intérêt économique général. La Banque postale y trouverait son compte puisque, n'en ayant pas l'emploi, elle n'utilise pas actuellement les 35 % auxquels elle a droit dans la clé de répartition entre ce qui est centralisé à la Caisse et ce que peuvent garder les établissements bancaires. Cette part est donc recentralisée au fonds d'épargne à la Caisse des dépôts et consignations, mais dans des conditions financièrement pas intéressantes, puisque ces fonds doivent être disponibles immédiatement en cas de besoin de la Banque postale. Nous avons un débat avec le Trésor pour savoir si, dans ce cas, une garantie de l'État est nécessaire ou pas, et si elle poserait un problème de droit communautaire, d'où l'approche de service d'intérêt économique général (SIEG) que nous avons mise en avant. Pour justifier un SIEG, il faut une défaillance de marché constatée, même peu importante. Selon la jurisprudence européenne, une défaillance sur 10 % du marché suffit à considérer qu'un service d'intérêt économique général est opportun.

M. Thierry Benoit, les dossiers qui restent en cours seront traités soit dans la structure qui sera mise en run off, soit dans le cadre du canton, mais avec une gestion unifiée. Si nous allions vers une disparition totale du CIF, ce que personne ne souhaite, il serait extrêmement important de garder, dans les équipes qui auront à gérer le run off, l'expertise des sociétés de financement régionales dans le traitement des clientèles emprunteuses, parce que c'est ce savoir-faire qui sécurise le dispositif de sortie et le boni de liquidation. L'autorité de contrôle prudentiel (ACP) a été très claire sur ce point. Cela veut dire, a contrario, que dans une logique de run off où les gens, sachant qu'ils vont perdre leur emploi, sont susceptibles d'en accepter un ailleurs, il y a un risque de perte de savoir-faire et donc de fragilisation du boni de liquidation. Le run off intégral, c'est la fragilisation du boni de liquidation.

Pour ce qui est du calendrier, nous avons besoin de clarifier les choses. L'activité des commerciaux est maintenant arrêtée ; la nouvelle gouvernance est au travail depuis un peu plus d'un mois ; nous avons, lundi, un rendez-vous à l'Élysée, dont j'ai souhaité qu'il puisse être conclusif soit sur le run off, soit sur l'ouverture d'une option. Dès lors qu'une option aura été ouverte, le collège de l'ACP pourra se réunir pour autoriser, en début d'année, une reprise de la production, dans le cadre d'un périmètre d'activité encadré d'un nouveau CIF.

Des questions m'ont été posées, notamment par M. André Chassaigne, sur le volet social, qui est important. Le pôle bancaire compte aujourd'hui 2 500 emplois, dont 500 dans des structures sans lien avec le coeur de métier – Banque patrimoine et immobilier, Assurances et conseils, SOFIAP, filiale commune avec la SNCF qui apporte sa garantie pour les prêts consentis aux cheminots, toutes structures qui peuvent sortir du périmètre et être reprises en bloc sans qu'il y ait besoin de plan social. Sur les 2 000 emplois restant sur l'activité des sociétés de financement régionales et du siège, 300 sont nécessaires pour gérer le run off. La question est de savoir, en fonction des options qui seront retenues, combien il en restera dans le réseau et dans les société de financement régionales (SFR). Je reste prudent, car, aujourd'hui, aucun schéma n'est prêt. D'ailleurs, s'il y en avait un, nous serions tenus de le présenter aux organisations syndicales et aux représentants du personnel. Dans le pire des cas, nous pourrions sauver la moitié des emplois, et dans le meilleur des cas, les deux tiers. Cela dépendra du périmètre d'activité, sachant que les sociétés de financement régionales devront être fusionnées. Nous ne pouvons pas continuer avec une structure d'une telle complexité, dont, pour être franc, j'ai acquis la conviction que la construction obéissait plus à la volonté de concentrer le pouvoir en un seul endroit qu'à des raisons pratiques.

Il est important de ne pas s'autocensurer vis-à-vis de Bruxelles. Certes, les règles communautaires sont dures et impliquent de mener de difficiles combats. Je comprends aussi qu'après le cauchemar de Dexia, le Trésor n'ait pas envie de se lancer à nouveau dans un dossier compliqué. Mais je pense qu'il faut porter les dossiers suffisamment en amont plutôt que d'attendre d'avoir fermé le dernier bouton de guêtre. On peut aller tester des solutions à Bruxelles. C'est pourquoi, lundi prochain, nous proposerons de retenir une option de continuité avec une structure ex nihilo, mais de regarder tout de même s'il y a une voie possible pour une option bridge bank à Bruxelles.

Pour ce qui est de la sauvegarde des emplois, hormis le run off, je pense que chaque solution offre des proportions à peu près comparables.

J'en viens aux interrogations sur la Banque postale qui doit faire partie des solutions. Quand Philippe Wahl a refusé de prendre le stock, je pense qu'il défendait une position légitime du point de vue de la Banque postale, au regard du volume des encours et du gap de liquidité. Dès lors qu'il s'agit d'une solution d'adossement d'une structure recentrée qui ne porte pas le stock, la Banque postale doit être au rendez-vous. Je suis profondément convaincu qu'elle ne sait pas faire ce métier très spécifique. Si elle veut l'exercer avec son réseau actuel, elle va se fragiliser : en prenant des dossiers qu'elle connaît mal, sans avoir les outils adéquats pour traiter des clientèles fragiles, elle va prendre des risques. Comme la Banque postale est bien gérée, elle ne voudra pas prendre de risques. Si elle ne reprend pas l'outil, elle n'interviendra que sur le champ le plus sécurisé. Elle fera du PAS (prêt à l'accession sociale), mais d'abord à sa propre clientèle, pas à celle qui venait au CIF, et elle le fera dans le haut du segment, pas dans le bas, considérant qu'il est plus fragile. À l'arrivée, nous aurions, et je suis prêt à prendre date, le scénario suivant, que je ne souhaite pas : dans un à deux ans, on s'apercevra que le champ qui était couvert par le CIF ne l'est plus, et la Banque postale, qui est très bonne dans la distribution de produits, demandera la création d'un nouveau produit destiné à ses clientèles et qui aura un coût budgétaire. En d'autres termes, si l'on casse l'outil qui permet aujourd'hui au CIF d'agir sans coût pour l'État, il faudra, pour répondre aux objectifs de la politique du logement en matière d'accession à la propriété, en recréer un qui aura, celui-là, un coût budgétaire.

Là où je suis maintenant, j'essaie de ne plus faire de politique. Seulement, cette matière a des implications politiques. Au cours de la campagne présidentielle, on a vu émerger toute une catégorie de population exprimant un sentiment d'abandon et la peur du déclassement. Une partie des jeunes et des habitants des zones suburbaines considèrent qu'on ne fait rien pour eux qui travaillent. L'une des aspirations de cette population est de se sécuriser en accédant à la propriété. Si nous ne répondons pas à leurs attentes, nous allons faire basculer une part encore plus importante de la population dans le vote extrémiste, créer des réflexes de « petit blanc » et alimenter la machine de Mme Le Pen. J'en suis profondément convaincu et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'ai répondu à l'appel du conseil d'administration du CIF, sachant pourtant qu'il y avait plus de coups à prendre que de remerciements à recevoir. C'est là un enjeu social qui dépasse les considérations économiques. Il ne s'agit pas de subprimes parce que la clientèle est connue et identifiée, que la mise en gage donne lieu à visite des biens. Le marché n'est pas spéculatif, on sait ce qu'on achète. Chaque bien acheté, 50 % dans l'ancien et 50 % dans le neuf, est visité par les équipes du CIF qui connaissent le métier. C'est là le savoir-faire qu'il faut maintenir.

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