En ce qui concerne Boko Haram, il s'agit pour notre Président de la République, je le répète, d'une menace régionale qui appelle une réponse également régionale.
Nous avions déjà un problème sécuritaire dans la région ouest-africaine du fait des groupes djihadistes, en particulier au Niger et au Mali, avec AQMI et le MUJAO, et sur nos côtes du fait de la piraterie maritime: la région est en quelque sorte prise en étau entre les deux. Aujourd'hui, parmi les groupes djihadistes oeuvrant à l'intérieur des terres, Boko Haram est malheureusement devenu très actif. Je profite de l'occasion pour remercier la France pour son action contre AQMI, sans laquelle c'est peut-être cette organisation qui nous aurait ainsi menacés. Les capacités d'AQMI ont été réduites, mais c'est maintenant Boko Haram qui tire profit de la faiblesse de l'armée nigériane pour poursuivre son action terroriste et occuper le terrain. Car telle est bien la stratégie de ce groupe: occuper un espace géographique. Si le Nigéria n'est pas soutenu par les pays voisins, Boko Haram disposera, à l'instar de l'État islamique, d'un territoire à partir duquel il cherchera à atteindre et à détruire tous les pays de la région.
Nous considérons donc que nous, pays d'Afrique de l'Ouest, n'avons pas le choix. Puisque nous constatons tous que l'armée nigériane n'a pas, du moins pour le moment, la capacité de contenir à elle seule les avancées de Boko Haram - heureusement, le gouvernement tchadien a décidé d'intervenir aux côtés de l'armée camerounaise pour empêcher l'organisation de poursuivre sa progression, et nous l'en félicitons -, il faut donc une action concertée au niveau de la CEDEAO et de la CEEAC afin de mettre sur pied une force d'intervention. Nous voulons donc étendre à ces deux communautés régionales la réflexion sur ce sujet, qui a fait hier l'objet d'une conférence à Niamey. Les Chefs d'État d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale se réuniront pour en discuter en marge du prochain sommet de l'Union africaine, qui se tiendra à Addis-Abeba les 30 et 31 janvier 2015.
J'en viens à l'élection présidentielle au Togo. Je vous rassure : l'élection aura lieu, probablement courant avril.
La question qui se pose aujourd'hui est celle des réformes constitutionnelles et institutionnelles, lesquelles concernent deux points principaux: la limitation du nombre de mandats présidentiels et le mode de scrutin. Le gouvernement togolais s'est saisi lui-même du dossier et a envoyé à l'Assemblée nationale un projet de loi tendant à limiter le mandat présidentiel, mesure à laquelle il n'est pas du tout hostile, au contraire. Ce projet de loi a été retorqué par les députés - par ceux de la majorité, disent certains, ce que j'assume. En effet, la raison pour laquelle nous n'avons pas tranché la question, c'est l'absence de consensus. La position de l'opposition est claire : oui à la limitation du mandat présidentiel, avec effet rétroactif. La position du Gouvernement, celle que nous défendons, est la suivante : oui à la limitation du mandat présidentiel, mais sans rétroactivité de la loi. Pardonnez-moi, je ne me suis pas bien présenté à vous tout à l'heure : à l'origine, je suis professeur de philosophie politique, et, dans ce cadre, j'ai étudié le droit ; jamais je n'ai entendu parler d'une loi rétroactive sur des questions pareilles.
C'est donc l'absence de consensus entre l'opposition et le pouvoir qui fait qu'aujourd'hui, cette loi traîne encore à l'Assemblée. Car pour qu'il y ait consensus, dans la Constitution togolaise, il faut un vote aux quatre cinquièmes. Or aucun parti, au Togo, ne peut réunir cette majorité. Pour voter cette loi, il faut donc une discussion et un consensus entre l'opposition et le pouvoir. Ce consensus, nous pouvons l'obtenir. En effet, nous approuvons la limitation du nombre de mandats. Nous souhaitons simplement que celui qui sera élu en avril 2015 ait la possibilité d'effectuer deux mandats à partir de son élection.
Vous qui êtes députés, politiciens, vous savez comment les choses se passent : dans cette affaire, des arrière-pensées sont évidemment à l'oeuvre. Demander la rétroactivité de la loi est un moyen politicien d'empêcher le Président de la République de se présenter aux prochaines élections. L'absence de consensus n'est pas de la responsabilité du pouvoir, il résulte du refus de l'opposition. Si l'opposition, et plus précisément l'Alliance nationale pour le changement (ANC) dont émane ce refus, accepte le consensus, la loi pourra être votée sans problème.
À la différence de ce qui se passe au Burkina Faso, nous ne cherchons pas à modifier la Constitution pour permettre au Président de se présenter ad vitam aeternam. Nous respectons la Constitution et nous sommes, je le répète, ouverts à la demande d'une limitation du nombre de mandats présidentiels. Nous espérons que l'Assemblée nationale, actuellement convoquée en session extraordinaire, pourra poursuivre ses discussions et parvenir au consensus nécessaire à l'adoption de la loi.
J'en viens au second point : le mode de scrutin.
Le Togo fait partie des pays de la région où le processus électoral est totalement transparent. Je vous l'ai dit, nous avons même introduit la biométrie dans le recensement des électeurs. Ce processus est en cours depuis 2007. La CENI, commission inclusive composée de membres de la majorité, de l'opposition et de la société civile, est au travail. Du point de vue technique, il n'y a donc absolument aucun problème. Depuis hier, nous avons commencé le recensement électoral, selon un découpage en deux zones qui, pour des raisons techniques, seront traitées successivement : d'abord la zone 1, dans le Sud du pays, ensuite la zone 2, dans le Nord.
S'agissant maintenant de l'aspect politique, le mode de scrutin en vigueur est un scrutin uninominal à un seul tour. S'il y a consensus au Parlement, on peut le modifier. Au Gouvernement, cependant, nous assumons notre préférence pour le mode de scrutin actuel.
Je vais vous chahuter un peu, veuillez m'en excuser : je crois que le fondement de la démocratie, ce n'est pas la limitation du nombre de mandats ni le mode de scrutin. Je n'entrerai pas dans les détails juridiques. Nous acceptons cette nouveauté, mais nous sommes conscients du fait que là n'est pas le fondement de la démocratie. Ici, en France, c'est très récemment que les honorables députés que vous êtes ont bien voulu inscrire dans la Constitution la limitation du nombre de mandats présidentiels. On sait que cette limitation est à la mode, comme les élections à deux tours. Si c'est la condition pour que l'on reconnaisse que la démocratie togolaise est vivace et dynamique, nous y sommes prêts. Mais nous souhaitons un consensus, pour éviter toute frustration. Car nous ne voulons ni vainqueurs ni vaincus : le vainqueur des élections, le vainqueur des réformes politiques, institutionnelles, constitutionnelles, ce doit être le peuple togolais. Telle est la position du Gouvernement.
J'ai été interrogé sur la préparation de la conférence de Lomé sur la sécurité maritime et le développement maritime en Afrique. Elle se déroule dans de bonnes conditions. Quatre sous-thèmes principaux sont prévus à l'ordre du jour de cette conférence, qui aura bien lieu les 6 et 7 novembre 2015, trente jours avant la conférence de Paris sur le climat : la piraterie maritime, la pêche illégale, la pollution et les trafics. De cette conférence continentale, organisée par l'Union africaine, nous attendons non une énième déclaration, une déclaration de Lomé sur le modèle des déclarations de Yaoundé ou de Cotonou, mais des décisions. Nous travaillons donc, avec le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, sur les décisions que nous pourrions contraindre certains pays africains à soutenir, afin qu'elles puissent nourrir ensuite la conférence de Paris.
Nous sommes en train de doter le port de Lomé, seul port en eau profonde de la région, de capacités très importantes. Pour répondre à la question qui m'a été posée sur les relations commerciales entre nos deux pays, le Togo a acquis l'année dernière deux patrouilleurs auprès d'entreprises françaises et le groupe Bolloré, très présent sur le port, qui a inauguré il y a deux mois un quai supplémentaire. D'autres quais sont en construction. Le port a désormais vocation à servir au transbordement de marchandises. Nous avons déjà reçu des bateaux de dernière capacité, qui arrivent dans le port de Lomé avec des marchandises qui doivent être transbordées sur de petits bateaux pour approvisionner les autres ports de la sous-région.
En trois ans, de 2011 à 2014, on a dénombré 205 attaques de pirates dans le golfe de Guinée, dont 7 dans les eaux territoriales togolaises, parmi lesquelles 5 ont été déjouées par la vigilance de notre marine. Ceux d'entre vous qui ont déjà visité le Togo seraient surpris d'observer aujourd'hui dans les rades de nos eaux territoriales une centaine de bateaux ; en réalité, ces bateaux ne sont pas tous destinés au port de Lomé, mais ils fuient l'insécurité maritime, surtout au Nigéria et au Bénin, et ne repartent que pour décharger leurs marchandises lorsque la radio les prévient d'une disponibilité dans ces ports. Cela confirme que le port de Lomé est l'un des plus sécurisés de la région. Nous escomptons bien de la conférence de Lomé qu'elle contribue efficacement à la sécurité de nos côtes.
En ce qui concerne l'emploi des jeunes, le Togo travaille effectivement avec le PNUD. Les jeunes sont pour nous une priorité, car nous sommes conscients du fait que nous avons une population jeune que nous devons encadrer et former pour ne pas nous exposer à des conflits à l'avenir. À cette fin, le gouvernement togolais a pris plusieurs initiatives et, avec ses partenaires dont le PNUD, développé plusieurs projets. Le programme principal, pour lequel nous bénéficions du soutien du PNUD mais aussi d'ONG françaises, européennes, allemandes et américaines, concerne la formation des jeunes, essentiellement la formation technique, en mécanique par exemple. Par ces différents programmes, nous souhaitons lutter contre le chômage, qui prend de plus en plus d'ampleur au Togo et dans les autres pays africains. Car si nous ne les encadrons pas, les jeunes chômeurs pourraient être, si vous me permettez l'expression, les terroristes de demain.
Je reviens à Boko Haram : la situation au Nigéria est-elle un conflit ethnique ou religieux ? La situation est très complexe. Le gouvernement togolais veille pour que ce qui se passe au Nigéria n'atteigne pas notre pays. Nous avons été choqués d'apprendre que les djihadistes d'AQMI au Nord-Mali comptaient deux Togolais dans leurs rangs. Le problème posé par Boko Haram cache certainement des arrière-pensées concernant les Nigérians du Nord, ou les Nigérians musulmans, vis-à-vis des Nigérians chrétiens. Mais la responsabilité première revient au gouvernement nigérian, c'est à lui de comprendre ce problème et de le résoudre sur ce plan. Si c'est d'une intervention militaire qu'il s'agit, les pays de la région seront, je le répète, aux côtés du Nigéria. Quant à la question de savoir si le conflit est religieux, nous devons faire très attention : certains cherchent de plus en plus à utiliser la religion comme moyen d'expression - à l'instar de Boko Haram, au Togo ou dans d'autres pays - ou, ailleurs encore, comme tremplin pour parvenir au pouvoir par la manipulation des consciences. Voilà pourquoi nos services de sécurité et de renseignement travaillent ardemment avec certains services de la région pour s'assurer que les prêches dans les mosquées soient bien conformes à l'esprit et à la lettre du Coran.
On a observé ces derniers temps une montée de l'islamisme dans la région ouest-africaine en général, et au Togo en particulier. Sur ce point, peut-être vais-je vous surprendre en rappelant certains faits. Pendant quinze ans, pour des raisons politiques, le Togo n'a plus bénéficié de la coopération de l'Union européenne. Au cours de cette période, le pays n'a donc eu d'autre choix - je le dis souvent aux autorités politiques que je rencontre en Europe - que de se tourner vers des pays musulmans. Ainsi, le Togo, qui compte environ 12 % de musulmans sur son territoire, est membre de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Depuis cette époque, l'OCI contribue au développement du pays, directement ou par l'intermédiaire de la Banque islamique de développement (BID). En contrepartie non écrite de cette aide, nous voyons de plus en plus de mosquées se construire sur notre territoire, dans presque toutes nos villes. Heureusement, nous avons repris nos relations avec l'Europe et je vous en sais gré. Mais, auparavant, nous avons bien dû accepter l'aide de ceux qui étaient prêts à nous l'accorder, c'est-à-dire, en l'occurrence, les pays du Golfe, qui en ont profité pour s'implanter au Togo, par le biais d'ONG, d'organismes de bienfaisance, d'associations en tout genre. On observe aussi de plus en plus de conversions parmi les Togolais. Il ne faut pas s'en étonner après la période que j'ai évoquée. Nous sommes conscients de ces problèmes ; voilà pourquoi nous appelons l'attention de nos partenaires européens, et nous surveillons l'évolution de la situation.
En ce qui concerne la question d'une éventuelle candidature à l'élection présidentielle togolaise de votre compatriote Kofi Yamgnane - qui n'était pas vraiment une question, me semble-t-il -, je la lui aurais posée moi-même s'il avait été présent ! Mais je crois qu'il a bien d'autres soucis en France.
Quant à l'audiovisuel français, il n'est pas en difficulté chez nous. Les chaînes de radio et de télévision les plus suivies en Afrique sont RFI, France 24 et TV5 Monde ; le Togo est membre de la Francophonie, la France est notre premier partenaire et nous continuons de défendre l'esprit de la francophonie, indispensable à nos populations.