Intervention de Laurence Parisot

Réunion du 16 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Laurence Parisot :

C'est un honneur pour moi d'être devant vous ce matin et d'avoir ainsi l'occasion d'échanger avec vous sur cette question éminemment importante. Ce que je vais dire est très directement lié à mon expérience de huit ans passés à la tête du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), car lorsque l'on est l'un des représentants des partenaires sociaux, on travaille tous les jours avec les représentants des institutions. De cette expérience j'ai tiré un certain nombre de réflexions très rapidement évoquées dans l'entretien que j'ai accordé à La Tribune et que vous avez évoqué, monsieur le président.

Si je me suis interrogée sur les institutions, c'est en particulier parce que j'ai été marquée par le fait que, ayant eu à travailler avec des hommes et des femmes, de droite comme de gauche, tous intelligents, compétents, sincères – sincères, j'y insiste –, j'ai eu la même difficulté à progresser et à « délivrer » – veuillez excuser cet emprunt au vocabulaire du management anglo-saxon. C'est à partir du constat de ce défaut d'efficience que j'ai été amenée à douter d'un mien présupposé – car j'ai fait des études de droit public et la question des institutions m'a toujours passionnée, un de mes anciens professeurs siège d'ailleurs autour de cette table… –, un présupposé selon lequel la solidité des institutions de la Ve République nous permettrait toujours de faire face aux difficultés. Or, ces difficultés ayant atteint un certain stade, j'ai pensé que cette solidité constituait au contraire le problème plus que la solution, un handicap plus qu'un avantage. Je souhaite appeler votre attention sur deux aspects en particulier.

En premier lieu, vous le savez, tout remonte, dans les faits, à un seul homme, et tout est concentré entre ses mains : le Président de la République. Comme si celui qui incarne cette institution était un homme-orchestre, un surhomme doté de toutes les compétences, de toutes les formes d'intelligence et, surtout, d'une capacité physique digne d'un médaillé d'or au marathon des Jeux olympiques. Et le marathon du Président de la République est quotidien.

Cela pose un problème majeur, et qui me fait penser à une phrase de Lionel Jospin quand il était Premier ministre : « Je n'ai même plus le temps de penser. » Je crois que c'est profondément vrai. Notre système a été conçu à une époque difficile, mais dont le degré de complexité n'était pas aussi élevé, car pour toute décision publique les interactions sont aujourd'hui très nombreuses, la technicité très pointue et la vitesse imposée prodigieuse. Un seul homme, même aidé d'une équipe – en général trop restreinte –, ne peut pas tout appréhender dans ces conditions. Toutefois, comme il y est obligé, il se fonde, pour agir et réagir, soit sur une pensée qui n'est pas la sienne – puisqu'il n'a plus le temps de penser –, soit sur la sienne – mais elle est généralement ancienne. Ainsi, sur le plan économique, j'ai souvent eu affaire, au plus niveau de l'État, à des personnes, qu'elles soient de droite ou de gauche, certes très intelligentes mais dont les connaissances dataient de dix ou quinze ans. Aussi la possibilité pour les responsables de nos institutions les plus importantes de penser et d'agir n'est-elle en rien anodine.

Je ne suis pas constitutionnaliste et il n'est pas dans mon intention, d'autant moins que je me trouve en présence d'éminents spécialistes, de vous dire de quelle manière réécrire la Constitution ; j'entends seulement vous faire part de ce qui me semble important et, à ce titre, vous proposerai une réforme : le Président de la République, une fois élu, devrait, comme le prévoit le système des États-Unis d'Amérique, avoir droit à un mois – voire trois mois – de délai avant son installation officielle. Il faut en effet rompre avec la folie d'une campagne présidentielle nerveusement épuisante, qui vous éloigne des grands mouvements du monde et vous confine dans des manoeuvres électorales, campagne au lendemain de laquelle on doit composer sans délai un gouvernement, sans avoir le temps de récupérer physiquement ni de penser stratégiquement. Voilà qui me semble à l'origine du ratage de leurs « cent jours » initiaux par les quatre ou cinq derniers présidents.

Outre la question du temps d'installation, se pose celle de la délégation. Il faudrait vraiment préciser ce qui relève du domaine de compétences de chacun, actualiser, sans doute, le principe selon lequel le Président de la République guide, arbitre, s'occupe de l'essentiel, tandis que le Premier ministre, à la tête du Gouvernement, agit en des matières certes tout aussi importantes mais d'une autre nature.

Le second axe de ma réflexion concerne l'architecture de nos institutions. Elle doit être à mon sens très souple, à l'image de ces constructions si flexibles qu'elles résistent aux tremblements de terre. Notre seule certitude est celle d'un monde incertain. Ce qui est important est imprévisible. Notre système institutionnel doit donc pouvoir réagir très souplement et très rapidement aux crises imprévisibles. Il reste de nombreux progrès à réaliser en la matière, et surtout en lien avec l'architecture institutionnelle européenne.

Nous étions partis de l'idée d'une constitution européenne qui s'impose à nos différentes constitutions. Ne pourrions-nous pas procéder inversement et nous demander comment rapprocher nos institutions des institutions européennes, comment favoriser l'articulation entre le niveau national et le niveau européen ? Lors de la crise financière et économique de 2008-2009 et, pire, pendant celle de l'euro survenue en 2011, il a été très difficile de nous entendre avec nos partenaires européens, notamment avec l'Allemagne. Nous avons vécu des journées épouvantables parce que nous ne parvenions pas à nous comprendre : nos mécanismes institutionnels étaient tellement éloignés les uns des autres, les différentes procédures et les modes de réflexion respectifs si difficiles à admettre de part et d'autre…

En somme, pouvons-nous envisager, d'une part, de renforcer le caractère antisismique de notre système institutionnel, pour filer la métaphore, et, d'autre part, mieux redéfinir l'articulation de nos relations avec les autres pays européens et avec les institutions communautaires ?

Pour conclure, même si l'on touche peu aux institutions à l'issue du présent travail – il sera en effet difficile de nous mettre d'accord sur la définition d'une VIe République, et je change moi-même d'avis tous les jours à propos du mode de scrutin : je me sens pro-proportionnelle certains jours, puis j'ai tellement peur des conséquences de son adoption avec une droite extrême forte que je reviens en arrière –, il reste un élément très gênant : les ambiguïtés de l'application de la Constitution, et plus précisément de certaines pratiques qui nous éloignent de la lettre du texte. Bien que son article 34 dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », il y a bien des années que la loi n'en détermine plus les principes fondamentaux mais les moindres détails, et que les partenaires sociaux sont donc empêchés de jouer pleinement leur rôle et d'assumer leurs responsabilités. Il faut choisir. Il faut en finir avec ces ambiguïtés.

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