Monsieur Pisani-Ferry, vous êtes intervenu sur le lien entre pouvoir faible et pouvoir limité, et vous avez invoqué l'exemple du MES, au sujet duquel la démocratie n'a pas fonctionné : les organes démocratiques européens ont alors défailli, puisque les décisions n'étaient plus prises par la Commission, mais par le Conseil, si bien que le contrôle du Parlement européen disparaissait et que celui des parlements nationaux diffère d'un pays à l'autre. Nous devons donc nous interroger sur la redéfinition des lieux de pouvoir. M. Richard a souligné le fait que le Parlement français pourrait d'ores et déjà agir pour influencer la définition de la politique européenne et contrôler son exécution. Je regrette qu'il n'existe pas de commission permanente de plein exercice dédiée aux questions européennes au sein de l'Assemblée nationale ; la délégation aux affaires européennes, devenue commission « transversale », nous a permis de rattraper une partie de notre retard, mais cela s'avère insuffisant.
Nous ne pourrons éluder la question de la nécessaire intégration des parlements nationaux au sein des institutions européennes, qui pourrait, à budget constant pour ne pas heurter nos amis allemands, prendre les traits d'un sénat ; en effet, le Parlement européen se révèle trop éloigné des citoyens et des parlementaires nationaux, et fonctionne selon une temporalité qui renforce cette distance. Si on explique que l'absence de contrôle démocratique constitue la méthode pour combattre la crise, on creuse le fossé entre l'Europe et les populations. La situation grecque a illustré les inconvénients d'un système où la trop longue prise de décision aggrave la crise. Il faut revenir au principe rousseauiste d'un contrôle démocratique identifié et approfondi.
Le retour en grâce du Président de la République découle davantage du caractère symbolique de sa fonction, qui s'est donné à voir à l'occasion de la crise ouverte par les attentats de la semaine dernière, que des décisions prises lors de ces événements. Si l'on devait célébrer l'action du Président de la République et du Premier ministre, on se réjouirait des nominations judicieuses opérées dans les services de renseignement et la police, ainsi que du bon fonctionnement de nos institutions, les forces de l'ordre étant intervenues sous le contrôle de la justice.
Cette situation nous ramène à la question de l'identification des titulaires du pouvoir et de l'intervention des acteurs étatiques. Comme cette interrogation reste souvent sans réponse, on soustrait au contrôle démocratique tout un pan de l'action publique. Alors que les sujets relatifs à l'immigration et à l'intégration nécessitent une analyse et des réponses politiques, on a créé un comité « Théodule » ad hoc qui enlève de l'influence au Parlement.
Vos deux interventions, madame, monsieur, nous indiquent la direction dans laquelle ce groupe sur l'avenir des institutions doit travailler.
Madame Parisot, vous avez évoqué la temporalité de la décision politique, sujet sur lequel il convient de se pencher. Quel est le système qui permet d'effectuer un contrôle démocratique adapté au temps politique ? Nos collègues du Bundestag se posent les mêmes questions que nous et ne comprennent pas que leurs travaux n'intéressent pas le peuple allemand ; or cela est dû au fédéralisme, car les responsables des sujets sociétaux sont les Länder et non l'État fédéral. Par ailleurs, les Allemands sont incapables de conduire une intervention militaire comme celle de la France au Mali.
Monsieur Alain-Gérard Slama, l'émotion a été provoquée la semaine dernière par l'assassinat de journalistes ; la mobilisation des médias n'est sans doute pas suffisante et une émotion partagée s'avère nécessaire pour que le peuple se rassemble ; j'ai ainsi été effrayé du silence de la nation française après l'agression le 1er décembre dernier à Créteil d'un couple juif dont la femme a été violée.
Comment utiliser positivement la colère à l'origine de la mobilisation des citoyens ? Pour répondre à cette question, il convient là encore d'identifier ceux qui peuvent agir. Sur ce terrain, on peut se demander si la limitation du pouvoir n'est pas un facteur de sa reconnaissance et donc de sa force.