L'Europe est en panne. C'est là un constat que nous suggèrent au moins deux réalités : le fort taux d'abstention aux élections européennes et la montée en force des partis eurosceptiques et europhobes. D'une manière générale, on assiste à un déclin des opinions favorables à l'intégration européenne.
En 2014, le taux de participation pour ces élections s'est établi, en France, à 43,5 %, mais le décrochage remonte à 1999, année depuis laquelle ce taux est resté sous le seuil des 50 % – rappelons que les premières élections, en 1979, avaient mobilisé près de 61 % des inscrits. Ce phénomène est général au sein de l'Union, le chiffre français étant proche de la moyenne européenne, mais certains pays résistent mieux à l'abstentionnisme, comme le Danemark, l'Irlande ou l'Italie.
La montée en puissance des partis eurosceptiques et europhobes n'est pas non plus l'apanage de la France, mais, pour la première fois en 2014, le Front national a remporté les élections européennes avec près de 25 % des suffrages, passant ainsi de 3 à 24 sièges. À ces chiffres de l'extrême droite, il faut ajouter plus de 6 % de votes hostiles venus de l'extrême gauche.
Cette double opposition à l'Union européenne, les spécialistes l'expliquent de deux manières. À droite, le « syndrome de l'autoritarisme » serait un facteur déterminant : la relégation de l'espace national au profit de l'espace communautaire et les transferts de souveraineté laissent craindre une perte de l'autorité et de la cohésion nationales. Comme l'explique Bruno Cautrès, « autoritarisme, ethnocentrisme et pessimisme social constituent les traits caractéristiques d'une certaine catégorie de la population globalement intolérante, au sein de laquelle prévalent les valeurs d'ordre, d'appartenance nationale et une vision pessimiste de l'environnement social et politique ». À l'extrême gauche domine la crainte que l'Europe néolibérale ne remette en cause la protection sociale dont les Français bénéficient au niveau national.
Il est remarquable que le taux d'adhésion à l'Union soit proportionnel aux niveaux de revenus et d'instruction. D'après une enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) en 2012, si 52 % des Français considèrent que l'appartenance à l'Union européenne est « une bonne chose », l'écart est sensible entre, d'une part, les cadres et professions intellectuelles supérieures – 78 % – et, de l'autre, les employés – 43 % – et les ouvriers – 40 %.
Pour expliquer le désamour ou l'indifférence, on a mis en cause la faible visibilité des questions européennes dans les médias et dans les campagnes électorales, toujours dominées par les enjeux nationaux. La chaîne publique France 2 a ainsi refusé, en 2014, de diffuser des débats entre candidats à la présidence de la Commission européenne, dans la crainte d'un taux d'écoute trop faible.
Au-delà des idéologies, nous devons nous demander si les institutions européennes ne sont pas par elles-mêmes la cause du rejet ou de l'indifférence. Complexes, bureaucratiques, technocratiques, elles sont fort mal comprises par nos concitoyens. Depuis les années 1970, le thème s'est développé du « déficit démocratique » de la communauté européenne. Ce thème était repris par la Déclaration de Laeken en 2001 : « À l'intérieur de l'Union, il faut rapprocher les institutions européennes du citoyen. [Ceux-ci] demandent moins de lourdeur et de rigidité et surtout plus d'efficacité et de transparence. [Les] citoyens trouvent que tout se règle bien trop souvent à leur insu et veulent un meilleur contrôle démocratique. » On peut certes noter un progrès, notamment avec l'élection du Parlement européen au suffrage universel depuis 1979. Ce même Parlement s'est vu attribuer par les traités de Maastricht puis de Lisbonne des pouvoirs accrus en matière législative et budgétaire. Il a également le pouvoir d'élire le président de la Commission, sur proposition du Conseil européen. En 2014, ce dernier a proposé la nomination de Jean-Claude Juncker, candidat désigné par le parti ayant obtenu le plus de voix aux élections, dont il était ainsi tenu compte. Le président Bartolone a exposé, dans le document qui vous a été communiqué, la nouvelle Conférence budgétaire interparlementaire. On assiste donc à une sorte de parlementarisation de l'Union.
Toutefois, le Parlement ne dispose ni du pouvoir d'initiative des lois, ni du pouvoir constituant qui lui permettrait de modifier les traités de l'Union. D'autre part la composition de la Commission, qui est l'exécutif européen, reste indépendante des résultats électoraux, chacun des vingt-huit États membres désignant un commissaire. Une révision démocratique s'impose car, même si chacun des commissaires doit être confirmé par le Parlement, les électeurs n'ont pas de prise directe sur l'organe central de la gouvernance européenne. Certes, il existe des procédures de démocratie directe, comme le droit de pétition ou le recours au médiateur, mais ils sont mobilisés par une petite élite de gens informés.
Quelles seraient les réformes souhaitables pour donner plus de visibilité et plus de poids démocratique à ces institutions ? Faut-il élire un président de l'Union au suffrage universel ? La formation de partis européens, qui dépassent le cadre national, est-elle souhaitable pour les élections ? Quid de l'organisation de référendums simultanés ou d'un cahier des charges imposé aux chaînes de télévision publique pour les campagnes électorales ?