Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 16 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Je tiens tout d'abord à vous remercier de cette matinée de débats, car la réflexion sur les institutions françaises n'aurait guère de sens si elle ne s'inscrivait pas dans le cadre européen qui est de fait le nôtre.

Je suis d'accord avec Karine Berger. Une différence avec les années 1980, monsieur Quatremer, est que les plus fervents partisans de la construction européenne se sont un peu fatigués. En d'autres termes, le noyau d'europhilie principielle – pourtant essentielle puisqu'elle se fondait sur les idées de paix et de dépassement des nations – se rétracte, tandis que l'euroscepticisme, qui n'est pas le rejet de l'Europe, se développe : la zone grise, en quelque sorte, est en train de s'étendre.

Je le dis avec d'autant plus d'aisance que le parti politique dont je suis membre a toujours été considéré comme le plus europhile qui soit. Il l'est encore, mais il soutient résolument ce qui se passe en Grèce et critique avec virulence la manière dont la Commission européenne et certains de ses membres ont prétendu expliquer aux Grecs comment ils devaient voter. Nous ne pouvons pas accepter que la politique européenne ait pour résultat une hausse de 42 % de la mortalité infantile en Grèce. C'est injustifiable. Le sens de l'Europe, le fondement de l'europhilie, ce sont la paix et le progrès. On pourra dire ce que l'on voudra sur la situation budgétaire du pays, l'incapacité de l'État à faire rentrer les impôts, l'absence de cadastre ; tout cela est juste ; mais il incombait à l'Europe de pousser plus tôt aux réformes structurelles au lieu de fermer les yeux sur la situation.

Je partage le point de vue de Jean-Louis Bourlanges sur la solidarité, laquelle doit aussi se manifester lorsque les choses ne vont pas bien. Or les institutions européennes – c'est un point de désaccord avec Jean Quatremer – apparaissent désincarnées, et ce d'abord au sens où elles semblent froides, peu sensibles aux difficultés, incapables de porter le désir d'un destin commun au-delà des questions budgétaires et économiques. Aucun responsable européen ne décrit l'horizon enthousiasmant que l'on pourrait par exemple imaginer autour de la transition écologique, de la réduction des inégalités, de l'impossibilité de mettre en concurrence les ouvriers roumains et ceux du Sud-Ouest de la France dans certaines usines.

En revanche, je suis d'accord pour dire, à la lumière des débats de la dernière campagne pour les élections européennes, que cette incarnation est possible, si limitée et imparfaite soit-elle. J'ai personnellement aimé me reconnaître dans une Allemande qui parlait de l'Europe comme moi, sortir en somme du débat franco-allemand pour entrer dans le débat politique. Pour ces raisons, je suis absolument convaincue que les institutions évolueront dès lors que l'on saura animer le débat politique européen quant au fond : lorsque des convergences se créeront entre les responsables politiques des différents pays, selon des lignes de force qui l'emporteront sur les oppositions entre nations. C'est ainsi que nous avons constitué le seul véritable parti européen vivant, le Parti vert européen, moyennant de mémorables engueulades, mais toujours en parlant de politique.

Je remercie enfin Jean Quatremer d'avoir exprimé avec autant de fougue le problème de la personnification et de l'impasse de la Ve République, dont Laurence Parisot a aussi parlé tout à l'heure. Il est essentiel d'en débattre dans le pays, car l'incarnation est une nécessité en France autant qu'au niveau européen. Si l'attitude du Président de la République a été aussi appréciée au cours de la période très douloureuse que nous venons de vivre, c'est parce que nous avions tous besoin de nous identifier à une personne, à une parole. Les propos qu'il a tenus ce matin au sujet de l'islamophobie, pour la première fois, sont forts et nécessaires. En revanche, nous n'avons pas besoin d'un omniprésident qui a son mot à dire sur les méthodes d'harmonisation fiscale entre les différents États. La réforme dont nous avons vraiment besoin pour nous inscrire dans le débat politique européen, c'est le recul de cette omniprésidence de fait, qui nous nuit et dont le Président de la République lui-même est à la fois coupable et victime, tant il est impossible d'avoir réponse à tout – y compris physiquement, Laurence Parisot a eu raison de le dire.

Ce sont les débats européens qui feront évoluer les institutions. L'exemple de la commission d'enquête sur LuxLeaks est révélateur : le fait de porter le débat devant l'opinion publique des différents pays européens, sur un sujet compréhensible, modifie les majorités et révèle le poids que peut avoir le Parlement vis-à-vis de la Commission. L'essentiel est de réintroduire du politique dans le débat, et les institutions s'adapteront.

Soyons toutefois lucides quant à l'épuisement de ceux qui portaient le projet européen par-delà ses défauts. Il faut réagir : on ne peut pas se contenter de dire qu'il y a un problème institutionnel en France et que partout ailleurs tout va bien. Le délitement est indéniable et, je le répète, l'euroscepticisme, sinon le rejet de l'Union européenne, a beaucoup progressé. Il faudra aussi faire évoluer les institutions françaises, sans entrer dans le débat technique sur la représentation au Conseil, qui illustre le problème de manière évidente. C'est urgent, sans quoi l'euroscepticisme se fera beaucoup plus nationaliste : la vraie crise qui nous menace est là, au-delà des questions monétaires et budgétaires.

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