Intervention de Jean Quatremer

Réunion du 16 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean Quatremer :

J'aimerais dissiper un malentendu. Je n'ai pas dit que tout allait bien en Europe et mal en France. Je voulais simplement remettre les choses en perspective.

Une chose doit être claire pour nos partis politiques traditionnels – je ne parle pas des europhobes. Ils tombent dans le piège tendu par ces derniers en confondant les politiques européennes et le projet européen. On peut être en désaccord avec la politique menée par François Hollande sans être pour autant antifrançais. Pourtant, c'est l'Europe que critiquent ses détracteurs, non les politiques européennes. Vous croyez que j'étais d'accord avec la politique de la Commission Barroso ? Avec celle du Conseil européen lorsque Nicolas Sarkozy y siégeait ? Vous croyez que j'ai soutenu la création de la Troïka et les politiques d'austérité conduites en Grèce ? Jamais de la vie ; mais je n'ai pas pour autant versé dans l'europhobie ni même dans l'euroscepticisme. Je trouve ce mélange des genres très dangereux. Si la critique des politiques menées est légitime, celle du projet européen fait basculer à l'extrême droite, dans le nationalisme, le souverainisme.

J'en viens aux élections grecques. L'Europe était jusqu'à présent très désincarnée : c'était, en quelque sorte, les politiques sans la politique. On a tenté de remédier à ce problème en créant une Commission beaucoup plus politique. Or on ne peut pas à la fois vouloir une Europe plus politique et critiquer la Commission européenne lorsqu'elle fait de la politique. Que Jean-Claude Juncker, conservateur membre du Parti populaire européen, soutienne le gouvernement de Nouvelle Démocratie, qui fait partie du Parti populaire européen, ne me dérange pas. Crie-t-on au scandale quand Barack Obama se rend dans un État pour soutenir un candidat au poste de gouverneur ? Absolument pas : il fait de la politique ; c'est normal. Peut-être des commissaires de gauche – de la gauche radicale s'il en existait, ce qui n'est pas le cas puisque cette mouvance n'est au pouvoir dans aucun pays d'Europe – pourraient-ils soutenir de la même manière SYRIZA et la candidature d'Alexis Tsipras. Angela Merkel soutient elle aussi le gouvernement sortant, elle agite selon certaines sources la menace d'un « Grexit », mais c'est son problème, elle en a le droit. Protestons-nous, en France, contre l'interventionnisme de l'État central lorsqu'il se mêle des affaires locales ?

Dans une interview que je publie aujourd'hui dans Libération, Benoît Coeuré, membre français du directoire de la Banque centrale européenne, estime que si SYRIZA, qui refuse les politiques d'austérité, arrive au pouvoir, il faudra négocier avec ce parti pour parvenir à un accord, car c'est cela, la démocratie.

Mais je vous rassure : SYRIZA n'a pas l'intention de tout jeter par-dessus bord. Entre le parti de 2010 et ce qu'il est aujourd'hui, la différence est la même qu'entre le Parti communiste français des années 1960 et le Parti socialiste actuel ! Je voyage beaucoup en Europe et je connais particulièrement bien la Grèce. Voyez le programme de Thessalonique, programme de gouvernement adopté par SYRIZA en septembre dernier : il est très « social-démocrate compatible ». SYRIZA veut faire une réforme de l'État que, de l'avis de tous – y compris les représentants de la Commission sur place –, le gouvernement de Nouvelle Démocratie conduit par Antonis Samaras ne poussera pas jusqu'à son terme puisque cet État corrompu, clientéliste, c'est lui qui l'a fait, avec le PASOK : en le réformant plus avant, il se couperait de sa clientèle. Pour la Commission, la perspective de l'arrivée au pouvoir de SYRIZA est plutôt une bonne nouvelle : puisqu'ils n'ont pas les mains dans le pot de confiture, il y a une chance qu'ils fassent les réformes que les Européens demandent au pays depuis trois ans – réforme de la justice, indépendance de l'administration fiscale, constitution d'un cadastre, etc.

Bref, aujourd'hui l'avènement de SYRIZA ne fait plus peur à personne ; mais on fait mine du contraire, parce que c'est de la politique. Il n'y a pas lieu de s'en indigner. Le fait que tout le monde se sente concerné par ce qui se passe chez les autres est plutôt une bonne nouvelle.

Vous avez raison, madame, de dire que l'Europe est conçue comme une contrainte. Mais la faute à qui, sinon à nos dirigeants politiques, passés maîtres dans l'art de communautariser les échecs nationaux et de nationaliser les succès européens ? Souvenez-vous des voeux de Jacques Chirac en 2006 : à l'entendre, Ariane ou Airbus étaient des inventions françaises, inconcevables sans la France. Quant à François Hollande, je suis atterré – je le dis d'autant plus facilement que j'ai voté pour lui – par la manière dont il parle de l'Europe : aucune ambition, aucune direction, plus de projet. La personnification de l'Europe est peut-être inexistante à Bruxelles – et les Européens s'efforcent d'y remédier –, mais elle l'est tout autant à l'échelon national. Sur ce point, Cécile Duflot a raison. Pour un Cohn-Bendit, combien de technocrates froids ? Cohn-Bendit parti, je suis orphelin : je n'ai plus que Guy Verhoftstadt à qui me rattacher ! Et quand j'entends les autres parler d'Europe, je n'ai qu'une envie : devenir souverainiste ! (Sourires.)

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